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Texte Bergson: un Supplément d'âme

Publié le 22/03/2010

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bergson

Comment le mysticisme se propagerait-il [...]dans une humanité absorbée par la crainte de ne pas manger à sa faim ? L'homme ne se soulèvera au-dessus de la terre que si un outillage puissant lui fournit le point d'appui. Il devra peser sur la matière s'il veut se détacher d'elle. En d'autres termes, la mystique appelle la mécanique. On ne l'a pas assez remarqué, parce que la mécanique, par un accident d'aiguillage, a été lancée sur une voie au bout de laquelle étaient le bien-être exagéré et le luxe pour un certain nombre plutôt que la libération pour tous. Nous sommes frappés du résultat accidentel, nous ne voyons pas le machinisme dans ce qu'il devait être, dans ce qui en fait l'essence.  Allons plus loin. Si nos organes sont des instruments naturels, nos instruments sont par là même des organes artificiels. L'outil de l'ouvrier continue son bras ; l'outillage de l'humanité est donc un prolongement de son corps. La nature, en nous dotant dune intelligence essentiellement fabricatrice, avait ainsi préparé pour nous un certain agrandissement. Mais des machines qui marchent au pétrole, au charbon [...] sont venues donner à notre organisme une extension si vaste et une puissance si formidable, si disproportionnée à sa dimension et à sa force, que sûrement il n'en avait rien été prévu dans le plan de structure de notre espèce : ce fut une chance unique, la plus grande réussite matérielle de l'homme sur la planète. Une impulsion spirituelle avait peut-être été imprimée au début : l'extension s'était faite automatiquement, servie par le coup de pioche accidentel qui heurta sous terre un trésor miraculeux.  Or, dans ce corps démesurément grossi, l'âme reste ce qu'elle était, trop petite maintenant pour le remplir, trop faible pour le diriger. D'où le vide entre lui et elle. D'où les redoutables problèmes sociaux, politiques, internationaux, qui sont autant de définitions de ce vide et qui, pour le combler, provoquent aujourd'hui tant d'efforts désordonnés et inefficaces : il y faudrait de nouvelles réserves d'énergie potentielle, cette fois morale. Ne nous bornons donc pas à dire, comme nous le faisions plus haut, que la mystique appelle la mécanique. Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d'âme, et que la mécanique exigerait une mystique. Les origines de cette mécanique sont peut-être plus mystiques qu'on ne le croirait ; elle ne retrouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnés à sa puissance, que si l'humanité qu'elle a courbée encore davantage vers la terre arrive par elle à se redresser, et à regarder le ciel.    Bergson, Les deux sources de la Morale et de la Religion   

1/ La mystique appelle la mécanique : La mystique c'est ici la spiritualité, la mécanique, c'est la technique. L'homme ne peut sortir de la nature, de l'animalité (« se soulever au dessus de terre « l.2, « se détacher de la matière « l.3), pour accéder à des considération plus spirituelle (la science, la philosophie, l'art, la religion...) que par la technique qui est comme le levier (cad le moyen) sur lequel « peser « (l.3) pour s'élever jusqu'à la spiritualité. « Une humanité absorbée par la crainte de ne pas manger à sa faim « (l.1), étant précisément « absorbée « par des vues d'ordre exclusivement matérielles ne saurait développer aucune considération d'ordre plus spirituelle (la religion, la science, la philosophie, l'art...). Ce n'est donc que par la technique que l'homme peut s'élever à la spiritualité. La technique est cet « outillage puissant « (l.2) qui lui permet de manger à sa faim, de régler le problème du besoin, de « libérer « (l.6) l'homme de l'animalité, de la nature et du matériel, de le délier des nécessités, de l'affranchir du besoin, de telle sorte que l'esprit pourra alors élever ses vues vers des questions d'ordre purement spirituelle et que seule sa propre nature lui impose. La nature profonde de la technique est d'être un instrument de libération (idée similaire à celle de Hegel) mais ce que l'homme libère là en se détachant des nécessités, c'est sa spiritualité.

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« tous les problèmes que nous croyons politiques internationaux (guerre, course aux armements, polution), sociaux(famine, médicaments) le sont-ils vraiment ? De tels problèmes ne sont pas pour Bergson spécifiquement politique,stratégiques, économiques...

comme le voudrait le réaliste, mais essentiellement des conséquences de ce défautd'âme et de morale et de cette disproportion entre notre puissance technique et nos forces morales.

Ainsi, lespertes aberrantes des guerres classiques puis modernes ne sont pas essentiellement le résultat de problèmesspécifiquement politiques, mais la conséquence de cette disproportion entre la puissance des armes modernes,considérablement accrue, et la faiblesse de nos forces morales, toujours les mêmes qu'il y a vingt siècles –c'est pourquoi nos guerres font plus de morts, sans être plus folles.

La famine de même n'est pas un problèmeessentiellement économique : elle est aberrante par la disproportion entre notre puissance technique qui devraitpourvoir permettre de nourrir toute l'humanité et notre manque de conviction et de puissance morale qui ne nouspermet pas de diriger ces forces physiques vers un but éthique.

Aussi manque-t-il à la modernité non laconnaissance de ce qu'il faut faire, mais avant tout des forces morales, et c'est un « effort désordonné etinefficace » (l.22) que de croire pouvoir régler ces problèmes sur un plan purement politique ou économique c'est-à-dire là encore de façon calculatrice, quand il nous faudrait avant tout plus de conviction morales : un « supplémentd'âme » (l.25), comprenez par là non pas tant un accroissement de notre intelligence (essentiellement calculatrice)qu'une révolution de celle-ci ou une âme en plus, cette fois ci morale et non plus calculatrice.

Aussi la mécaniqueexige-t-elle une mystique, le développement d'une spiritualité éthique, étendant ses vues à des exigences d'ordrepurement morale détachée de la logique utilitaire de la technique.

La technique appelle une éthique.4/ Le développement moderne de la technique est une chance : Or, faute d'une telle conscience, la technique estpartie dans une mauvaise direction.

Il faut louer le développement de la technique et l'accroissement considérablede puissance qu'il met à notre disposition (« une chance unique, la plus grande réussite matérielle de l'homme »l.15).

Ce n'est pas cette puissance en elle-même qui est en cause, c'est le manque de sens moral pour l'utiliser quidoit être accusé.

Car autant cette puissance est redoutable parce qu'elle est mal utilisée (guerre, pollution...),autant bien utilisée elle n'en rendrait que d'autant plus service (« des services proportionnés à sa puissance » l.27).– Pourtant, qu'avons-nous fait faire à la technique ?! Que lui voyons-nous réaliser aujourd'hui au travers del'ensemble de la production économique ? « le luxe pour quelque uns », « le bien-être exagéré » quand les autresn'ont pas l'essentiel ! La technique moderne nous a davantage encore « courbés vers la terre » en nous rendantencore plus matérialistes.

Quel jugement alors porter sur la technique moderne et la révolution industrielle etcomment y voir comme Bergson une chance ? C'est qu'il ne faut pas, nous dit Bergson, juger la technique à partir dece que nous lui voyons faire aujourd'hui de navrant.

Il n'y a là qu'un résultat accidentel et dévoyé, conséquenced'une utilisation détournée et mauvaise des moyens de production.

Au contraire, nouveau renversement : ledéveloppement moderne de la technique quelque soient les résultats qu'il a aujourd'hui donné, la découverte desmachines et la révolution industrielle doit être considéré comme « une chance unique » (l.15) car nous tenonspotentiellement avec cette puissance enfin la « chance » de pouvoir réaliser le véritable but de la technique.

Le vraibut de la technique n'est pas celui pour lequel on l'a depuis embrigadée, en mettant par manque d'âme et de vuesmorales, cet accroissement considérable de puissance que nous avons connu depuis le 19eme siècle « au service dubien être exagéré et du luxe pour quelque uns » (l.5-6) on devrait dire également au servie des Etats de lapuissance militaire et économique.5/ Le but de la technique : Mais quel est alors ce but ? Mais quel usage doit-on alors faire de la technique alors ? Etcomment savoir quel usage il nous faut en faire ? La réponse de Bergson est la suivante : le bon usage d'une choseest celui qui est conforme à son essence, sa nature profonde.

La technique – la réflexion de Hegel commecelle de Bergson nous en ont assez convaincus, n'est pas destinée au luxe de certains (les pays développés), maiselle essentiellement ce qui seul peut libérer l'humanité dans son ensemble de la nature et, en l'affranchissant desnécessités et de la faim, l'élever à la spiritualité, « redresser l'humanité ».

C'est à cela qu'elle est destinée et doitservir : « la libération pour tous » (l.6), affranchir l'ensemble de l'humanité des problèmes matériels.Conclusion : La technique n'est donc pas ce qu'elle devrait être : sa destination essentielle est de libérer l'humanitédu besoin tandis qu'elle a été embrigadée par accident pour un usage inessentiel (le luxe) et égoïste.

Mais si latechnique moderne quelques soient ses développements est quand même une chance, c'est parce qu'elle nous metpour la première fois en position de pouvoir accomplir ce but grâce à la formidable puissance à laquelle elle estparvenue.

Aussi doit-on attendre de la technique une rédemption : elle qui par son mauvais usage en servant auluxe, en engendrant inégalité, guerres...

a « courbé l'humanité vers la terre» en la personne des pays développésqu'elle a rendu esclave de considération matérielle, devra être rachetée afin que toute l'humanité puisse par elle, seredresser et s'élever à la spiritualité.

Sujet désiré en échange : L'Etat est l'ennemi de la liberté (7761 mots). »

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