Suis-je un étranger pour moi-même?
Publié le 08/04/2005
Extrait du document
Analyse du sujet :
- Le sujet prend la forme d’une question fermée : il appelle donc une réponse en « oui « ou « non « nuancée et argumentée.
- Il fait intervenir le terme « étranger « : celui-ci recouvre la notion d’altérité : l’étranger ou ce qui m’est étranger est ce qui n’est pas moi, par conséquent, ce qui est autre que moi. L’étranger, en plus d’être foncièrement autre, m’est inconnu, au moins partiellement. Si je suis un étranger pour moi-même, cela signifie donc premièrement qu’il existe une distance irréductible entre « je « et « moi-même «, deuxièmement, que « je « est un inconnu pour « moi-même «.
- Pourtant « je « et « moi-même « désigne dans le langage courant le même homme. Comment les distinguer s’il sont étrangers l’un à l’autre ? Il faut rechercher deux dimensions qui coexistent en l’homme : premièrement, l’homme peut être l’individu, c'est-à-dire cet homme là particulier qui diffère des autres. Deuxièmement, l’homme désigne la part d’humanité commune présente en chaque individu. La distance entre « je « et « moi « peut être recherchée dans cette direction.
- Une seconde approche nous est suggérée par le « pour « du sujet : ce qui est pour moi-même est ce que « moi-même « considère. « Moi-même « portant son attention sur « je « ressent l’altérité inconnue de ce « je «. Il s’agit, dans cette situation de l’homme se prenant pour son propre objet : il est donc à la fois sujet et objet, et, en tant qu’objet, étranger au sujet. Notons que le fait de se prendre pour son propre objet s’appelle réflexion (penser à la métaphore du miroir)
- Enfin, comme nous l’avons dit, la question consiste à se demander si je suis autre que moi-même et inconnu de moi-même dans une opération réflexive : le problème est donc à la fois celui du rapport à soi (dimension éthique) et de la connaissance de soi (dimension épistémologiques).
Problématisation :
La dissertation consiste, rappelons-le, à apporter une réponse à la question qui nous est posée : comment ? Il faut établir un ordre dans lequel résoudre les problèmes qui nous empêchent de fournir une réponse à la question : cet ordre constitue la problématique.
Le premier problème auquel nous nous trouvons confrontés est le suivant :
- Y a-t-il une distance entre je et moi-même ?
Une fois ce problème résolu, nous devons nous demander :
- Cette distance implique t-elle que je sois étranger à moi-même ? [il se pourrait très bien que malgré cette distance, je ne sois pas étranger mais ami de moi-même par exemple]
«
aussi comme une fin, et c'est en ceci précisément que consiste sa dignité (la personnalité), grâce à laquelle ils'élève au-dessus des autres êtres du monde, qui ne sont point des hommes et peuvent lui servir d'instruments,c'est-à-dire au-dessus de toutes les choses.
Tout de même qu'il ne peut s'aliéner lui-même pour aucun prix (ce quicontredirait le devoir de l'estime de soi), de même il ne peut agir contrairement à la nécessaire estime de soi qued'autres se portent à eux-mêmes en tant qu'hommes, c'est-à-dire qu'il est obligé de reconnaître pratiquement ladignité de l'humanité en tout autre homme, et par conséquent sur lui repose un devoir qui se rapporte au respectqui doit être témoigné à tout autre homme.
»
A la première distance fondamentale entre « je » et « moi-même » interprétés comme deux dimension de l'hommevient s'ajouter une seconde distance : celle qui s'établit entre « je » entendu comme sujet pratique et « moi-même » comme objet pratique.
Il est donc question de l'action morale envers soi-même.
Kant affirme une dignité del'humanité : le rapport morale qu'il prescrit d'avoir envers autrui est donc également valable envers soi-même.
Nousavons des devoirs envers nous-même.
Le fait que nous ayons des devoir envers nous-même signifie encore que lorsque nous nous considérons commenotre propre objet, nous devons nous traiter nous-même comme nous traiterions autrui, c'est-à-dire, comme unétranger.
Plus encore : si cette distance fondamentale entre « je » et « moi-même » n'existait pas, le problème dudevoir envers soi-même ne se poserait pas.
Or le devoir de l'estime de soi est un fait chez Kant, fait qui ne peutêtre que parce que cette distance sépare « je » de « moi-même ».
Nous nous considérons donc comme étranger ànous même, chaque fois que nous agissons respectueusement envers nous-même.
Ces deux distances et ce caractère étranger du « je » pour « moi-même » ne demeurent cependant que tant quenous agissons moralement.
Or Kant lui-même concède qu'il n'y a peut être jamais eu aucune action bonne dans lemonde.
Si bien que tout ce que nous avons affirmé tient plus d'un devoir être que d'un fait.
Autrement dit, nousnous sommes engagé dans une voie qui ne nous permet pas de répondre de manière radicale à la question de notresujet : nous ne pouvons pas dire si cette étrangeté est fondamentale ou non.
III – La critique nietzschéenne de l'introspection
Référence : Nietzsche
« Vive la physique ! -- Combien de gens savent-ils observer ? Et, dans le petit nombre qui savent, combiens'observent-ils eux-mêmes ? "Nul n'est plus que soi-même étranger à soi-même", ...
c'est ce que n'ignore, à songrand déplaisir, aucun sondeur de l'âme humaine ; la maxime "Connais-toi toi-même", prend dans la bouche d'undieu, et adressée aux hommes, l'accent d'une féroce plaisanterie.
Rien ne prouve mieux la situation désespérée oùse trouve l'introspection que la façon dont tout le monde, ou presque, parle de l'essence de l'action morale.
Quellepromptitude chez ces gens ! Quel empressement, quelle conviction, quelle loquacité ! Et ce regard, ce sourire, cezèle, cette complaisance ! Ils ont l'air de vous dire : "Mais, mon cher, c'est précisément mon affaire ! Tu tombesprécisément sur celui qui peut te répondre c'est la question que, par hasard, je connais le mieux.
Voici donc quandun homme décide "ceci est bien", quand il conclut "c'est pour cela qu'il faut que ce soit" et qu'il fait ce qu'il a ainsireconnu bien et désigné comme nécessaire, l'essence de son acte est morale.
"Mais, cher ami, vous parlez là detrois actions et non d'une seule : votre jugement, -"ceci est bien" par exemple, -- votre jugement est un acte aussi! Et ce jugement ne pourrait-il, déjà, être ou moral ou immoral ? Pourquoi tenez-vous "ceci" pour bien plutôt qu'autrechose ? "Parce que ma conscience me le dit ; et la conscience ne dit jamais rien d'immoral, puisque c'est elle quidétermine ce qui est moral !" Mais pourquoi écoutez-vous la voix de votre conscience ? Qu'est-ce qui vous donne ledroit de croire que son jugement est infaillible ? Cette croyance, n'y a-t-il plus de conscience qui l'examine ? N'avez-vous jamais entendu parler d'une conscience intellectuelle ? D'une conscience qui se tienne derrière votre"conscience" ? Votre jugement "ceci est bien" a une genèse dans vos instincts, vos penchants et vos répugnances,vos expériences et vos inexpériences; "Comment ce jugement est-il né ?"C'est une question que vous devez vousposer, et, aussitôt après, celle-ci "qu'est-ce exactement qui me pousse à obéir à ce jugement ?" Car vous pouvezsuivre son ordre comme un brave soldat qui entend la voix de son chef.
Ou comme une femme qui aime celui quicommande.
Ou encore comme un flatteur, un lâche qui a peur de son maître.
Ou comme un imbécile qui écouteparce qu'il n'a rien à objecter.
En un mot vous pouvez écouter votre conscience de mille façons différentes.
Or il se peut que vous entendiez dans tel et tel jugement la voix de votre conscience, -- que vous trouviez bientelle ou telle chose, -- parce que vous n'avez jamais réfléchi à vous-même et que vous avez accepté aveuglémentce qu'on vous a donné comme bien depuis votre enfance ; ou parce que le pain et les honneurs vous sont venusjusqu'ici de ce que vous appelez votre devoir ;.., ce devoir vous paraît " bien " parce que vous y voyez la "condition de votre existence " (et votre droit à l'existence vous apparaît irréfutable!).
-- Mais la fermeté de votrejugement moral pourrait fort bien être la preuve de la pauvreté de votre personnalité, d'un manque d'individualité ;votre "force morale" pourrait avoir sa source dans votre entêtement, ou dans votre impuissance à concevoir denouveaux idéals ! [...]" »
Kant appelait à écouter en soi-même la voix du commandement de la raison : l'abolition de la distance entre « je »et « moi » était possible par la conformation de l'action à la loi morale.
Devant le fait du jugement moral, nous nousretrouvions réconciliés avec nous-même..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- L'étranger
- ÉTRANGER (L') de Knap
- ÉTRANGER (L’) de Karaosmanoglu (résumé) Yakup Kadri Karaosmanoglu
- Le conjoint est étranger.
- Corpus Thérèse Raquin Emile Zola, La Condition Humaine André Malraux, L’étranger Albert Camus