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Suis-je le mieux placé pour me connaître moi-même ?

Publié le 22/02/2012

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  « Je suis très certain, sans fantôme et sans illusion (...), que j'existe pour moi-même, que je connais et que j'aime mon être. Et je ne redoute point ici les arguments des académiciens ; je ne crains pas qu'ils me disent : Mais si vous vous trompez ? Si je me trompe, je suis. » Saint Augustin, La Cité de Dieu, XI, 26.   « Il est trop tard. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement ; maintenant il est collé à ma peau. » Lorenzaccio, III, 3.   Introduction Pris comme sujet libre d'effectuer toutes les opérations de l'esprit en tant qu'elles se conforment à ce que serait l'exigence rationnelle de l'esprit, je ne peux qu'être amené à concevoir que, s'il est bien un objet sur lequel puissent s'appliquer ces connaissances, c'est précisément le moi dont elles émanent et qui préside à leur avènement. Mais cette certitude première et apparemment la plus évidente ne peut-elle pas en vérité, comme l'expérimente dans la douleur le héros du Lorenzaccio de Musset, être un voile qui masquerait, même à le draper dans toute sa magnificence, le vide qui serait le plus fondamental quand le moi tente de se retrouver lui-même et de se saisir dans le prisme de sa propre faculté de perception ? Finalement, ne peut-il pas y avoir rien de plus étranger au moi que le moi, précisément au nom de l'unité primordiale qui le caractérise ? Il s'agit de savoir, pour tout sujet digne de ce nom, s'il peut être lui-même à son origine, s'il peut constituer son propre principe ou si c'est au contraire quelque chose d'extérieur, de différent, qui vient le fonder. Mais alors, dans l'optique où la seconde hypothèse serait retenue, qu'en est-il de cet autre qui, tel le Dieu cartésien de la III° Méditation me fonde ? Par là même ne me fixe-t-il pas, ne me fige-t-il pas ? Où demeure ma liberté si ma connaissance passe essentiellement pour la différentielle d'un rapport qui viserait à aboutir au moi comme résultat d'un processus ordonné découlant d'un jeu dialectique, jeu entre le spontané et le réfléchi, entre le moi et l'Autre ? Suis-je donc bien le mieux placé pour me connaître moi-même ? pour savoir ce que je suis ? 

« peine de mourir en son nom...L'on sait que le dandy Musset mesure d'autant mieux cette fissure dévastatrice de l'âme déçue - conférée à sondouble littéraire, Lorenzaccio - qu'il a été douloureusement trompé lors d'un voyage à Venise par sa muse, laromancière George Sand rencontrée en 1833.

De ce point de vue Lorenzzacio, inspiré d'ailleurs d'une pièce de Sand,met explicitement en avant le thème du masque du moi, incapable à la longue de cacher l'étiolement intime duprotagoniste.

La nécessaire conjonction entre soi et autruiNous pouvons raisonnablement admettre que je suis en mesure (que je dispose d'une « place ») pour me connaître.Mais il reste maintenant à établir si cette place est la meilleure qui soit.

En d'autres termes, le moi à partir duquel jeme connais est-il place faible (obstacle) ou place forte (site privilégié, promontoire impensé) pour se connaître ? Cequi fait alors problème dans l'énoncé, c'est désormais la notion d'éminence qui est attachée à cette observation, àce savoir que seul le moi opérerait.

Et il convient de déterminer si, ce faisant, cela ne revient pas à dire qu'il l'opèreseul ?Or, il est clair que prétendre que je suis le mieux placé pour me connaître ne peut être conçu que comme l'idéalirréalisable – qui devient une trappe, une idole – de celui qui s'auto-illusionne.

Car cela renverrait à une prise deconscience de soi théorique, dans laquelle seuls moi et moi (ou moi sur moi) interviendraient en quelque sorte, savoirque je réaliserais en tentant une introspection psychologique visant à me faire connaître mes sentiments.

On voitbien le danger que recèle une telle proposition : à ce jeu là, en prétendant me connaître, c'est-à-dire ne faire queme connaître, j'éclate précisément toute la dimension du faire, j'oblitère mon rapport à l'Autre (à l'autre que moi et àl'autre moi : l'alter ego) et j'amenuise par là mon rapport au monde.

Or c'est dans cette idée de la conjonction entrece qui serait une conscience théorique et une conscience de soi pratique que Hegel, dans la Phénoménologie del'esprit, reconnaît pourtant le véritable savoir sur soi.

C'est-à-dire non pas celui qui ne considère que sa propreintériorité en risquant tôt ou tard de céder à l'illusion sur soi mais celui qui, en reconnaissant sa marque dans lemonde extérieur (par le travail) et dans sa relation aux autres, fonde essentiellement une identité, un véritablerapport.

En effet, pour qu'il y ait rapport, il faut qu'il y ait deux termes distincts l'un de l'autre ; or la vraie différenceest entre moi et l'autre, et non entre moi et moi.

Rapport véritable qui repose désormais sur la reconnaissance et lareprésentation.Derrière la dissimulation dont Lorenzaccio se fait l'expert, pas plus l'honnêteté, l'efficacité, l'identité ou la sincéritéessaimées comme justificatifs au cours des quatre actes ne sauraient de fait justifier l'injustifiable : quand ladissimulation s'effondre que le masque tombe enfin dans le dernier acte, il n'y a plus que du vide (et si toute la vien'était que fausseté?, laisse entendre Musset ) et non un sujet maître de lui-même.

Confronté à l'apparence et à lavérité profonde, le Moi de Lorenzo, le pourvoyeur des plaisirs du duc Alexandre, grand amateur de chair fraîche, doitse faire aussi virtuose dans l'image de soi que celui du libertin débauché qu'est Alexandre, dont la perversion vajusqu'à pénétrer les âmes comme les êtres.

Or ce cynisme qui devrait n'être qu'une façade ne cesse d'insister toutdu long de la pièce : par force d'identification au Jeu qu'il livre le Je de Lorenzaccio est devenu ce qu'il mimait, entrevice et vertu, ce qui fait voler en éclat l'opposition entre l'intérieur et l'extérieur.

Tout porte à croire que, pour nepas se trahir face au prédateur, le Lorenzo aux yeux cernés doit multiplier toutes les roueries possibles, quitte àcontaminer - irréversiblement - son propre moi des miasmes de l'impureté ducale.

Signe que le véritable ennemi pourchacun est alors moins à l'extérieur qu'à l'intérieur de soi.

Ainsi, malgré la diversité des noms dont on l'affuble(Lorenzo, Renzo, Lorenzetta, Lorenzino, Lorenzaccio), le héros ne peut se contenter de cacher son moi derrière leloup théâtral (persona en latin) , celui-ci tient plutôt du masque vénitien carnavalesque destiné à exacerber lesdésirs.

Fausse transparence, le masque ne dissimule point l'identité du moi, il révèle au contraire, à l'instar du ducdéguisé en religieuse (I, 3), combien le moi est transgressif et provocateur dans son rapport à autrui.

Incarnationcaricaturale de la vertu répubilcaine de pied en cap ou du machiavélisme florentin fait homme, les individus quecroise Lorenzaccio dans les rues sont des masques vivants.

Le cardinal-scélérat Cibo est ainsi prêt sans vergogne àà trahir son frère pour son goût de l'intrigue et du pouvoir ...

et à prostituer sa belle-sœur ! Mais le prélat est aussile seul à ne pas être dupe du masque d'un Lorenzo estimé esprit efféminé, lâche, ayant perdu tout sens de l'honneurdans la débauche et dans lequel il perçoit surtout le jeu du comédien qui menace son maître.

Soit un histrion qui secomplaît dans le déguisement outrancier de la personnalité mais qui a été chassé de Rome en 1534 pour avoirdécapité les statues antiques de l'arc de Constantin.

Parce qu'il est l'iconoclaste de service, Lorenzo en fait toujourstrop.

Méprisé par la foule, reconnu comme traître pour ses anciens amis, "ce lendemain d'orgie ambulant", dixit leduc (I, 4.), ne se nourrit que de chimères creuses.

Son moi se réduit au costume de commedia dell'arte qui indiquepour tous, au grand dam de sa mère, son petit rôle de noble dégénéré en un pâle bouffon raté.

Son visage estdésormais le masque du déshonneur.

Un rôle d'autant plus complexe que Renzo n'est pas sans être attiré, jusqu' à lapassion homosexuelle, par celui qu'il doit éliminer.

Il faut sortir de soi (ex-sistere) pour être soiDans la « Dialectique du maître et de l'esclave » de la Phénoménologie de l'esprit, Hegel nous invite à concevoircomment toute conscience ne s'impose à l'autre que par la reconnaissance spontanée (pitié, sympathie) ou par unelutte pour la reconnaissance, par le regard que m'octroie l'Autre lorsque j'agis.

Une véritable connaissance de soi,qui ne peut tendre qu'à une conscience de soi finale, n'est donc pas une simple connaissance, comme c'est le caschez un sujet voulant trouver en lui seul les modalités nécessaires d'un savoir constitutif de ce qu'est son essence,mais c'est une reconnaissance.

Autrement dit, un mode véritablement objectif qui ne repose plus sur la simplecertitude subjective que peut ressentir l'individu.

Ce qui suppose qu'on ne se connaisse jamais véritablement soi-même quand on est seul.

Pour se connaître, il faut au moins être deux : c'est pourquoi chaque Robinson a besoin deson Vendredi pour se sentir exister.

Ce qui signifie au sens propre en latin : sortir de soi, prendre donc le risque del'aliénation.

Nous pouvons noter au passage toute l'interprétation extrême que fera le mouvement existentialiste decette reconnaissance de l'existence, laquelle ne fera plus désormais que l'objet d'un « faire », d'un agir perpétuel. »

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