Suffit-il d'être libre pour être humain ?
Publié le 28/10/2009
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Incipit : Si c’est un homme titre Primo Lévi dans son ouvrage relatant le vie des camps. Où le “ si ” doit être entendu, non pas comme une implication hypothétique (si… alors…), ni sur le mode optatif (“ s’il se pouvait qu’il soit… ”), mais bien comme l’affirmation d’une identification, d’une identification discriminante, c’est-à-dire fondée sur un critère qui permet de reconnaître l’humanité de tel être. Oui, c’en est un ; oui, il est l’un d’entre les hommes. On répond de l’humanité d’un tel être. On le reconnaît comme individu d’une classe, celle des humains, on lui attribue un prédicat, celui de l’humanité (“ être humain ”). La liberté suffirait-elle à être le critère discriminant d’une telle reconnaissance par identification ?
Thèmes : L’importance de la formulation de l’énoncé réside dans sa forme prédicative : d’un côté, il y a le prédicat “ être libre ” ; de l’autre, celui d’ “ être humain ”. Un autre aspect de la formulation de l’énoncé qu’il importe de relever tient dans sa forme conditionnelle : être libre est-il ou non une condition suffisante à la reconnaissance de l’humanité d’un être ? De ces deux thèmes principaux qui structurent l’énoncé, il faut faire l’analyse, et ce, dans l’ordre présenté. (i) La structure de la prédication : le fonctionnement de la prédication, ainsi que l’a montré le tournant logique de la fin du 19e (Frege, Russell), repose sur la notion d’ensemble. Un prédicat est un ensemble, au sens mathématique et logique du terme, sous lequel tombe un certains nombre d’objets qui forment alors une classe. En l’occurrence, il y a le prédicat “ humanité ” sous lequel sont compris les individus (hommes) qui forment la classe des humains : ainsi, si un individu x appartient à la classe H, alors il est h. Et la copule du prédicat (“ être… ”), quoique disparaissant dans la logique formelle, doit son ambiguïté au fait de pouvoir également signifier l’identité. En conséquence de la formulation du problème de l’énoncé, la mise en relation des deux prédicats, à savoir “ être humain ” et “ être libre ”, doit se comprendre comme la question de savoir si il y a ou non identité stricte des individus tombant sous le prédicat d’humanité et ceux tombant sous le prédicat de liberté – en termes logiques, on parlerait alors d’équivalence entre les extensions des ensembles, ou individus, appartenant aux deux prédicats. (ii) La condition suffisante : faire ici appel à la notion de condition suffisante renvoie à l’emploi par l’énoncé du verbe “ suffire ”. A la suite de notre présentation du fonctionnement de la prédication en termes d’ensembles, nous pouvons maintenant réduire la question à celle de savoir si pour x (où ‘x’ est un individu quelconque) appartenir à L(iberté) est une condition suffisante pour qu’il appartienne également à H(umanité), ou plus explicitement : la liberté d’un individu suffit-elle à lui attribuer l’humanité ; et plus exactement encore, la liberté d’un individu implique-t-elle de lui attribuer l’humanité (en termes formels, L(x) → H(x), où ‘→’ signifie l’implication, le fait pour L d’être condition suffisante de H) ?
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II.
La liberté comme illusion du libre-arbitre Pour Spinoza dans son Ethique , de façon moins idéaliste que l'absolu moral kantien, la liberté, à entendre comme libre-arbitre, se révèle en fait n'être qu'une croyance illusoire reposant sur l'ignorance des déterminations quiconstituent implicitement la trame des actions, non pas uniquement naturelles, mais également humaines.
La libertén'est pas ici considérée comme un absolu hors-réalité, simplement parce qu'il n'y a pas d'autre chose que la réalité(de la substance divine de laquelle l'individu participe à titre d'attribut).
Etre libre, ou moins se libérer de l'ignoranceaveugle se croyant effectivement libre, consiste dans ce cas à prendre conscience des déterminismes qui agissentl'homme en tant qu'individu causalement constitué.
Etre libre est en quelque sorte se libérer de l'illusion de la liberté.Une telle conception de la liberté est fortement décevante.
Et si tant est qu'on ne lui reconnaisse pas la légitimitéd'être une définition de ce que nous entendons quand nous parlons de liberté, et quand nous employons cettedernière comme prédicat portant sur des individus, alors force est de concevoir la possibilité pour l'homme de ne pasêtre libre, et de peut-être ne jamais l'être.
Aussi, être libre ne peut jamais être un prédicat suffisant à ladétermination de l'humanité d'un individu (c'est-à-dire à l'attribution du prédicat “ être humain ” à un individu).
* Conclusions - La liberté (“ être libre ”) n'est pas une condition nécessaire de l'humanité (“ être humain ”) – puisque la liberté peut n'être pas humaine, mais divine (Kant).
La liberté (“ être libre ”) n'est a fortiori pas une condition suffisante de l'humanité (“ être humain ”) – puisque l'homme peut n'être pas libre (Spinoza).
Ni être libre ne suffità être humain, ni être humain ne suffit à (pouvoir) être libre.
Ce qui revient simplement à décréter que, si laliberté et sa prédication ne saurait suffire à l'identification individuel de l'humain, c'est que la liberté ne saurait enaucun cas être une condition de quoi que ce soit – si ce n'est peut-être de la possibilité de (se) rêver. - L'insuffisance de la structure prédicative de l'énoncé, telle qu'explicité dans le thème (i), indique implicitement l'impossibilité d'une définition de l'humain.
L'humain est proprement ce qui échappe aux conditionsde la logique définitionnelle, en tant que définir suppose l'objectivation, or objectiver l'humain, le faire objet , permet peut-être d'en avoir la science (anthropologie, physiologie, etc.), mais non d'en obtenir le critèresuffisant à son identification comme sujet humain – qui plus est, vouloir définir l'indéfinissable (l'humain) par de l'indéfini (la liberté) ne saurait que conduire à ratiociner.
En nominaliste, afin de ne pas multiplier les entitésabstraites inutiles (tels les concepts d'humanité et de liberté), on dirait simplement que si l'humanité estindéfinissable, c'est simplement qu'elle n'existe pas autrement que comme mot et ne renvoie à rien de réel, maisn'est qu'une querelle de mots : seuls sont les hommes.
Et ce qui s'est opéré au principe de l'illusion de l'existencede quelque chose correspondant à l'humanité est le transfert du nom ‘homme' à son statut prédicatif ‘êtrehumain', puis la substantification de ce dernier devenant alors ‘humanité.
Sinon, autant vouloir définir l'humainpar la risibilité… Si, c'est un homme est sans question, ne répond pas à une question, et à vrai dire n'est pas même une réponse..
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