Suffit-il de se remémorer son passé pour en écrire l'histoire ?
Publié le 10/04/2005
Extrait du document

- Bien définir les termes du sujet :
- « Suffit-il « : pose la question de savoir si c’est une condition suffisante ou seulement nécessaire.
- « Remémorer « : C’est se remettre en mémoire, se rappeler. Cette action implique une sorte de retour sur le passé, on voit ainsi les événements avec un autre point de vue que celui que l’on avait au moment même de l’événement lui-même. Selon les situations, cette vision peut être différente, mais elle est souvent déformée. Ainsi, on peut se rappeler des périodes que l’on considère comme heureuse et comme représentant le bonheur absolu, alors qu’au moment même de ces périodes on ne ressentait pas les événements de la même manière.
- « Son passé « : Consiste en la somme des événements qui ont eu lieu dans le passé, considéré comme irréversible. L’utilisation du pronom possessif « son « insiste sur le caractère personnel de ce passé ; ce dernier semble alors plus consister en souvenirs qu’en événements historiques proprement dits.
- « L’histoire « : le terme ici n’a de majuscule, mais étant donné la formulation du sujet, il ne peut y avoir confusion. Il ne s’agit pas en effet de l’Histoire en tant que relevé d’événements notables et communs à tous, mais plutôt d’une simple histoire personnelle. Il est donc question des événements particuliers de la vie d’un seul homme. Sinon, l’Histoire est une discipline qui a pour objet la reconstitution et la relation du passé des sociétés humaines, considérées soit globalement, soit dans les collectivités particulières.
- Construction de la problématique :
Selon la manière dont le sujet est abordé, il peut soulever de nombreuses questions. En effet, si on considère la manière dont les historiens étudient maintenant l’Histoire, on peut se poser la question de savoir quel rapport il peut exister entre l’histoire personnelle et l’Histoire du monde, et si cette dernière peut prendre en compte les histoires personnelles – il existe en effet des écrit personnels, des témoignages qui sont considérés comme historiques et qui sont utilisés comme base de recherche par les historiens pour écrire l’Histoire.
Mais le sujet ne semble pas aller si loin, le pronom « en « limite et circonscrit l’écriture de l’histoire à celle de la vie de l’individu auquel on s’intéresse. Quoi qu’il en soit, même si cette histoire est individuelle, même si elle est simplement une autobiographie, elle doit cependant répondre à un certains nombres de critères sans lesquels elle sera non plus histoire, mais conte ou adaptation. Quoi qu’il en soit, c’est le problème de la subjectivité qui se pose ici le plus, étant donné qu’il n’y a pas de différence entre l’historien et celui a qui les événements sont arrivés.
Se pose donc la question de savoir si les faits dont on se souvient sont donnés ou construits et dans quelle mesure il est possible d’être objectif envers soi-même. Mais il est aussi possible de se demander si la simple énumération des événements que l’on a vécu constitue une histoire à proprement parler.

«
garde que ceux qui sont les plus marquants et les plus forts.
Et ces derniers sont encore modifiés selon l'état actueldans lequel on se trouve : un homme ruiné trouvera ainsi la maigre fortune qu'il avait auparavant comme la plusgrande et la plus désirable des choses.
è Il ne suffit donc pas de se souvenir de son passé pour en écrire l'histoire, puisque nous l'avons vu, il n'est pas possible de se rapporter à son passé de manière complètement objective : nous le transformons malgré nousavec le temps.
Mais surtout, le simple fait de vouloir l'écrire implique qu'on lui impose un ordre qu'il n'avait pas,autrement dit, nous devons le reconstruire.
Ecrire l'histoire de son passé consiste avant tout à le reconstruire aposteriori, et non pas seulement à se souvenir.
II/ La subjectivité : Nous l'avons vu, écrire son autobiographie, se souvenir des événements du passé pour les écrire impliqueune part de reconstruction et de subjectivité que l'on ne peut pas éviter.
Mais est-il possible pour autant de direque cette subjectivité est inutile, voire nuisible ? Est-ce que la subjectivité décrédibilise l'histoire ? C'est la question que pose Ricœur dans Histoire et vérité.
En effet, il explique qu'en général on demande autravail de l'historien d'être objectif, alors que nous ne pouvons pas nous empêcher de porter un certain regard surl'histoire.
En effet, le recul ou l'idéologie a toujours une place plus ou moins importante dans l'écriture du passé.
Ilsuffit de prendre deux écrits sur le même thème pour s'apercevoir à la lecture que les ouvrages ne produisent pas lemême sentiment, alors qu'ils traitent de la même chose.
Comme nous l'avons dit plus haut, il suffit de prendre lesMémoires de deux personnages différents qui racontent leur souvenir de la vie à la Cour de Louis XIV par exemple,pour se rendre compte qu'ils ne voyaient as du tout les choses de la même manière.
Autrement dit, il existe unesubjectivité irréductible de l'historien, et celle-ci ne doit pas nécessairement être considérée comme un mal.
Cela neveut pas dire que l'histoire du passé est forcément relative, mais qu'il y a une bonne subjectivité, un « moi derecherche » qu'il faut distinguer d'un moi des passions individuelles.
Autrement dit, celui se souvient et qui écrit netraite pas son sujet selon ses préjugés, mais selon un angle d'attaque qui lui est propre, et selon les documents qu'ilchoisit.
Il interprète les conduites humaines.
Et même, cette histoire du passé est parfois, ce que l'on pourrait appeler un témoignage sert d'outil àl'écriture de l'Histoire elle-même.
Par exemple, il serait possible de se demander dans quelle mesure le Journal d'AnneFranck ou les témoignages de Jeanne Oudot sont des documents historiques.
Dans ce cas, il suffirait de se souvenirnon seulement pour écrire son histoire, mais aussi pour écrire l'Histoire.
Toute la question des historiens actuelsconsiste à se demander quelle est la valeur qu'il faut accorder à ses témoignages dans la mesure où ils sont certessubjectifs, mais aussi dans la mesure où ce sont les seuls éléments dont nous disposons.
La subjectivité peut doncêtre intéressante dans certains cas et même faire partie de la méthode de celui qui raconte son passé.
« Nousattendrons de l'historien une certaine qualité de subjectivité, non pas une subjectivité quelconque, mais unesubjectivité qui soit précisément appropriée à l'objectivité qui convient à l'histoire.
» Histoire et vérité.
Autrementdit, il y a une bonne et une mauvaise subjectivité, la bonne étant celle qui fait de l'Histoire celle des hommes.
Ceque Ricœur veut dire c'est que l'homme qui écrit son histoire se doit d'être subjectif mais d'une certaine manière, àtravers sont histoire, il doit faire l'histoire des hommes.
Plus que raconter son passé, il doit l'intégrer dans un mondeplus vaste que le sien individuel, celui des individus en général.
III/ Se souvenir et vouloir raconter, c'est s'empêcher de vivre : Il peut être certes intéressant de se souvenir de son passé, mais il est possible de considérer que c'est uneperte de temps que de vouloir l'écrire.
En effet, pour quelles raisons devrions-nous nous nous occuper de ce quin'est plus au détriment de ce qui existe alors que notre vie est si courte ? C'est la question que pose Nietzsche dans la deuxième partie des Considérations inactuelles.
Selon l'auteur,la connaissance historique en tant qu'elle est une lutte contre l'oubli, est un obstacle au bonheur et à la vie elle-même.
En effet, pour Nietzsche, l'oubli est une force vitale, c'est une dimension animale de l'existence humainequ'une conscience historique trop développée empêche.
Il faut bien se rendre compte que pour Nietzsche la vie sedéfinit avant tout comme un devenir, c'est-à-dire comme une suite d'événements qui ont lieu dans la Nature qui estune grande pourvoyeuse de diversité.
La nature ne se répète jamais en effet selon Nietzsche, elle est multiplicité etimprévisibilité car elle est le lieu même de la volonté de puissance, du jaillissement de la vie.
Il ne faut pas confondrela volonté de puissance avec une vulgaire volonté de la puissance : il ne s'agit pas d'acquérir des biens, mais dusimple désir, du simple jaillissement des forces qui permettent l'expression de soi, de sa propre nature.
Le monde estdonc pour l'auteur le lieu de la volonté de puissance, c'est le lieu du jaillissement des forces, et c'est donc un lieu decréation et d'imprévisibilité.
Vouloir se souvenir de son passé et pire encore vouloir en faire l'histoire, c'est seréfugier dans ce qui n'existe plus et nier l'imprévisibilité et la créativité de la vie, c'est nier la vie.
L'homme qui désire que tout se répète ou qui travaille à se souvenir de toute l'histoire pour pouvoir fairedes comparaisons entre son temps et le temps passé est selon Nietzsche un homme faible incapable de faire face àla diversité de la vie, à la nouveauté.
L'oubli est pour l'auteur la qualité la lus importante de l'homme, c'est ce qui luipermet d'être heureux, de ne pas ressasser les erreurs du passé : « il est toujours une chose par laquelle le bonheurdevient le bonheur : la faculté d'oublier ou bien en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussilongtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique.
» Cela signifie que le bonheur implique unrapport au temps qui soit celui du présent : ne peut être heureux que l'homme qui vit l'instant, et non pas celui quise remémore le passé.
Affirmer la vie, c'est refuser la nostalgie.
Ainsi, chercher à se souvenir de son passé, c'estchercher dans l'histoire des principes récurrents qui empêchent l'homme de vivre dans son temps.
C'est aussis'enfermer et nier sa vie actuelle pour lui en préférer une autre..
»
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