Devoir de Philosophie

SUBJECTIVITÉ ET RATIONALITÉ : PRINCIPES DE LA MODERNITÉ Philosophique

Publié le 02/05/2022

Extrait du document

Plan Introduction I. L’AVÈNEMENT DE LA SUBJECTIVITÉ ET DE LA RATIONALITÉ II. LA LIBERTÉ DE L’INDIVIDU FONDÉE EN RAISON : LE DROIT NATUREL III. LES DIMENSIONS DE LA RAISON PRATIQUE D'APRÈS KANT IV. L’ÉTAT COMME INCARNATION DE LA RAISON V. ATTITUDE DE MODERNITÉ ET PROGRÈS MORAL VI. PROBLÉMATIQUE DU DÉPASSEMENT DE LA PHILOSOPHIE DU SUJET Introduction L’objectif principal du cours est d’analyser les concepts de subjectivité et de rationalité et leur couplage depuis Descartes jusqu’aux philosophies de-constructives de Derrida et de Michel Foucault et le dépassement de la philosophie du sujet par Habermas, en passant par Kant, Hegel, Marx, Nietzsche, Heidegger. La convocation ici de ces auteurs est nécessitée par le fait que l’élaboration des concepts de subjectivité et de rationalité n’a pas été réalisée d’un seul coup, ni par un seul philosophe. Chacun a concouru à sa manière à l’édification de la philosophie du sujet et de la modernité. Il s'agit aussi de voir comment s’est effectué dans une perspective philosophique ce processus d’émancipation vis-à-vis d’un monde dominé par la religion, l’obscurantisme et l’absolutisme politique. C’est un processus dans lequel la raison passe de son statut de “servante de la religion” à un statut de “juge suprême” qui ne se reconnaît plus de transcendance. Un mouvement d’émancipation de l’homme qui s’est fait sous l'impulsion d’une subjectivité dont HABERMAS explique (d’après HEGEL) les implications : «a) l'individualisme : dans le monde moderne, c’est la singularité infiniment particulière qui est en droit de faire valoir ses prétentions ; b) le droit à la critique : le principe du monde moderne exige que ce que chacun doit accepter lui apparaisse comme quelque chose de 4 justifié ; c) l’autonomie de l’action : il appartient aux temps modernes de vouloir répondre de ce que nous faisons ; enfin, d) la philosophie idéaliste : pour Hegel, c’est l’œuvre des temps modernes pour autant que la philosophie saisit l’Idée qui a conscience d’ellemême » 1 . Toutes ces connotations attachées au principe fondamental des “temps moderne” méritent d’être développées à la lumière d’une “dialectique de la raison” depuis (I) BACON et DESCARTES, (II) les théories du droit naturel (III) puis l’universalisme moral kantien, (IV) l’Etat comme incarnation de la raison (V) l’idée kantienne d’un progrès moral de l’humanité et enfin (VI) aux tentatives de dépassement de la philosophie du sujet. I. L’AVÈNEMENT DE LA SUBJECTIVITÉ ET DE LA RATIONALITÉ Dans les Principes de la philosophie (1644), DESCARTES réfute la philosophie telle qu’elle a été pensée et déterminée jusqu’à lui. Cette philosophie n’a guère pu atteindre le degré lui permettant d'accéder à la vraie sagesse. A ce degré, il s’agit de « [...] chercher les premières causes et les vrais principes dont on puisse déduire les raisons de tout ce qu’on est capable de savoir » 2 . Jusque-là, la philosophie n’a atteint que quatre degrés de sagesse : - l’acquisition de notions claires d’elles-mêmes sans médiation ; [l’intuition] - la connaissance par l’expérience des sens ; [la perception] - l’attention portée à la conversation des grands hommes [l’observation] ; et - la lecture des grandes œuvres3 . [la culture générale] DESCARTES est convaincu que c’est tout ce qui fait la grandeur des principales philosophies et des principaux philosophes dont PLATON et ARISTOTE. Le premier, suivant son maître SOCRATE, « [...] a ingénument confessé qu’il n’avait encore rien pu trouver de certain, et s’est contenté d’écrire les choses qui ont semblé être vraisemblables, imaginant à cet effet quelques principes par lesquels il tâchait de rendre raison des choses : au lieu qu’Aristote a eu moins de franchise ; et bien qu’il eût été vingt ans son disciple, et qu’il n’eût point d’autres principes que les siens, il a entièrement changé la façon de les débiter, et les a proposés comme vrais et assurés, quoiqu’il n’y ait aucune apparence qui les ait jamais estimés tels. Or, ces deux hommes avaient beaucoup d’esprit et beaucoup de la sagesse qui s’acquiert par les quatre moyens précédents, ce qui leur donnait beaucoup 1 HABERMAS, J. le Discours philosophique de la modernité, Paris : Gallimard, 1988, p. 20. 2 DESCARTES, “Les principes de la philosophie” in Œuvres et lettres, Paris, Gallimard, 1953, p. 560. 3 Cf. “Les principes de la philosophie” in op. cit. p. 559. 5 d’autorité » 4 . Cette autorité a beaucoup déterminé les esprits à tel point qu’a couru à travers les siècles la fameuse expression “c’est ARISTOTE qui l’a dit, donc il n’y a rien à redire”. C’est l’effondrement de cette autorité que consacre la philosophie cartésienne, d’autant plus qu’avec le Discours de la méthode on est supposé atteindre le cinquième degré, celui qui ouvre l’accès à la vraie sagesse hypostasiée dans un monde intelligible par PLATON ou dans une “cité de Dieu” par Saint AUGUSTIN. Selon DESCARTES, c’est ici-bas que se réalisera “l’amour de la sagesse”. À partir de ces considérations préliminaires, nous pouvons tenter d’établir un ordre des vérités d’après Descartes. On connaît l’obstacle indéniable auquel se heurte la ferme volonté de DESCARTES de tout récuser en doute : c’est son existence en tant que sujet pensant, sujet “doutant”. Cet obstacle apparaît à l’esprit négateur de DESCARTES comme non seulement la première vérité mais également comme le premier principe de la philosophie qu’il projette de fonder : cette vérité « je pense, donc je suis était si ferme et assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais » 5 . De ce principe sont déduits tous les autres principes et vérités. Dans la “Lettre de l’auteur à celui qui a traduit le livre”, les Principes de la philosophie, du latin au français, DESCARTES résume ces principes et ces vérités fondamentaux. D’abord du (1) cogito ergo sum il déduit “très clairement” (2) l'existence de Dieu comme “auteur de tout ce qui est au monde”, garant de la validité des énoncés véridiques - et non responsable des erreurs - de notre entendement. Mon existence et celle de Dieu fondent la véracité des choses immatérielles ou métaphysiques dont mes idées. De ces principes sont également déduits (3) ceux des choses matérielles, corporelles ou physiques, « à savoir, qu’il y a des corps étendus en longueur, largeur et profondeur, qui ont diverses figures et se meuvent en diverses façons » 6 . Il apparaît ici quelque chose de fondamental: la primauté du sujet pensant auquel le monde n'apparaît plus que sur un plan géométrique. Si le premier moteur aristotélicien (ou Dieu comme “acte pur”) détermine les inclinations de l’individu vers le Bien, ici le Dieu de DESCARTES n’est que le garant neutre d’une existence 4 Ibidem, p. 560. 5 DESCARTES, Discours de la méthode suivi des Méditations. Paris : 10/18, 1951, p. 62. 6 “Les principes de la philosophie” in Œuvres et Lettres, op. cit., p. 563. 6 subjective totalement libre et responsable. On comprend qu’à une nature conçue comme étendue géométrique, inerte, corresponde un créateur désintéressé, indiffèrent. A la physique mécanique, DESCARTES donne un nouveau fondement métaphysique, une signification philosophique basée sur le sujet pensant, libre, puisqu’indéterminé vis-à-vis de la matière. Ce sujet est « [...] une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle » 7 . Mais quel est le destin du sujet auto fondateur ? Comment, selon DESCARTES, pourrait-il réaliser ce destin singulier ? Répondre à ces questions revient à montrer comment la vraie sagesse se matérialise ici-bas. Dans l’idée de DESCARTES, la recherche ou la réalisation de la sagesse est bien l’œuvre qu’il assigne à la philosophie nouvelle : « [...] ce souverain bien considéré par la raison naturelle sans la lumière de la foi, n’est autre chose que la connaissance de la vérité par ses premières causes, c’est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l’étude » 8 . S’il est vrai que la philosophie peut atteindre son but uniquement par la lumière naturelle, la raison, il faut penser et espérer que le monde pourrait être inondé de sagesse. La déclaration universelle prononcée par DESCARTES dès la première proposition du Discours de la méthode en dit long : « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » 9 . Ainsi le bon sens, qui équivaut ici à la raison, à l’entendement, à l’esprit, n’est pas une conquête mais une donnée naturelle, c’est par lui que le sujet pense, doute, veut, nie, imagine. Comme tel, il est équitablement attribué à tout être humain. C’est la méthode pour s’approprier la connaissance, la vérité, la nature qui, elle, a toujours été la conquête dont DESCARTES s’est voulu le commandeur des “temps modernes” - pour une maîtrise de la nature. A cet effet, la sixième partie du Discours de la méthode est éloquente en ce qu’elle expose clairement l’intention de son auteur. Les notions qu’il a acquises en physique lui on fait voir comment “exploiter techniquement” les connaissances : « [...] elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous pourrions les employer de la même façon à tous 7 Discours de la méthode, op. cit. p. 62. 8 “Principes de la philosophie” in Oeuvres et Lettres, op. cit. p. 559. 9 Discours de la méthode, op. cit. p. 29. 7 les usages auxquels il sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » 10 . Avec DESCARTES, il en est fini semble-t-il d’une philosophie contemplative, spéculative. Elle est devenue un arbre nourricier, un arbre qui ne produit plus de fruit spéculatif. Donnant racines à la physique mécanique, l’auteur du Discours et des Principes montre bien que c’est par les extrémités des branches qu’il faut cueillir les fruits mûrs. Mais il faut quand même souligner que DESCARTES Erreur ! Signet non défini.n’est pas le premier à émettre l’idée d’une domination de la nature. François BACON, bien avant lui, avait proposé une “restauration des sciences” en vue de servir la “grande famille humaine”. Il a supposé la philosophie et les sciences - comme DESCARTES le fera de la physique - en difficulté : « la philosophie [...] et les sciences intellectuelles, semblables à des statues, sont encensées et adorées, mais demeurent immobiles » 11. Pour impulser un dynamisme à ces différents corps, il propose non seulement la séparation des choses divines - la religion - de la philosophie (qui peut faire fond sur les sciences expérimentales) mais aussi l’abandon du syllogisme hérité d’ARISTOTE parce qu'inefficace - « [...] cela non seulement quant aux principes [...] mais même quant aux propositions moyennes que le syllogisme parvient sans contredit à déduire et à enfanter bien ou mal, mais qui sont tout-à-fait stériles en œuvres, éloignées de la pratique, incompétentes quant à la partie active des sciences » 12 . A la place de cette méthode, il initie la méthode interprétative des lois de la nature, seule susceptible de monter la chaîne des causes efficientes: « en effet, l’homme, interprète et ministre de la nature, ne conçoit et ne réalise ses conceptions qu’en proportion de ce qu’il sait et ne peut rien de plus, car il n’est point de force qui puisse relâcher ou rompre la chaîne des causes ; et si l’on peut vaincre la nature, ce n’est qu’en lui obéissant » 13 . C’est avec la conjugaison de la puissance humaine et de la science rénovée que les deux buts, l’interprétation et l'administration de la nature, coïncident. La volonté de BACON de proposer une nouvelle manière d’exploiter techniquement la nature n’a d’égale que la conscience de la grandeur de l’entreprise qui dépasse le seul pouvoir d’un homme aussi savant soit-il : « [...] loin de nous flatter qu’une telle entreprise puisse s’achever dans le cours de la vie d’un seul 10 Ibidem, p.90-91. 11 François, “Grande restauration des sciences” in Œuvres philosophiques, Morales et Politiques, Paris : Desrez, [ MDCCC XXXVIII ], 1970, p. 40. 12 Ibidem. p.10. 13 ibidem, p.15. 8 homme, nous la léguons à d’autres enfin qu’ils la continuent » 14 . En effet, l’œuvre de conquête ne peut que se poursuivre si tant il est vrai qu’il faut sortir d’un état du passé. BACON ne semble pas régler véritablement ses comptes avec l’autorité de la religion qu’il a pourtant implicitement remise en cause. A la suite de FEUERBACH, on peut dire que BACON a rejeté la foi religieuse dès l’instant qu’il écrit que seule l'interprétation de la nature mène au succès par “l’information des sens” mais paradoxalement avec une volonté toujours déterminée par la divinité : « ainsi, comme le succès de notre entreprise ne dépend nullement de notre volonté, nous adressons à Dieu en trois personnes [la sainte trinité] nos très humbles et très ardentes supplications » 15. Faire dépendre la volonté conquérante de la nature de la transcendance divine, c’est garder un pas dans un moyen âge attardé. Il faut peutêtre croire avec Emile BREHIER qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « prudence presque tatillonne, le désir, dans l’œuvre séculaire qu’il commence, de distribuer à chacun [...] une tâche limitée et précise » 16 . On peut dire de ce fait que DESCARTES mérite mieux que BACON le titre honorifique de “père de la modernité”. Car s’il reconnaît que Dieu est le créateur de toute chose, il dégage sa responsabilité dans l’action humaine. Dieu a peut-être fait notre volonté infinie au contraire de notre entendement, mais les errements et les fautes du sujet pensant ne lui sont pas pour autant imputables. DESCARTES situe en le sujet la responsabilité du jugement: « car en effet ce n’est point une imperfection en Dieu, de ce qu’il m’a donné la liberté de donner mon jugement, ou de ne pas le donner, sur certaines choses dont il n’a pas mis une claire et distincte connaissance en mon entendement; mais sans doute c’est en moi une imperfection, de ce que je n’en use pas bien, et que je donne témérairement mon jugement, sur des choses que je ne conçois qu’avec obscurité et confusion » 17 . Mes erreurs et mes fautes viennent de la confusion que je fais dans les opérations de ma volonté plus ample et celle de mon entendement limité, qui sont chez DESCARTES les catégories fondamentales de la raison. Mes erreurs et mes péchés viennent du fait que « la volonté étant beaucoup plus ample et plus étendue que l’entendement, je ne la contiens pas dans les mêmes limites, mais que je l’étends aussi aux choses que je n’entends pas; auxquelles étant de soi indifférente, elle s’égare fort aisément, et choisit le mal pour le bien, ou le faux pour le vrai » 18. D’où la nécessité de la méthode dans nos jugements et dans nos conceptions. C’est par la méthode que 14 Ibid. p. 8. 15 Ibid. p. 7. 16 BREHIER, E. Histoire de la philosophie II. Paris P.U.F, 1930-1938, p. 20. 17 Méditations, op. cit. , p. 227. 18 Ibidem, p. 224. 9 l’homme peut être interprète et ministre ou maître et possesseur de la nature. Autant BACON fait fond sur les sciences expérimentales parce qu’il fait confiance à nos sens - en dépit du fait qu’ils sont parfois trompeurs - autant DESCARTES donne son aval, sa confiance à une méthode d’inspiration mathématique pour la clarté et l’évidence des énoncés. Cependant la nouveauté n’est pas la méthode, mais le principe fondateur dégagé par le doute : je [subjectivité] pense [rationalité], donc je suis. La pensée étant toutes choses que le sujet conçoit - entend, veut, imagine mais aussi sent -, sa réalisation ne peut être effective que par la maîtrise de la nature externe et de la nature interne. L’homme est cette nature interne en ce qu’il est un élément de la nature qui a des désirs, des besoins, des sentiments à satisfaire. Cela le met en rapport avec d’autres hommes. Sur ce plan, ni BACON, ni DESCARTES n’ont vraiment proposé quelque chose de “nouveau” du point de vue de la morale moderne. L’arbre philosophique de Descartes a été attaqué de diverses manières. On a pu opposer à la conception cartésienne de la nature d’autres comme celle de SPINOZA qui identifie Dieu à la substance étendue ; au mécanisme cartésien, LEIBNIZ oppose une dynamique reposant sur la force vive ; LOCKE s’oppose aux idées innées de DESCARTES19... Mais, on peut dire que jusqu’à NIETZSCHE, le fondement que l’auteur du Discours de la méthode a donné était restée malgré tout enraciné dans la conscience philosophique moderne. C’est sur le sujet, l’individu, que doit reposer l’action. II. LIBERTÉ DE L’INDIVIDU FONDÉE EN RAISON : LE DROIT NATUREL S’il a été possible par le doute de tout nier, de tout remettre en cause, afin de reconstruire à partir de soi le monde, c’est parce qu’au fond, l’homme est un être doué de la capacité d’abstraction et de réflexion. Et si avec DESCARTES, le sujet s’est posé comme propriétaire et maître de la nature, c’est parce que malgré le corps qui le détermine, malgré l’éducation qu’il a reçue, il dispose d’une puissance qu’il entend bien exercer sur les choses. Mais on ne peut sur le plan de la pensée clamer sa puissance vis-à-vis de la nature et accepter sur le plan de la société quelque autre puissance quelle qu’elle soit : puissance politique, puissance féodale comme puissance religieuse ; à moins de manquer de courage quand on n’a pas pris conscience tout simplement de l’état d’aliénation dans lequel la tradition et ses figures maintiennent l’individu. Dans tous les cas, le penseur critique de la société a un éventail de choix : “avancer masqué” comme le dit DESCARTES, à visage découvert ou légitimer un état de fait quand on ne choisit pas de fermer les yeux ou de rester insensible. 19 Cf. RODIS - LEVIS, Geneviève, Descartes et le rationalisme Paris : Paf., 1977. 10 Dans le cadre de la modernité, la pensée politique a fait le pari de ne rien fonder que sur l’individu et la raison. D’où l’individualisme et le rationalisme. Logiquement, par rapport à une nature démythifiée et démystifiée par la raison, comment justifier l’esclavage au sein des hommes, le despotisme ou toutes les formes d’inégalités parmi les hommes ? D’où l’hypothèse d’un état de nature pour mieux fonder l’état de société juste, égalitaire et libre. Chez un auteur comme SPINOZA, il s’agit de revoir la conception cartésienne de Dieu, de la nature et de l’homme. La substance étendue de Descartes devient la substance absolue qui n’est rien d’autre que Dieu. D’où le panthéisme de Spinoza. Comme tel, Dieu ou la Nature est l’absolue liberté qui n’agit pourtant que par nécessité. L’homme étant une parcelle de cette nature, tout ce qu’il possède lui vient de Dieu : « puisqu’en effet, Dieu a droit sur toutes choses et que le droit de Dieu n’est rien d’autre que la puissance de Dieu en tant qu’elle est considérée dans sa liberté absolue, tout être dans la nature tient de la nature autant de droit qu’il a de puissance pour exister et agir » 20. Avec « La même liberté d’esprit qu’on a coutume d’apporter dans les recherches mathématiques » 21 , SPINOZA déduit de là que l’amour, la haine, la colère, l’envie, la pitié... sont autant de propriétés de l’homme, que la liberté est une perfection en lui22. A “l'état de nature”, il a des droits à la mesure de sa puissance : « [...] le droit naturel de la Nature entière et conséquemment de chaque individu s’étend jusqu'où va sa puissance, et tout ce que fait un homme suivant les lois de sa propre nature souveraine, et il a sur la nature autant de droit qu’il a de puissance » 23 . Et à l’état de nature, il n’y a pas de péché, car il n’y a pas d’interdit prononcé ou codifié : « [...] le droit de nature n’interdit absolument rien, sinon ce qui n’est au pouvoir de personne » 24. Le droit et la règle de la nature sont tels que rien n’est interdit sauf ce qu’on ne peut faire ou désirer. Et la nature n’est pas soumise aux « lois de la raison humaine qui tendent à l’utilité véritable et à la conservation des hommes » 25. Mais pour le genre humain, le droit naturel n’est concevable que là où les hommes sont réunis pour habiter, cultiver ensemble, se protéger. C’est en commun qu’ils auront donc ces droits26. Dans le Traité théologico-politique - dont certaines idées sont résumées dans le Traité Politique - on peut lire que « le Droit Naturel de chaque homme se définit non par la saine Raison mais par le désir et la puissance27 ». Ce droit est une 20 SPINOZA, Traité politique. Lettres, Paris, Flammarion [ ], p.16. 21 Ibidem, p. 13. 22 Ibid. 23 Ibid., p.16, l’assimilation de Dieu à la nature justifie la majuscule de Nature. 24 Ibid. p. 22. 25 Ibid. p. 19. 26 Ibid. p. 21. 27 SPINOZA, Traité théologico-politique, Paris : Flammarion, 1965, p. 262. On voit là une préfiguration de la théorie du désir chez FREUD et celle de la volonté de puissance chez NIETZSCHE. 11 institution de la Nature, de Dieu ; elle donne à l’individu une souveraineté totale sur toute chose pour autant qu’il le détermine à exister et à se comporter selon sa nature : c’est-à-dire comme être de désir et de raison. Ce droit de nature est défendu par LOCKE qui s’oppose à la théorie de HOBBES en ce qu’elle conduit au totalitarisme (l’homme est un loup pour l’homme, car la méchanceté est inscrite dans sa nature. Et c’est pour éviter une mort certaine de l’espèce qu’il faut que les hommes signent un contrat unilatéral avec le Prince éclairé, le Léviathan - monstre qui se nourrit d’après la Bible, d’animaux marins). LOCKE, quant à lui, part de la Bible dans laquelle il est dit que Dieu a accordé à ADAM, à NOE et à ses fils la terre et tout ce qu’elle contient. Sa déduction va établir que les hommes possèdent la terre en commun et chaque homme se possède ; et c’est par le travail que chaque individu peut s’approprier la nature par le biais du don divin : « Dieu qui a donné la terre aux hommes en commun, leur a donné pareillement la raison, pour faire de l’un et de l’autre l’usage le plus avantageux à la vie et le plus commode » 28 . C’est pour cette raison que le travail de l’homme ne saurait être aliéné : « le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains, nous pouvons le dire, sont son bien propre. Tout ce qu’il a tiré de l’état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul » 29 . LOCKE justifie par-là la possession privée fondée sur le travail libre. En effet, pour lui, « [...] la condition de la vie humaine, qui requiert le travail et une certaine matière sur laquelle on puisse agir, introduit nécessairement les possessions privées » 30. D’où le travail apparaît comme droit de propriété, manière de réaliser sa vie. Quant à ROUSSEAU, qui réfléchit sur la même question un siècle plus tard, pour arriver à une idée vraie du droit naturel, il faut d’abord connaître la nature de l’homme : « [...] tant que nous ne connaîtrons point l’homme naturel, c’est en vain que nous voudrons déterminer la loi qu’il a reçue » 31. Et c’est surtout contre la conception de l’état de nature de HOBBES que s’érige ROUSSEAU : « n’allons pas [...] conclure avec HOBBES que, pour n’avoir aucune idée de la bonté, l’homme soit naturellement méchant [...] l'état de nature étant celui où le soin de notre conversation est le moins préjudiciable à celle d’autrui, cet état était par conséquent le plus propre à la paix et le plus convenable au genre humain32 ». La vie authentique de l’homme, dégagée hypothétiquement, serait la vie à l’état de nature. L’homme tel qu’il a pu “sortir des mains de la nature” apparaît à ROUSSEAU comme un bon timide. C’est 28 LOCKE, J. Traité du gouvernement civil, Paris : Flammarion, 1984, p. 194. 29 Ibidem. p. 195. 30 Ibid. p. 201. 31 ROUSSEAU, J.J. Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Paris : 10/18, 1973, p. 295. 32 Ibidem. p. 330. 12 plutôt la société qui le rend selon lui tel que HOBBES a dû le concevoir : méchant, vicieux au lieu du solitaire, de l’homme simple qui vit en paix avec ses semblables. L’homme de ROUSSEAU à l'état de nature restait “toujours enfant”, car sans éducation, sans parole, sans nul besoin de ses semblables, ses désirs envers les autres sont sans nuisance : « [...] dans le tableau du véritable état de nature, combien l’inégalité, même naturelle, est loin d’avoir dans cet état autant de réalité et d’influence que prétendent nos écrivains33 ». L’origine des progrès autant que celle des inégalités, sensibles au niveau des hommes, réside plutôt « [...] dans les développements successifs de l’esprit humain34 ». MONTESQUIEU n’est pas loin de partager la conception de ROUSSEAU du droit naturel. Selon lui, à l’état de nature l’homme serait également timide et craintif. Mais tandis que pour l’auteur du Contrat social, l'état de nature est une hypothèse de travail, chez l’auteur de l’Esprit des lois, le prototype de l’homme de cet état a été « trouvé dans les forêts des hommes sauvages35 » - « Témoin le sauvage qui fut trouvé dans les forêts de Hanovre et que l’on vit en Angleterre sous le règne de Georges 1er » 36. Ici, au contraire de chez ROUSSEAU, il y a des lois naturelles, c’est-à-dire des lois qui viennent de l’individu, de l’être humain. Dans une situation où chacun se sent inférieur, la première loi est la recherche de la paix. La seconde découle du besoin de se préserver ; c’est la loi qui est inspirée par la recherche de la subsistance. La troisième loi serait la prière que les hommes se font les uns aux autres, guidés par la crainte réciproque et en même temps par le besoin de se rapprocher- ce que KANT appelle du nom de “l’insociable - sociabilité”. D’où une quatrième loi naturelle qui pousse à la vie en société37 . Dans tous les cas, ces raisonnements hypothético-déductifs ou empiriques chez LOCKE, d’inspiration naturaliste comme chez ROUSSEAU ou chez MONTESQUIEU, visent à fonder en raison la liberté, les droits et les devoirs de l’individu. Ils visent également et surtout à fonder la loi sociale et par surcroît la légitimité politique. L’homme apparaît avec SPINOZA, comme être de désir et de raison, avec LOCKE comme être de liberté, de travail et de propriété, chez ROUSSEAU comme un être naturellement bon, chez MONTESQUIEU, un être perfectible, faible et qui a besoin des autres. Son destin est inéluctablement social et humain, sinon essentiellement terrestre. Qu’il soit poussé vers l'état de société par la nécessité de se maintenir et d’éduquer ses désirs en vue d’un rôle social, qu’il soit poussé par le besoin de protection ou par celui de la loi et de l’ordre, il n’en 33 Ibid., p. 341. 34 Ibid., p. 344. 35 MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois T1, Paris : Flammarion, 1979, p. 126. 36 Ibidem. note a. 37 Cf. De l’esprit des lois, op. cit. p. 126-127. 13 demeure pas moins qu’il est avant tout un être de “bon sens”, de raison, d’entendement et de volonté. Comme tel, il a le droit de vivre sous un régime social, politique fondé en raison et par la raison. Il lui faut une société de droit rationnel, égalitaire et juste. III LES DIMENSIONS DE LA RAISON PRATIQUE D'APRÈS KANT Rousseau dans le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes38 montre la différence entre l'homme et l'animal. Tandis que ce dernier a une nature instinctuelle qu’il répète sans changement véritable dans son évolution, l’homme doté d’un corps, d’une machine ingénieuse, est doublé d’une faculté spirituelle qui ne connaît point de limite dans son développement ; la raison se distingue en un entendement qui entretient des rapports interdépendants avec les passions ; une puissance de vouloir ou de choix qui révèle sa spiritualité et qui lui permet de résister au mécanisme de la nature ; une faculté de perfectionnement presqu’illimité. A ces facultés ROUSSEAU éprouve une grande tristesse à rattacher “tous les malheurs de l’homme” et le fait de quitter un état de vie simple - état dans lequel l’inégalité était moindre39. C’est justement en faisant fond sur la nature spirituelle de l’homme - que ROUSSEAU n’a fait qu’effleurer - que KANT fonde dans le sujet le respect de la loi morale. Comment effectue-t-il cette fondation ? Il reprend en des termes différents la définition rousseauiste de l’homme dans ses Fondements de la Métaphysique des mœurs : « toute chose dans la nature agit d’après des lois. Il n’y a qu’un être raisonnable qui ait la faculté d’agir d’après la représentation des lois, c’est-à-dire d’après des principes, en d’autres termes, qui ait une volonté. Puisque, pour dériver les actions des lois, la raison est requise, la volonté n’est rien d’autre qu’une raison pratique » 40 ; ainsi cette volonté infinie chez DESCARTES, toute puissante chez ROUSSEAU, devient-elle chez KANT la raison pratique qui se distingue d’une raison théorique. En effet la première Critique de KANT établit l'existence d’une raison théorique qui n’est rien d’autre que l’entendement. Cette distinction vise sur le plan de la critique l’usage théorique et l’usage pratique de la raison. Dans la Critique de la raison pure, KANT précise la nature du projet : porter la révolution copernicienne dans la métaphysique ; autrement dit, donner à la métaphysique une autre vision des choses. Toutes les autres disciplines du savoir ont atteint un certain seuil dans la science. La logique a acquis ses lettres de noblesse avec ARISTOTE. Les mathématiques ont quitté le sol des opérations concrètes pour devenir abstraites, efficaces, grâce à des penseurs comme THALES. En physique où des savants comme GALILEE, TORICELLI, BACON, 38 Rousseau, J.-J, .Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes. Paris : 10/18, 1973. 39 Cf. Discours sur l’origine de l'inégalité... in op. cit. pp. 313-315. 40 KANT, Fondement de la Métaphysique des Mœurs, Paris : Delagrave, 1971, p. 122. 14 STHAL ont dépouillé la nature de toute puissance métaphysique et théologique, KANT voit le déploiement d’une raison qui se découvre des lois naturelles confirmées par l’expérience. L’astronomie connaît la révolution avec COPERNIC qui démontre que, contrairement aux vues empiristes, c’est la terre qui tourne autour du soleil qui, lui, est fixe. Il n’y a que la métaphysique qui s’empêtre dans le tâtonnement sans accéder au stade scientifique. Pour ce faire KANT propose ceci : « on a admis jusqu’ici que toute nos connaissances devaient se régler sur les objets ; mais dans cette hypothèse, tous nos efforts pour établir à l’égard de ces objets quelque jugement a priori et par concept qui étendît notre connaissance n’ont abouti à rien. Que l’on cherche donc une fois si nous ne serions pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique, en supposant que les objets se règlent sur notre connaissance, ce qui s’accorde déjà mieux avec ce que nous désirons [démontrer], à savoir la possibilité de connaissance a priori de ces objets qui établisse quelque chose à leur égard, avant même qu’ils nous soient donnés41 ». KANT arrive à la conclusion que le pouvoir de connaître- le pouvoir d’entendement - est limité à l’espace et au temps, à l’expérience et aux phénomènes. Le noumène, le monde intelligible qui est de l’ordre de la divinité, de l’immortalité de l’âme et de la liberté ne peut être que pensé, mais non connu, car il dépasse l’entendement humain. Contrairement à l’hypothèse de DESCARTES, nous ne pouvons donc pas connaître la nature divine et tout ce qui est de l’ordre du divin. En outre, l’auteur des trois Critiques ne subordonne pas comme DESCARTES l’action morale à la connaissance absolue. La faculté de connaître qu’est l’entendement ne détermine pas l’action morale. Celle qui s’en occupe en le sujet est la volonté caractérisée par l’autonomie. C’est du moins ce que permettent de dire les Fondements de la Métaphysique des Mœurs ainsi que la deuxième Critique. KANT y établit des rapports directs entre les principes d’une morale, selon l’esprit de la première critique suscitée, et l’autonomie de la volonté. L’hypothèse kantienne veut que tous les concepts moraux aient leur origine a priori dans la raison, que celle-ci soit la raison du « commun des mortels » ou celle du philosophe. L’origine de ses postulats est pure. De ce fait, ils ne peuvent pas être déterminés par la réalité empirique. Cette origine rationnelle, pure, donne aux concepts de la morale toutes leurs valeurs au niveau de l’action ; c’est aussi « cette pureté d’origine qui les rend précisément pratiques suprêmes [...] » 42. C’est la raison pour laquelle tous les concepts et maximes ne doivent être puisés qu’à la source de la raison pure pratique. C’est un devoir pour chaque homme. Et dans ce cas, le respect de la loi morale doit être compris comme un impératif de la raison. KANT 41 KANT, E. Critique de la raison pure, Paris : Flammarion, 1976, p. 41-42. 42 Fondements de la Métaphysique des Moeurs, op. cit. , p. 120. 15 précise ce qu’il entend par impératif: « la représentation d’un principe objectif, en tant que ce principe est contraignant pour une volonté, s’appelle un commandement, et la formulation du commandement s’appelle impératif » 43. Il existe toutefois deux sortes d’impératifs: l’impératif hypothétique et l’impératif catégorique. Le premier représente la nécessité morale, pratique, d’une action possible comme moyen d’arriver à une fin extérieure, à un intérêt dont on ne connaît pas d’avance les conditions. Or, l’impératif catégorique est normalement la représentation d’une action « comme nécessaire par ellemême, et sans rapport à un autre but, comme nécessaire objectivement » 44 . Ne contenant en dehors de la loi que la nécessité de s’y conformer et ne contenant aucune condition, l’impératif catégorique ne peut revêtir que l’universalité d’une loi en général. La maxime de l’action se conformera à cet impératif catégorique comme à quelque chose de nécessaire : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » 45 . Et si la loi universelle n’est rien d’autre que la manière par laquelle la nature détermine les choses à exister, on peut reformuler cet impératif en ces termes suivants: « Agis comme si la maxime de ton devoir devait être érigée par la volonté en loi universelle de la nature » 46 . En outre si comme on l’a vu la volonté ne se rencontre que chez des êtres raisonnables et ne doit poursuivre qu’une fin de la raison - toute fin de la volonté doit être valable pour toute l’humanité, pour tous les êtres raisonnables. Autrement dit, toute fin d’un être raisonnable doit être celle d’un autre dans les déterminations de la volonté. C’est un principe objectif qui pose donc que « la nature raisonnable existe comme fin en soi » 47. En ce sens, le sujet de l’action doit considérer l’impératif pratique qui dit : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien que dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme un moyen » 48 . Toute volonté capable de concevoir objectivement une règle dans la forme de l’universalité, qui, subjectivement, conçoit tout être raisonnable comme fin en soi, sera en mesure d’instituer une législation universelle. C’est là un principe pratique de la volonté qui doit mettre l’individu en accord avec la raison pratique universelle. Et c’est la condition fondamentale de la moralité consistant donc à fonder, par une correspondance entre l’action et la législation universelle, un règne des fins. 43 Ibidem, p. 123. 44 Ibid., p. 125. 45 Ibid., p. 136. 46 Ibid., p. 137. 47 Ibid., p. 150. 48 Ibid. 16 Mais soulignons qu’une définition de l’homme qui ne tient compte que de la nature sensible ne peut soutenir une telle idée de l’impératif catégorique. Il faut la justifier par la conception d’un monde intelligible qui ne soit ni celle de la métaphysique classique (PLATON, ARISTOTE) ni celle de la théologie. La Critique de la raison pratique institue un monde intelligible aussi abstrait et formel que l’est l’idée mathématique. En fait, la démonstration du monde intelligible condamnée par la première Critique fait place dans la deuxième Critique à la légitimation de ce monde pour fonder l’usage pratique de cette même raison pure. Sinon comment dégager la responsabilité du sujet de l’action ? S’il ne doit pas être déterminé par un monde sensible, il faut justifier pourquoi il doit se laisser déterminer par une raison, une volonté dite autonome. Il a fallu postuler l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la liberté. C’est seulement ainsi que le devoir trouvera son fondement : dans la considération de l’homme comme personnalité, comme appartenant à un monde intelligible en tant que volonté libre. La liberté ou l’autonomie de la volonté institue la responsabilité dans l’action, l’existence de Dieu, la possibilité d’un Souverain Bien qu’on ne peut atteindre que si l’on suppose l’âme immortelle, persistant indéfiniment. Mais pour Kant, « ces postulats ne sont pas des dogmes théoriques, mais des hypothèses dans un point de vue nécessairement pratique » 49. Ils n’accroissent pas notre connaissance, à plus forte raison notre maîtrise de la nature. De problématiques qu’ils étaient dans la première Critique, ils deviennent assertoriques dans la Critique de la raison pratique pour fonder l’action et lui donner force. C’est là une signification pratique aux postulats sans les concevoir comme des catégories de l’entendement. Telles sont les conclusions qu’on peut tirer de la théorie de l’impératif catégorique développée par KANT. Le sujet de l’action ne doit pas respecter la loi morale pour des raisons utilitaires ou sentimentales. La loi doit être respectée pour ce qu’elle se donne : nécessaire et universelle. L’homme, quel qu’il soit, quel que soit son niveau intellectuel, peut respecter la loi morale. Car notre comportement social n’est pas déterminé par l’entendement, la connaissance, mais par la volonté, la raison déterminée pratiquement, c’est-à-dire par des lois universelles et nécessaires que chaque agent social peut trouver en vertu de son appartenance à un monde intelligible aussi inconnaissable que nécessaire. L’impératif catégorique dégagé comme tel a vocation de s’appliquer sous tous les cieux et dans n’importe quel contexte historique de l’humanité. Car le destin de l’humanité est de cultiver le savoir et de s’ennoblir par le respect de la loi morale. 49 KANT, E. Critique de la raison pratique, Paris, P.U.F., 1943, p. 141. 17 Dans la Critique de la faculté de juger, considérant que même s’il n’y a pas une finalité ultime de la nature pour l’homme, KANT pense qu’il s’y trouve des « êtres organisés » - les végétaux, les animaux, les hommes - à réaliser une certaine fin. L’homme qui « est la fin dernière [...] de la création sur terre, parce qu’il est en celle-ci le seul être qui peut se faire un concept des fins et qui par sa raison peut constituer un système des fins à partir d’un agrégat de choses formées finalement » 50, doit réaliser le bonheur (la morale rationnelle) et la culture (la connaissance). La causalité de l’homme est téléologique en tant que noumène, c’est-à-dire en tant qu’appartenant- en plus de sa nature sensible - à un monde suprasensible. « Des objets, qui en relation à l’usage conforme au devoir de la raison pure pratique (soit comme conséquence, soit comme principes) doivent être pensés a priori, mais qui sont transcendants pour l’usage théorique de la raison, sont des objets de croyance. Tel est le Bien suprême à réaliser dans le monde par la liberté » 51. Et la Critique de la raison pratique a déjà posé sa possibilité malgré la contrainte qu’il impose à la volonté: « [...] Le souverain bien est le but nécessaire et suprême d’une volonté moralement déterminée, un véritable objet de la volonté, car il est possible pratiquement, et les maximes de la volonté qui s’y rapportent, quant à leur matière, ont de la réalité objective » 52. Tel est le Bien à réaliser dans la société. IV. L’ÉTAT COMME INCARNATION DE LA RAISON L’État est pour Hegel l’incarnation de la Raison. La Raison est le devenir historique de l’Esprit absolu. L’Esprit absolu est le principe spirituel qui s’aliène dans le monde et s’en libère par la ruse de la raison. Cette ruse consiste à transformer en moyen tout objet ou sujet pour arriver à sa fin. Dans le cas de l’Esprit absolu les moyens sont les idées concrètes des hommes, les esprits des peuples, les individus, les passions ... « Autour de son trône ils se tiennent comme les agents de sa réalisation, comme les témoins et les ornements de sa splendeur. Comme esprit, il [l’Esprit du monde] n’est que le mouvement de l’activité par laquelle il se connaît soi-même absolument, se libère de la forme de la nature immédiate, il rentre en lui-même et ainsi les principes des incarnations de cette conscience de soi, au cours de sa libération qui sont des empires historiques, sont quatre » 53. En effet, HEGEL distingue quatre époques de l’Esprit dont le destin final est l’établissement d’un Etat rationnel capable de concilier liberté subjective et liberté substantielle - « La Raison existant en soi du vouloir qui se déploiera ensuite dans l’État » 54 .

« 1 PHI 401 SUBJECTIVITÉ ET RATIONALITÉ : PRINCIPES DE LA MODERNITÉ Philosophique Références Bibliographies BACON, François, “Grande restauration des sciences” in Œuvres philosophiques, Morales et - Politiques, Paris : Desrez, 1967. Code Cours : PHI.

401 PHI 401 : Modernité et postmodernité (60 heures, 6 crédits) (E.C.U.1) Cours : « Rationalité et subjectivité » 20h TD : 10h Objectifs Le cours sur Modernité et postmodernité, dans sa première déclinaison, vise à initier les étudiants aux réflexions qui envisagent les deux principes fondamentaux de la modernité occidentale, à savoir la rationalité et la subjectivité. Public visé Étudiants inscrits en Master I de philosophie. Prérequis Cours fondamentaux en philosophie antique et philosophie médiévale. Contenu Le cours examinera comment la rationalité et la subjectivité se sont imposées à partir de Descartes comme les deux principes de la philosophie moderne.

Par ce biais l’on définira ce qu’on appelle la philosophie du sujet.

Celle-ci est le processus de centrement de la rationalité sur le sujet qui se présentera comme conquérant d’une nature désenchantée et comprise comme étendue géométrique. Ce cours se penchera aussi sur la problématique de la postmodernité qui s’inscrit comme un dépassement dialectique de la modernité.

Mais l’on verra les difficultés liées à une telle volonté de dépassement de la modernité philosophie. Exigences et évaluations La participation à toutes les sessions est obligatoire, sauf absence dûment justifiée.

Le cours est évalué avec (1) un examen écrit et (2) des exposés en classe. BOUVERESSE,  Rationalisme et cynisme; Paris: Ed.

de Minuit, 1984. -CASSIRER, E. La philosophie des lumières.

Paris : Fayard, 1970. -DESCARTES, Œuvres et lettres.

Paris : Gallimard, 1953. - DESCARTES, Discours de la méthode suivi des Méditations.

Paris : 10/18, 1951, - BRÉHIER, E.

Histoire de la philosophie II.

Paris P.U.F, 1930-1938. -HABERMAS, J., Le Discours philosophique de la modernité, Paris : Gallimard, 1988. -KANT, Fondement de la Métaphysique des Mœurs, Paris : Delagrave, 1971.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles