Spinoza, Traité théologico-politique, chapitre XX
Publié le 11/04/2012
                             
                        
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La fin de l'État n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté. Nous avons vu aussi que, pour former l'État, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement, soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu'il est impossible que tous opinent pareillement et parlent d'une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l'individu n'avait renoncé à son droit d'agir suivant le seul décret de sa pensée. C'est donc seulement au droit d'agir par son propre décret qu'il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger : par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec w1e entière liberté opiner et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu'il n'aille pas au-delà de la simple parole ou de l'enseignement, et qu'il défende son opinion par la Raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l'intention de changer quoi que ce soit dans l'État de l'autorité de son propre décret. Par exemple, en cas qu'un homme montre qu'une loi contredit à la raison, et qu'il exprime l'avis qu'elle doit être abrogée, si, en même temps, il soumet son opinion au jugement du souverain (à qui seul il appartient de faire et d'abroger les lois) et qu'il s'abstienne, en attendant, de toute action contraire à ce qui est prescrit par cette loi, certes il mérite bien de l'État et agit comme le meillem des citoyens; au contraire, s'ille fait pour accuser le magistrat d'iniquité et le rendre odieux, ou tente séditieusement d'abroger cette loi malgré le magistrat, il est du tout un perturbateur et un rebelle. Nous voyons donc suivant quelle règle chacun, sans danger pour le droit et l'autorité du souverain c'est-à-dire pour la paix de l'État, peut dire et enseigner ce qu'il pense; c'est à la condition qu'il laisse au souverain le soin de décréter sur toutes actions, et s'abstienne d'en accomplir aucune contre ce décret, même s'il lui faut souvent agir en opposition avec ce qu'il juge et professe qui est bon.
 
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La 	fin 	de l'État  est 	donc 	en 	réalité  la liberté.
                                                            
                                                                                
                                                                     Nous avons  vu aussi  que, 	pour 	former 
l'État,  une 	
seule 	chose est nécessaire  : que 	tout 	le pouvoir  de décréter  appartienne 
soit  à tous  collectivement,  soit à quelques-uns,  soit à 	
un 	seul.
                                                            
                                                                                
                                                                     Puisque, 	en 	effet,  le 
libre  jugement  des 	
hommes 	est extrêmement  divers, que chacw1  pense être 	seul 	à 	
tout 	savoir  et qu'il  est impossible  que tous 	opinent 	pareillement  et parlent  d'	une 	
seule 	bouche,  ils ne  pourraient  vivre 	en 	paix si l'individu  n'avait renoncé  à son 
droit  d'agir  suivant  le 	
seul 	décret de 	sa pensée.
                                                            
                                                                                
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par 	son propre  décret qu'il a renoncé, 	non 	au 	droit  de raisonner  et de  juger  : 	par 	
suite 	nul 	à la  vérité  ne 	peut	, sans  danger 	pour 	le droit 	du 	souverain,  agir contre  son 
décret,  mais il 	
peut 	avec 	w1e 	entière  liberté opiner  et juger  et en conséquence  aussi 
parler,  pourvu  qu'il n'aille  pas au-delà  de la simple  parole 	
ou 	de l'enseignement,  et 
qu'il  défende  son opinion 	
par 	la Raison 	seule, 	non 	par 	la ruse,  la colère 	ou 	la haine, 	
ni 	dans  l'intention  de changer  quoi 	que 	ce soit  dans  l'État 	de 	l'autorité  de 	son 	
propre décret.
                                                            
                                                                                
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raison,  et qu'il  exprime  l'avis qu'elle  doit être abrogée,  si, en  même  temps,  il soumet 
son  opinion  au jugement 	
du 	souverain  (à  qui 	seul 	il appartient  de faire  et d'abroger 
les  lois)  et qu '	
il s'abstienne,  en attendant , de  toute  action  contraire  à ce  qui  est prescrit 	
par 	cette  loi, certes  il mérite  bien de l'État 	et agit 	comme 	le meillem 	des  citoyens; 	
au 	contraire,  s'ille fait 	pour 	accuser  le magistrat  d'iniquité  et 	le rendre odieux, 	ou 	
tente séditieusement  d'abroger  cette loi malgré  le magistrat , 	il est 	du 	tout 	un 	
perturbateur  et 	un 	rebelle.
                                                            
                                                                        
                                                                    Nous voyons 	donc 	suivant  quelle règle chacun,  sans 
danger 	
pour 	le  droit  et l'autorité 	du 	souverain  c'est-à-dire 	pour 	la paix de l'État, 	
peut 	dire  et enseigner  ce qu'il  pense;  c'est à la  condition  qu'il  laisse  au souverain  le 
soin  de décréter 	
sur 	toutes  actions, et  s'abstienne  d'en accomplir  aucw1e contre ce 
décret , 	
même 	s'il lui  fa	ut souvent  agir en opposition  avec ce 	qu'il jug	e  et  professe 	
qui 	est  bon.	>> 	
Lorsqu'elle  se fait 	réflexion  critique sur la politique, 	la philosophie 	en 	
vient  souvent  à penser 	le rapport  entre les fins 	et les fondements 	de 	l'État, 	
entendu  comme puissance  publique.
                                                            
                                                                                
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de  Spinoza 	
trace  les limites 	de 	l'intervention 	de 	l'État 	et définit 	du 	même 
coup 	
le 	champ d'une  pleine liberté.
                                                            
                                                                                
                                                                    	On 	sera attentif  à la  conception 	du 	
droit 	exposée  ici, ainsi  qu'à la défense  raisonnée  de la liberté  de penser 	et 	
d'exprimer  ses pensées.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Le 	terme « souverain », 	appliqué  à l'autorité  com
mune,  est envisagé  ici dans 	
une 	problématique  de 	la concorde des citoyens 
- celle-ci  n'excluant  nullement, 	
et 	appelant même, 	la 	libre discussion 
publique  pour changer  éventuellement  les lois.
                                                            
                                                                                
                                                                     Obéissance  civique 	
et capa
cité  de jugement  critique vont alors  de pair .
                                                            
                                                                                
                                                                    Spinoza  esquisse  ici 	
le principe 
de  laïcité  de l'É tat,  en libérant  entièrement  le pouvoir  de jugement  des 
hommes,  et en  assignant  la puissance  publique à son  rôle  de régulation  des 
seules  actions.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il faut 	
en 	effet 	un 	État  neutre  sur le plan  confessionnel 	pour 	
que la liberté  et l'égalité  éthique 	et juridique  des citoyens  soient effectives.
                                                            
                                                                                
                                                                    
En  d'autres parties 	
du 	même  traité, Spinoza  précise que l'organisation 
de  l'État  ne peut  être  placée  sous la tutelle 	
de « 	ministres 	du 	culte ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Ceux -ci.
                                                                                                                    »
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