Spinoza, Traité de l'autorité politique, chap. VI, § 3, Pléiade, p. 953. Commentaire
Publié le 24/03/2015
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« Si la constitution naturelle des hommes leur faisait désirer avec le plus d'ardeur ce qui tend à leur plus haut intérêt, toute intervention expresse, en vue de faire régner la concorde et la bonne foi, serait superflue. Mais telle n'est pas la pente habituelle de la nature humaine, on le sait. l'État doit donc être organisé nécessairement de manière que tous, gouvernants et gouvernés (qu'ils agissent de bon ou de mauvais gré) n'en mettent pas moins leur conduite au service du salut général. En d'autres termes, il faut que tous, par force et par nécessité si ce n'est spontanément, soient contraints de vivre selon la discipline de la raison. Pour que ce résultat soit atteint, le fonctionnement de l'État sera réglé de telle sorte, qu'aucune affaire important au salut général ne soit jamais confiée à un seul individu, présumé de bonne foi. Car l'homme le plus vigilant est cependant assujetti au sommeil, par intervalles, le plus fort et le plus inébranlable est sujet à faiblir ou à se laisser vaincre, aux moments précis ou il aurait besoin de la plus grande énergie. Nul puisqu'il en est ainsi, ne serait assez sot pour exiger d'un semblable une conduite, qu'il sait ne pouvoir s'imposer à soi-même : à savoir exiger que cet autre soit plus vigilant pour le compte d'autrui que pour le sien, qu'il ne cède ni à la cupidité, ni à l'envie, ni à l'ambition, alors que justement il est exposé chaque jour à l'assaut de tels sentiments. «
Spinoza, Traité de l'autorité politique, chap. VI, § 3, Pléiade, p. 953.
«
Textes commentés 43
Thèse - Si on admet que les hommes sont soumis à leurs passions, on
comprendra qu'ils
ne peuvent exiger de leurs gouvernants une vertu à
laquelle ils
demeurent eux-mêmes étrangers.
C'est pourquoi la
politique ne peut dépendre de la morale.
L'intérêt public
exigera
seulement qu'on préserve l'État des effets des passions en créant des
institutions qui amènent nécessairement les individus à le servir.
a) La connaissance de la nature humaine comme préalable à la
politique.
Pour Spinoza une réflexion réaliste sur la politique suppose
qu'on considère les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient
être.
Si les hommes étaient naturellement guidés par la raison, il
suffirait de leur montrer leur intérêt pour qu'ils s'y conforment.
Mais on
sait qu'il n'en est rien ; on peut parfaitement se représenter le bien,
l'approuver, et faire le mal.
La raison n'a pas le pouvoir de contrarier
les passions qui sont en l'homme comme les propriétés constitutives de
son être ; certains suivent ses conseils parce qu'ils confortent leur
prudence naturelle ou leur désir d'être estimé, mais d'autres
y sont
insensibles si leur ambition, leur envie ou leur cupidité leur
commandent de l'être.
b)
Traitement rationnel des passions.
Dans ces conditions, le salut de 1
l'État ne peut dépendre de la vertu des gouvernants.
Sans doute certains
seront-ils naturellement portés
à se dévouer à la chose publique, mais il
serait risqué de supposer que ce qui vaut pour un seul pourrait valoir
pour tous ; aussi l'État doit-il être aménagé de telle sorte que les
individus qui le servent ne puissent pas faire un usage personnel du
pouvoir qui leur est confié.
En multipliant les centres de décision et les
instances de contrôle, on prévient les tentations qui pourraient naître de
l'exercice solitaire du pouvoir ; en rémunérant les gouvernants, on
décourage la corruption puisque la pratique de l'honnêteté peut sans
aucun risque satisfaire
soP goût des richesses et des honneurs.
Ainsi
voit-on que
si les individus ne sont pas naturellement raisonnables, du
moins l'intérêt qu'ils portent à leurs passions les poussera-t-il à l'être,
et
qu'importe leurs motivations pourvu qu'en leur obéissant, ils ne nuisent
1 pas à l'intérêt général..
»
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