Socrate, l'homme
Publié le 22/02/2012
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«
que tient Alcibiade dans le Banquet de Platon et qu'il convientici de proposer in extenso.« Je dis d'abord que Socrate ressemble tout à fait à ces silènesqu'on voit exposés dans les ateliers des statuaires, et que les artistesreprésentent avec une flûte ou des pipeaux à la main : si vousséparez les deux pièces dont ces statues se composent, vous trouvezdans l'intérieur l'image de quelque divinité.
Je dis ensuite queSocrate ressemble particulièrement au satyre Marsyas.
Quant àl'extérieur, Socrate, tu ne disconviendras pas de la ressemblance ;et quant au reste, écoute ce que j'ai à dire : n'es-tu pas un railleureffronté ? Si tu le nies, je produirai des témoins.
N'es-tu pas aussijoueur de flûte, et bien plus admirable que Marsyas ? Il charmaitles hommes par la puissance des sons que sa bouche tirait de sesinstruments, et c'est ce que fait encore aujourd'hui quiconque exécuteles airs de ce satyre ; en effet, ceux que jouait Olympos, je prétendsqu'ils sont de Marsyas, son maître.
Or, grâce à leur caractèredivin, ces airs, que ce soit une artiste habile ou une méchantejoueuse de flûte qui les exécute, ont seuls la vertu de nous enleverà nous-mêmes et de faire connaître ceux qui ont besoin des initiationset des dieux.
La seule différence qu'il y ait à cet égard entreMarsyas et toi, Socrate, c'est que, sans le secours d'aucun instrument,avec de simples discours, tu fais la même chose.
Qu'unautre parle, fût-ce même le plus habile orateur, il ne fait, pourainsi dire, aucune impression sur nous ; mais que tu parles toimême,ou qu'un autre répète tes discours, si peu versé qu'il soitdans l'art de la parole, tous les auditeurs, hommes, femmes, adolescents,sont saisis et transportés.
Pour moi, mes amis, si je necraignais de vous paraître tout à fait ivre, je vous attesterais avecserment l'effet extraordinaire que ses discours ont produit et produisentencore sur moi.
Quand je l'entends, le coeur me bat avecplus de violence qu'aux corybantes ; ses paroles me font verser deslarmes, et je vois un grand nombre d'auditeurs éprouver lesmêmes émotions.
En entendant Périclès et nos autres grands orateurs,je les ai trouvés éloquents ; mais ils ne m'ont fait éprouverrien de semblable.
Mon âme n'était point troublée, elle ne s'indignaitpoint contre elle-même de son esclavage.
Mais en écoutantce Marsyas, la vie que je mène m'a souvent paru insupportable.
Tune contesteras pas, Socrate, la vérité de ce que je dis là ; et je sensque, dans ce moment même, si je me mettais à prêter l'oreille à tesdiscours, je n'y résisterais pas, ils produiraient sur moi la mêmeimpression.
C'est un homme qui me force de convenir que, manquantmoi-même de bien des choses, je néglige mes propres affairespour m'occuper de celles des Athéniens.
Je suis donc obligé dem'éloigner de lui en me bouchant les oreilles comme pour échapperaux sirènes ; sinon, je resterais jusqu'à la fin de mes joursassis à côté de lui.
Cet homme réveille en moi un sentiment donton ne me croirait guère susceptible, c'est celui de la honte : oui,Socrate seul me fait rougir car j'ai la conscience de ne pouvoir rienopposer à ses conseils ; et pourtant, après l'avoir quitté, je ne mesens pas la force de renoncer à la faveur populaire.
Je le fuis doncet je l'évite ; mais, quand je le revois, je rougis à ses yeux d'avoirdémenti mes paroles par ma conduite, et souvent j'aimeraismieux, je crois, qu'il n'existât pas : et cependant, si cela arrivait, jesais bien que je serais plus malheureux encore ; de sorte que je nesais comment faire avec cet homme-là.
Telle est l'impression queproduit sur moi, et sur beaucoup d'autres encore, la flûte de cesatyre.
»Platon, Le Banquet, 215a-216c.
»
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