Socrate : L'écriture, Phèdre, a un grave inconvénient
Publié le 19/03/2014
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« Socrate : L'écriture, Phèdre, a un grave inconvénient, tout comme la peinture. Les produits de la peinture sont comme s'ils étaient vivants ; mais pose-leur une question, ils gardent grave¬ment le silence. Il en est de même des discours écrits. On pour¬rait croire qu'ils parlent en personnes intelligentes, mais demande-leur de t'expliquer ce qu'ils disent, ils ne répondront qu'une chose, toujours la même. Une fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distin¬guer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler. S'il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n'est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-même.
Phèdre : C'est également très juste.
Socrate : Mais si nous considérions un autre genre de dis-cours, frère germain de l'autre, et si nous examinions comment il naît et combien il est meilleur et plus efficace que lui ?
Phèdre : Quel discours ? Et comment naît-il ?
Socrate : Celui qui s'écrit avec la science dans l'âme de celui qui étudie, qui est capable de se défendre lui-même, qui sait parler et se taire suivant les personnes.
Phèdre : Tu veux parler du discours de celui qui sait, du dis-cours vivant et animé, dont le discours écrit n'est à proprement parler que l'image ? «
Platon, Phèdre, 275 d-275 e, traduit par É. Chambry, Éd. Flammarion, 1950.
Le texte écrit s'oppose à la parole vivante
Pour Socrate le statut des discours écrits est identique à celui de la peinture. Celle-ci est représentation du réel. Elle est un « comme si «. Autrement dit la peinture est un leurre
«
même que précédemment : « demande leur de t'expliquer».
Pour la peinture c'était le silence, pour le discours écrit c'est
le discours écrit lui-même, qui
se répète invariablement.
Fixité bête qui s'oppose à la variété intelligente des réponses
qui ne manqueraient pas de surgir dans
un dialogue vivant.
Se répétant sans fin, le discours écrit n'a en fait rien à dire ...
Tout au moins est-il incapable de se commenter, il n'a
aucun savoir sur lui-même, il n'est qu'une lettre morte dont
l'âme a disparu.
Le texte écrit s'oppose, comme Phèdre le
suggère plus loin, au « discours vivant et animé ».
1 Le discours vivant s'écrit avec la science
Le sujet parlant a la possibilité du choix de l'interlo
cuteur
La parole vivante «une fois » écrite, perd par là même son
statut et, avec
le papyrus, devient une chose, un rouleau qui
« roule partout ».
La parole précieuse choisit son interlo
cuteur
et sait même se taire .
Le discours écrit au contraire,
devenu objet, s'offre à tous
et passe entre toutes les mains.
Seul le sujet vivant et parlant a la possibilité du choix de l'in
terlocuteur.
Il interpelle intellectuellement le savoir de ceux
qui sont autorisés à lui parler .
C'est qu'il y a sans doute un
rapport entre la parole vivante et le sacré, duquel est à
exclure le profane qui doit rester hors
du temple.
De même
peut-on distinguer,
et justement chez Platon, un enseigne
ment théorique adressé à tous, et un enseignement ésoté
rique, qui ne concerne que quelques uns.
Le lieu de la parole
vivante est
un lieu polémique où des thèses sont à soutenir .
La force de la parole vivante tient à la fois à la justice de la
thèse soutenue (Socrate)
ou à l'habileté avec laquelle elle est
défendue (les sophistes) .
Le discours écrit est comme un
enfant qui « a toujours besoin du secours de son père ».
Le discours vivant et animé est le discours « de celui
qui sait»
Le « discours vivant et animé » est celui qui, selon Socrate,
~ s,écrit avec la science », ou encore c'est le discours, selon
Phèdre,
«de celui qiû sait ».
C'est ce savoir, cette science qui
animent le discours parlé, lui
donnent un souffle, une vie.
Le discours écrit est coupé de cette vie, il a perdu l'impul
sion que
donne tout savoir authentique .
On peut le copier
et le recopier à loisir, il n'est qu'une image, copie pâle et
fixe, loin de la réalité de la science, familière des Idées •
61.
»
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- Socrate : « Les produits de la peinture sont comme s'ils étaient vivants; mais pose-leur une question, ils gardent gravement le silence. II en est de même des discours écrits. » Platon, Phèdre, Ive s. av. J.-C. Commentez cette citation.
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