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Socrate: ACCOUCHEUR DE LA PENSEE

Publié le 14/11/2018

Extrait du document

socrate

LA MORT DE SOCRATE

 

Deux Apologies de Socrate relatent sa fin : la première, sans doute de Xénophon, est moins connue que la seconde, très probablement de Platon, et qui reprend les arguments de la défense. Socrate y rappelle combien Dieu est pour lui la référence, plus que l'homme, et qu'il n'a pas corrompu, mais éduqué la jeunesse. Cependant, les mensonges habiles des accusateurs convainquent la majorité des juges ; ayant le droit de proposer une autre peine que la mort, Socrate réplique par l'ironie : il demande à être nourri au Prytanée, lieu où se retrouvent les bienfaiteurs de la patrie - ce qui entraînera une condamnation plus ferme à la peine capitale. Pendant un mois, il reste en prison, visité par ses amis, parmi lesquels Phédon et Criton, qui préparent une évasion que refuse le philosophe : ayant soutenu la valeur des lois, et l’importance d’apprendre à mourir, il ne peut songer à s'échapper. Jusqu'au bout, il continua à disserter, en particulier sur l'immortalité de l'âme, et encouragea lui-même ses amis à ne pas faiblir. Le moment venu, il boit la ciguë, un poison

végétal remis aux condamnés pour leur permettre d'échapper à une excécution par le bourreau.

Philosophe le plus fameux de l'Antiquité, à la source de la philosophie occidentale, Socrate (470-399 av. J.-C.) est aussi, en tant que citoyen grec, mal connu - si l'on excepte les conditions de sa condamnation à mort. Sa pensée, consacrée à la recherche du Bien, nous est essentiellement parvenue par le biais des dialogues socratiques, écrits par son disciple non moins fameux, Platon

SA VIE

Des portraits indirects

 

Socrate n'ayant laissé aucun écrit, il faut recourir aux témoignages de ses contemporains pour le connaître. Ce sont des versions personnelles, émanant de philosophes ou d'artistes, qui rapportent les activités, les moeurs et la pensée de Socrate.

Parmi eux, le plus proche, et celui qui fit le plus pour rendre célèbre l'œuvre du philosophe, est son disciple Platon (v. 427-v. 347 av. J.-C.), lui-même maître d'Aristote (384-322 av. J.-C.), qui livra également des informations sur la pensée de Socrate.

Plus historien. Xénophon (v. 430- v. 355 av. J.-C.) nous a également laissé de quoi reconstituer un peu le portrait du philosophe.

• Quant au dramaturge Aristophane (v. 445-v. 386 av. J.-C.), il a lancé quelques traits satiriques contre lui.

Socrate vu par Platon

Platon n’a que vingt ans quand il rencontre Socrate, en 407 av. J.-C., et il suit son enseignement pendant huit ans, mais n'assiste pas à ses derniers jours.

 

• Témoignage de ce compagnonnage, les dialogues (Banquet, Phédon, République, Phèdre, Parménide, Sophiste, Timée, Lois, etc.) expriment une véritable inquiétude quant à la société qui fut capable de condamner un tel homme, et qui le mettent en scène, opposé à différents interlocuteurs. Cette œuvre élogieuse, dont on tire l'essentiel de la philosophie socratique, constitue du même coup la réfutation d'autres pensées, en particulier celle des sophistes, et il reste difficile de départager ce qui relève de la pensée de Socrate et ce qui participe de celle de Platon lui-même.

Socrate vu par Aristote Aristote n'a pas connu Socrate, mais, sa méthode philosophique impliquant la mention des théories de ses prédécesseurs, on peut trouver dans son œuvre des allusions aux travaux de Socrate, qu'il a pu connaître au moyen de diverses sources, la principale demeurant Platon.

Socrate vu par Xénophon Moins familier de Socrate que Platon, mais prétendument plus aimé, il a laissé trois textes relatifs au grand philosophe : Les Mémorables, Le Banquet et L'Apologie de Socrate. Le philosophe apparaît dans des situations pratiques, faisant montre d'une certaine sagesse populaire, non sans arrogance parfois. La qualité de chroniqueur de Xénophon ne doit toutefois pas faire illusion, comme ses autres ouvrages le révèlent : impossible de parler d’une parfaite objectivité, et le contenu assez banal des Mémorables ne suffit pas à justifier le succès de la pensée de Socrate.

Socrate vu par Aristophane

Dans sa comédie Les Nuées (423 av. J.-C.), qui ne craint pas les bouffonneries vulgaires.

socrate

« voire héroïque -il aurait entre autres sauvé la vie à Xénophon et à Alcibiade, et avait une haute idée du devoir patriotique, fondé sur la morale.

• il n'occupe aucune fonction politique, expliquant sur un ton provocateur qu'il ne veut pas risquer d'être corrompu par l'argent ou exécuté pour avoir dit ce qu'il pense.

• Les accusations portées contre lui avant sa mort mentionnent qu'il corrompait la jeunesse : il a sans doute, plus vraisemblablement, contribué à émanciper des jeunes gens en les encourageant à s'éloigner de la sphère familiale pour penser par eux­ mêmes.

Si certains citoyens se sont sentis menacés par la pensée libre du philosophe, il reste que celui-ci, en buvant la ciguë mortelle, a montré envers les lois le plus grand respect imaginable.

DANS LE ..

SllCLE DE PhiCLlS » Socrate bénéficie d'un contexte culturel exceptionnel, celui de la Grèce du • siècle de Périclès» (v.

495-429 av.

J.-C), où, sur fond de démocratie naissante, se succèdent les trois grands tragiques Eschyle (v.

525-456 av.

J.-C), Sophocle (v.

495-406 av.

J.-C) et Euripide (480-406 av.

J.-C).

• Dans La Naissance de la tragédie (1872), Nietzsche (1844-1900) opposera l'ère tragique, qui manifeste sous une forme artistique l'ivresse dionysiaque, à l'ère des philosophes que Socrate incarne en premier.

• Platon, dans sa République, expose combien les poètes, et la fiction en général, peuvent nuire au fonctionnement de la Cité, dans la mesure où ils sont créateurs d'illusions.

il reste que Socrate s'exprime volontiers par image, et que les dialogues platoniciens recèlent une vraie dimension théâtrale ...

LE CADRE DU RELIGIEUX ·Si la piété de Socrate n'est guère contestable, c'est que sa philosophie, aussi méthodique et rationaliste soit­ elle, s'accompagne d'une quête spirituelle.

Peu avant sa mort, il demande à Criton de sacrifier un coq à Asclépios, pour régler une prétendue dette; cette phrase mystérieuse sera interprétée, entre autres, comme la demande d'un sacrifice au dieu de la Médecine, que Socrate remercierait de guérir son âme en la séparant de son corps.

• On rapporte que l'oracle de Delphes lui délivra par deux fois un message : après le •Connais-toi toi-même», et indirectement, il reçut l'assurance que personne au monde n'était plus sage que lui.

• Enfin, son rapport à la religion se manifeste par un phénomène original : son démon.

Socrate prétendait en effet entendre parfois la voix d'un dieu, qui arrêtait son activité ou son discours, quand ceux-ci n'étaient pas bons.

Platon le mentionne à plusieurs reprises (dans Théétète, Phèdre, Apologie de Socrate), ainsi que Xénophon, et Plutarque (v.

50-v.

125) consacra un traité aux phénomènes semblables, intitulé Le Démon de Socrate.

• Cette inspiration divine, qui déconseille plutôt qu'elle ne prescrit, conforte surtout la perspective spirituelle de la pensée socratique : pour lui, le logos demeure lié à une transcendance divine, contrairement à l'usage que les sophistes font de la parole.

IUJ@M LE CONTEXTE PHILOSOPHIQUE ·La pensée socratique s'enracine dans la philosophie antique grecque, déjà développée à travers quelques écoles, dont l'école milésienne, que l'on distingue parfois comme le premier grand mouvement de la pensée occidentale.

il s'agit d'un matérialisme fondé par Tha/is de Milet (v.

625- v.

547 av.

J.-C), auquel Diogène Laërce (m'siècle apr.

J.-C) attribuera le fameux précepte repris par Socrate : «Connais-toi toi-même.» • Anaximandre (v.

610-547 av.

J.-C) développe ensuite cette pensée de la matière primordiale, identifiée à une substance éternelle, susceptible de transformations selon des lois définies.

• Héraclite (v.

550-v.

480 av.

J.-C) affirme plus tard la théorie du mouvement perpétuel, selon laquelle la plupart des objets résultent de l'union de principes opposés- l'âme étant elle-même un mélange de feu et d'eau.

• Pythagore (v.

570-v.

480 av.

J.-C) posait déjà quelques éléments idéalistes.

• Anaxagore (v.

500-v.

428 av.

J.-C), de l'école ionienne, nuance l'opposition entre matière et spirituel pour éclairer les principes de l'existence.

Ce clivage se renforcera entre, d'une part, un matérialisme toujours plus radicâl, · avec les théories atomistes de Drmocrite (v.

460-v.

370 av.

J.-C) par exemple, et, d'autre part, les développements de l'idéalisme auquel participent Parménide (v.

515-v.

440 av.

J.-C), considéré comme le fondateur de l'ontologie, et toute l'école d'Élée, axée sur la démonstration du caractère illusoire du mouvement et des corps.

• !:école philosophique contre laquelle Socrate lutte le plus vigoureusement, même si sa pensée ne peut lui être radicalement opposée, est celle, fameuse, des sophistes, habiles dans l'art du discours, et qui estiment impossible pour l'homme d'atteindre une vérité objective.

La philosophie devient, dans leur perspective, une discipline visant l'efficacité, mettant en valeur les savoir-faire, pour le bonheur de l'individu et la prospérité de la Cité - leur art de la rhétorique en découle.

Protagoras (v.

486-v.

410 av.

J.-C) et Hippias d'Élis (seconde moitié du V" s.

av.

J.-C) sont parmi les plus grands représentants de cette école, et Platon leur a consacré trois dialogues socratiques : Protagoras, Hippias Mineur et Hippias Majeur.

• Ces formes d'écriture originales, qui ne mettent que deux fois en scène leur auteur, et donc dissimulent ce qui lui revient en propre et ce qui revient à Socrate, obéissent à un canevas assez régulier, en faisant progresser une certaine tension, jusqu'à une crise, puis une chute parfois ouverte, et placent toujours Socrate dans une position de sage victorieux.

ils nous sont parvenus.

depuis le 1ve siècle av.

J.-C..

dans leur quasi-intégralité et constituent, outre un exposé de la philosophie socratique et platonicienne, des documents primordiaux témoignant des autres courants de pensée contemporains ou plus anciens.

SON ENSEIGNEMENT • La pensée socratique a pour point de départ la morale : Socrate enseigne que la vertu et la piété sont les premières valeurs, au nom desquelles on doit mépriser le confort du corps et les richesses -ce que son mode de vie illustre bien.

Toute sa pensée vise ainsi la sagesse et la méditation sur le Juste et le Bien, et cherche à ôter à l'individu ses prétentions égoïstes pour le mener vers l'universalité des lois éthiques.

• De la question de la morale découle celle de la connaissance, comme le révèle le dialogue de Platon intitulé Ménon.

Comment la vertu peut-elle s'enseigner? Si on la connaît déjà, c'est inutile, mais si on ne la connaît pas, comment la chercher? Socrate, face à des raisonnements sophistiques, répond par la théorie de la réminiscence, selon laquelle l'âme, infiniment renaissante, sait tout, et qu'il suffit de rechercher en soi ce que l'on a déjà contemplé.

La mémoire en vient ainsi à se confondre avec une forme de conscience, mais jamais avec une mnémotechnique, comme celle dont se vantait le sophiste Hippias, pour qui enregistrer mécaniquement des savoirs constituait l'intelligence à rechercher, c'est-à-dire une promesse de pouvoir et d'argent.

• Pour Socrate, le savoir se confond avec la vertu, car il n'est pas intégration de données extérieures et transmissibles, mais se fonde aussi sur une réflexion sur la Vérité et le Bien.

Ainsi, nul ne serait méchant volontairement, mais par ignorance.

On revient bien au point de départ, la foi, puisque c'est elle qui légitime la recherche d'une connaissance sur le monde, par le dialogue avec autrui.

LA MAIEUTIQUE • Comparable au travail de la sage­ femme, la maïeutique est l'art de faire «accoucher» autrui d'idées justes -et Socrate aimait à faire un parallèle entre son activité et la profession de sage-femme de sa mère.

Dans la mesure où notre âme a déjà contemplé le Vrai, le dialogue peut aider celui qu'elle habite à retrouver le chemin de ce qu'il n'avait qu'oublié, pour connaître.

Il retrouve ainsi l'essentiel, en apprenant à se détourner du futile, et do it passer par une leçon d'humilité, posture qui caractérise également Socrate, lequel refuse de se donner pour un «maitre» détenteur de dogmes et susceptible de monnayer son enseignement.

• Cette philosophie de la connaissance repose sur l'adage que Socrate, selon certaines versions, aurait lu en interrogeant Apollon au temple de Delphes : «Connais-toi toi-même.» Le philosophe en fait une invitation non à l'introspection psychologique, mais à la connaissance de l'esprit, dont nous détournent les phénomènes de la nature et de la technique.

Un moyen de parvenir à cette forme de savoir est l'utilisation du doute, non pas à la manière cynique des sceptiques, qui tendent à remettre tout en cause, mais comme un préalable sage à toute véritable interrogation.

Socrate dit ainsi que la première chose qu'il connaît est qu'il ne connaît rien.

• Par rapport aux présocratiques, qui voyaient une continuité et une harmonie entre l'être et les apparences, Socrate dénonce ces dernières comme illusoires et incertaines; contre les sophistes, qui reconnaissent la faiblesse ontologique des apparences mais assument d'en jouer, pour obtenir des résultats pratiques, il recherche l'Ê tre véritable.

L'IRONIE !:ironie socratique désigne la manière originale avec laquelle le philosophe fait progresser le dialogue : forçant l'autre à douter de ses propres affirmations en déve loppant celles-ci jusqu'en leur extrém ité insoutenable, il renverse les convictions premières en leur contraire.

Cette manœuvre peut donner un ton léger, voire comique à l'échange avec son partenaire, échange qui demeure par ailleurs assez artificiel et qui, parfois, ne se clôt sur aucune réponse ou définition certaine.

SoN HÉRITACE · Les expressions «présocratique» et, plus rarement, « postsocratique » suffisent à montrer combien toute la philosophie occidentale a été marquée par le penseur athénien .

• Ses premiers successeurs furent Plllfon, qui fonda l'Académie, et Aristote, qui fonda le Lycée -ce dernier revenant à l'étude des choses physiques, négligée dans l'idéalisme platonicien.

• On rattache parfois à la pensée socratique les cyniques -dont le plus connu est Diogène (v.

410-v.

323 av.

J.-C) -, dans la mesure où ils ont développé l'utilisation de l'ironie.

• Les stoïciens, à leur suite, héritent du mépris de Socrate à l'égard des choses matérielles.

• La pensée chrétienne des néoplatoniciens ainsi que des existentialistes type Gabriel Marcel (1889-19 73) a également été sensible au •Connais-toi toi-même» et aux leçons d'humilité de Socrate.

• L'Allemand Friedrich Nletzsclle a été fasciné par le philosophe grec, qu'il décrie en même temps beaucoup pour son rationalisme et pour sa morale.

• De manière générale, la plupart des grands philosophes occidentaux ont été influencés par l'enseignement de Socrate et par son art du question­ nement: Hegel (1770-1831) y fait régulièrement allusion; Kierkegaard (1813-1855) consacre un ouvrage à l'ironie socratique; les philosophes de la conscience, tel Henri Bergson (1859-1941), et les phénoménologues ont développé la théorie de la réminiscence en travaillant les notions de mémoire et d'intuit ion .

Des écrivains (drame, roman, nouvelles ...

) font également intervenir la figure de Socrate, alimentant ce qui devient presque un mythe.

Ainsi Paul Valéry (1871-1945), dans Eupalinos ou l'Architecte, utilise la forme du dialogue socratique pour explorer les cheminements de la beauté, pure architecture, intemporelle, qui nous renvoie à l'universalité de la Grèce classique.. »

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