«Si on cherche à définir la création technique, on est tenté d'y voir un mouvement comparable à celui par lequel l'amibe pousse hors de sa masse une expansion qui enrobe progressivement l'objet de sa convoitise.» Que pensez-vous de cette affirmation de Leroi-Gourhan ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document


«
première question qui se pose à l'ouvrier devant la matière est «comment prendre contact avec elle», tout entenant compte des résistances du milieu extérieur et en faisant appel aux ressources dont on dispose.
2.
Précisons alors la comparaison : si l'amibe palpe le milieu extérieur, les techniques sont aussi le prolongement dumilieu intérieur palpant la surface du milieu extérieur (ex.
: le marteau prolonge le bras) ; l'outil est adapté aumouvement et à l'équilibre du corps humain.
Ainsi l'objet marque la limite à partir de laquelle le milieu extérieur résisteet se soumet.3.
Or le milieu intérieur de l'être humain étant non seulement celui de son propre corps mais l'ensemble de la culturedu groupe dans lequel il vit, nous pouvons voir dans toute invention nouvelle un prolongement du milieu intérieurcherchant à assimiler certains aspects du milieu extérieur.
Transition :Tous ces efforts aboutissent à une création technique destinée à enrober l'objet de notre convoitise, à l'assimiler,l'objet étant celui qui satisfait nos besoins puis ce à travers quoi cherche, à se satisfaire notre soif de puissance, deconnaissance.
II.
La technique est alors un pouvoir de transformation.1.
Il est possible de justifier la réflexion de Leroi-Gourhan, mais s'il est de la nature de l'amibe de conduire toujourssa proie vers le même processus digestif, il est de la nature de l'homme, horno faber (cf.
Bergson), de fabriquer desoutils et d'en varier la fabrication car intelligent, l'homme peut se dépasser lui-même.
Ce pouvoir de dépassementest de l'ordre de la vie.
L'outil est donc bien le prolongement de la main et la naissance de la technique s'effectuecomme s'effectuent les transformations de l'organisme, sans que nous y prenions part.
Cependant la pensée est àl'oeuvre car la technique n'est possible que par l'entrée en jeu d'une pensée qui a le dessein de manipuler les choseset de les faire (cf.
l'évolution des outils, progression systématique comme un organisme vivant).2.
C'est pourquoi, alors que l'instinct et le comportement de l'animal restent statiques, la technique se modifie etprogresse.
Le milieu intérieur du groupe humain est riche de tous les souvenirs utiles des expériences passées :l'homme capable de mémoire, d'apprentissage, d'adaptation est capable de produire du nouveau, d'inventer enprenant appui sur des matériaux d'une manière qui les transforme.L'homme est mû par un désir de le faire et sa volonté de puissance comme son désir de connaissance transforme parla technique et le monde et lui-même.3.
Aussi, l'expansion réalisée par l'humanité pour enrober l'objet de sa convoitise est-elle différente de celle del'amibe, Leroi-Gourhan ne l'ignore pas : «la tendance, phénomène de l'échelle biologique, s'est trouvée insérée dansle cadre du groupe humain.
Sentie par l'homme, elle se traduit en intention créatrice dont la matérialisation est liéepour une part secondaire aux matériaux du milieu extérieur.»
Transition :Au niveau de l'homme, la création dépend de ressources proprement humaines.
III.
Que gagnons-nous alors à faire cette comparaison ?1.
La technique, prolongement des exigences vitales, permet de saisir comment s'opère une transformation quimarque l'avènement de l'intelligence.
Nos actions s'accomplissent d'autant mieux que nous pouvons faire corps avecnos instruments ; cette habileté que le savoir ne donne pas en tant que tel, marque l'importance de l'assimilationpar l'être vivant de cette technique même (cf.
la technique artisanale, son apprentissage se fait, pour une part, parimprégnation).2.
Qu'il y ait là un aspect irrationnel de la technique car le savoir ne suffit pas toujours, il faut en prendreconscience, de même que la technique n'est pas la science.
Le sachant, il faut nous efforcer de comprendre lesinventions techniques comme un comportement dans la perspective d'un comportement vivant.
Nous serons gardéspar la perspective biologique d'oublier cette importance de l'assimilation de l'objet technique par l'être vivant et decommettre un certain nombre d'erreurs que décèlent à l'heure actuelle diverses études sur le travail.3.
Mais replacer la technique dans la vie ne saurait la couper de la raison dont seule relèverait la science.
Sil'invention mécanique est un don naturel on peut en conclure autant du génie mathématique.
La technique sedistingue de la science qui, elle, est née d'un échec des techniques ; si en effet la technique réussit, nous necherchons pas la loi qu'elle met en oeuvre et dont elle dépend.
C'est au moment où la technique développée butesur une impossibilité qu'on effectue le passage au plan scientifique ne serait-ce que pour comprendre pourquoi elleéchoue.
C.
Conclusion :
II semble qu'il faut admettre que la raison sous toutes ses formes est le prolongement de la vie quelles que soientles transformations que par sa nature même elle peut faire subir à cette vie.
Si nous acceptons la comparaison de Leroi-Gourhan, et si eue paraît féconde en brisant les barrières entre la natureet tes oeuvres humaines, c'est à condition qu'on n'oublie pas l'imortance de la mutation que constitue l'avènementd'un être pourvu de conscience et de réflexion, être qui est capable de création technique..
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