Si nous désirons être libres, qu'est-ce qui nous empêche de l'être ?
Publié le 10/04/2004
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On peut ou bien accepter cette contrainte de manière pessimiste et essayer de se ménager une liberté très partielle, ou bien modifier notre rapport à la contrainte pour acquérir un point pouvoir sur soi-même, ce que proposent par exemple les ascétismes antiques, à commencer par le stoïcisme. Ce sont deux voies de réponses possibles au sujet. Références utiles : Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse Rousseau, Du contrat social Textes à utiliser : Spinoza, Lettre 58 à G.H. Schuller « J'appelle libre une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre chose à exister et à agir d'une certaine façon déterminée. Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même librement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toues choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature, que Dieu connaisse toutes les choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité. « Epictète, Manuel « Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature, rien ne peut les arrêter, ni leur faire obstacle ; celles qui n'en dépendent pas sont faibles, esclaves, dépendantes, sujettes à mille obstacles et à mille inconvénients, et entièrement étrangères.
Si nous désirons être libres, qu’est-ce qui nous empêche de l’être ? Telle est notre question. Nous nous trouvons en effet dans une étrange situation : nous désirons être libres et pourtant nous sentons bien que nous ne le sommes pas, ou pas autant que nous le souhaiterions. Comment expliquer cela ? Pourquoi les hommes ne parviennent-ils pas à atteindre cet état auquel pourtant ils aspirent. Dans un premier temps, notre réponse fut celle du bon sens : l’homme vit dans le monde, le monde n’est rien d’autres qu’une somme de contraintes, ces contraintes pèsent sur l’homme et l’empêchent de faire ce qu’il veut, donc d’être libre. Nous avons énuméré quelques-unes de ces contraintes fondamentales qui privent l’homme de sa liberté. Dans un deuxième temps, nous sommes revenus sur cette position parce qu’elle nous a paru reposer sur une définition contestable de la liberté. Etre libre, avons-nous essayé de montrer, ce n’est pas faire ce que l’on veut, c’est pouvoir être ce que l’on est. Ce qui nous empêche d’être libre alors, ce n’est pas le monde, mais seulement toutes les contraintes qui induisent un comportement contre-nature. Enfin, dans un troisième temps, nous avons essayé de compléter notre réponse en changeant à nouveau de définition de la liberté et en montrant que l’homme est aussi en partie responsable de sa non-liberté. Etre libre, c’est choisir sa vie et l’homme renonce trop souvent à être le maître de sa vie. Il se laisse guider par paresse et lâcheté. Il est donc à l’origine de sa servitude.
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Mais faut-il de la sorte concevoir la liberté comme un donné implicite? N'est-elle pas plutôt — même si je l'affirmecomme Kant à titre de postulat métaphysique — une potentialité qu'il m'appartient toujours d'amener au réel? C'est-à-dire un ensemble de conduites à élaborer, à constituer en fonction des situations que je rencontre.
De ce point devue, la liberté n'est pas déjà faite ou déjà là: elle se confirme dans la diversité de mes réactions, s'élabore à traversla suite des mes actes. Lorsque Sartre affirme que les Français n'ont jamais été aussi libres que sousl'occupation allemande, sa formule apparemment paradoxale indique quel'exercice de la liberté suppose qu'elle rencontre des résistances l'obligeant àse préciser par des prises de position, des choix relatifs à la réalité d'unesituation particulière.
La liberté, autrement dit, ne saurait se prouver ous'éprouver de façon abstraite et dans le vide.
On pourrait à son proposparodier Kant : comme la colombe, elle ne prend son envol que grâce à larésistance de ce qui paraissait d'abord l'empêcher d'être.
On pourrait utilisercette métaphore de la colombe pour aussi montrer notre rapportinconséquent à la loi.
La colombe, dans son vol, éprouve la résistance de l'airet elle se plaît à imaginer qu'elle volerait bien mieux et bien plus haut sans cetobstacle: elle ignore que sans l'air, elle ne volerait pas du tout et que cequ'elle ressent comme un empêchement est aussi une condition de possibilitémême de son vol.Nous aussi nous plaisons à imaginer une vie sans règles, au-delà des lois:suppression des impôts, de la police, du code de la route, etc.
Ce faisant,nous sommes aussi écervelés que la colombe, car nous oublions que sans cescontraintes, notre prétendue liberté n'existerait plus.
Nous ressentons commeun obstacle ce qui en réalité est une condition d'exercice de nos actions.
Queserait en effet ma sécurité sans les forces de l'ordre ? que serait monexistence sans protection sociale que je finance par mes impôts ?
Jamais nousn'avons été aussilibres que sousl'occupationallemande.(Situations, III)
Sartre ne prétend nullement que l'occupation allemande auraitété propice à la liberté politique.
C'est de la liberté au sensmétaphysique du terme qu'il s'agit ici.
Être libre c'est êtrecapable de dire non, de refuser une situation.
L'occupationallemande est un de ces moments de notre histoire où notreattitude avait une pleine signification.
Accepter c'était êtrecomplice, refuser, devenir résistant c'était risquer la torture etla mort.
C'est donc une de ces situations limites où les choixne peuvent qu'être authentiques.
La liberté ne se mesure pasdans les situations sans risque mais dans celles où notreresponsabilité et ses conséquences sont pleinementengagées.
Désirer être libre n'a de sens que si le désir devient volonté.
Cette dernière suppose une mise en oeuvreauthentique, c'est-à-dire de travailler relativement à un donné.
C'est précisément lorsque celui-ci paraît d'abord encontradiction avec la liberté qu'il peut provoquer des décisions réelles à travers lesquelles elle se réalise.
Si l'on veut assurer la possibilité de cette conquête, il importe de prouver la possibilité même d'une liberté quiéchappe au déterminisme.
Autrement dit, la question est de savoir si l'on peut dépasser la simple preuvepsychologique de la liberté pour véritablement fonder sa certitude.
On peut répondre par l'affirmative à cettequestion en mettant en évidence, avec Kant (Critique de la raison pratique), la certitude de la libertétranscendantale.
La conscience de la loi morale, comme fait de la raison même, implique en effet cette libertétranscendantale.
En d'autres termes, la liberté est une donnée certaine de la nature humaine que l'on peut prouverindirectement à partir de la conscience morale: si la raison dit «tu dois», elle dit nécessairement en même temps «tupeux»..
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