Sentir, écrit Delacroix, c'est juger : c’est prononcer un système de jugements d'existence et d’attribution; c’est, étendre sur les choses un réseau de rapports ; c'est croire et affirmer. Précisez et appréciez cette pensée.

Prenons le jugement, puisque aussi bien c’est de lui qu’il s agit dans Ce travail. Lorsque je dis : cette pierre est plus froide que ce bois, je ne fuis que sentir; je sens la pierre, je sens te bois et je sens en même temps, entre les deux, une différence de température. Il en est de même quand le jugement porte sur des notions abstraites : penser que le tout est plus grand que lu partie, c'est sentir, par exemple, que ma valise esl plus lourde pleine que vide ou qu'un demi-tour de piste fatigue moins? qu'un tour entier.

Celle conception avait été déjà réfutée par les plus grands philosophes de l antiquité, Platon et Aristote : la sensibilité suffit à expliquer ta sensation, mais, dès que nous comparons deux sensations entre elles, bien plus, dès que nous affirmons le fait de la sensation, une autre faculté

— qu’on l'appelle entendement, intelligence 011 raison, peu importe — entre en jeu, la faculté de percevoir des rapports. Le sens thermique rend compte de la sensation de chaleur; mais avec le seul sens thermique, je ne saurais jamais que j’ai chaud ou que le radiateur est chaud; à plus forte raison ne saurais-je pas que le radiateur est plus chaud que le fer de mon lit. La raison seule peut, juger, affirmer, percevoir les rapports.