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Sénèque et Lucrèce

Publié le 22/02/2012

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Comment se priver de revenir sans cesse à l'oeuvre de Sénèque auquel Diderot consacre un essai en 1779, que Montaigne ne cesse de citer dans ses Essais. Selon Montaigne " Sénèque est plein de pointes et de saillies ", selon Diderot il est " le précepteur du genre humain ". Précepteur, Sénèque, pendant plusieurs années par la volonté d'Agrippine l'est de Néron. Au-delà de ce que fut une carrière où alternent honneurs et exil et qui appartient à l'histoire, c'est par ses écrits de sagesse et d'érudition, plus que par les neuf tragédies qu'il a écrites ou par les livres comme Questions naturelles où il étudie les phénomènes des météorites, des tremblements de terre ou de la météorologie, que Sénèque ne cesse pas d'être un compagnon indispensable. Ses écrits qui élaborent une sagesse, qui donnent les moyens de résister au mal ou de tenir tête au sort, d'être incorruptible et de savoir accepter la douleur, sont aussi bien De la constance du sage que De la tranquillité de l'âme dédiés à un certain Annaeus Serenus, ou encore De la colère dédié à son frère, Novatus, De la brièveté de la vie dédié à Paulinus ou encore De la providence, dédié à Lucilius auquel, dans les quatre dernières années de sa vie, il adresse quelques cent vingt-quatre lettres rassemblées en vingt livres. " Lorsqu'il arrive malheur à un Européen, il n'a d'autre ressource que la lecture d'un philosophe qu'on appelle Sénèque... " Ce conseil de Montesquieu n'a rien perdu de sa valeur.

« manger tel ou tel plat, ou encore le désir sexuel, etc. Mais il importe de comprendre qu'il y a des désirs vains ; désir de richesse, de gloire, d'immortalité, etc.

Ces désirs ont une particularité importante ; ils sont insatiables, illimités, ils n'ont jamais de fin. Quand je connais un désir naturel, il cesse d'être dès qu'il est satisfait.

Une fois que j'ai mangé, je n'ai plus faim.

Ces plaisirs sont naturels parce qu'ils sont bornés : ils ont une limite naturelle.

A l'inverse, les désirs nonnaturels peuvent être dits vains parce qu'ils ne seront jamais comblés ; ils résident dans le principe du « toujours plus », l'illimité.

L'homme qui veut être riche, admiré, aimé, n'en a jamais fini de son désir. Il est facile de comprendre que si je veux parvenir au bonheur, à la santé du corps et à la tranquillité de l'âme, je dois éliminer les désirs vains.

Le plaisir naît de ce qu'un désir est comblé.

Mais les désirs vains sont pardéfinition illimités.

Le plaisir que leur satisfaction procure est illusoire et ne sert qu'à les relancer.

A peine comblé, jeveux autre chose, je veux plus ; je ne cesse de désirer, donc de manquer, donc de souffrir.

L'homme des désirsvains, du « toujours plus », Platon le comparait déjà à un panier percé ; se condamner à ne jamais être comblé. La première et principale leçon d' Epicure est donc celle-ci : ne pas céder aux désirs vains ; se contenter des désirs naturels.

Vivre en accord avec la nature consiste d'abord à ne pas céder au vertiges des désirs illusoires.Epicure les nomme vains, notre époque parlerait d'une course à la consommation. Il y a plus.

Certes tout plaisir est un bien en soi.

Mais certains plaisirs peuvent se révéler nuisibles.

Certes toute souffrance est un mal, mais endurer certaines douleurs peut se révéler utile.

Il ne faut pas rechercher toutplaisir, ni fuir toute douleur : il faut savoir raisonner, calculer les conséquences.

Il ne faut pas céder à l'attrait del'immédiat, mais avoir une certaine intelligence du plaisir.

On voit que nous sommes loin de l'image du « bon vivant »,de celui qui jouit de façon primaire de tous les plaisirs qui s'offrent à lui. Epicure va même jusqu'à prôner une certaine austérité.

Il faut dit-il « savoir se suffire à soi-même » ; cela veut dire savoir se contenter de peu.

Car « Tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, mais tout ce qui est vain est difficile à avoir.

» L'habitude de vivre simplement met à l'abri des coups du sort, tandis que l'habitude de vivre richement y rend plus vulnérable.

De plus l'habitude, par exemple, d'une bonne table, de mets précieux, transforme ce qui était audépart un plaisir (manger tel plat raffiné) en habitude voire en besoin.

Privé de ce superflu dont je me suis rendudépendant, je vais en souffrir par ma propre faute.

Par contre, le sage épicurien se réjouira d'une tablesomptueuse, mais ne souffrira pas de son absence ; car il a compris que ce n'est pas l'objet qui crée le plaisir, maisla cessation du désir, du manque.

Naturellement, ce n'est pas tel grand vin qui me fait plaisir, mais de ne plus avoirsoif.

S'habituer aux grands crus, c'est se condamner et à y trouver moins de plaisir, et à souffrir si pour une raisonou pour une autre on ne peut plus s'offrir ce produit et à ne plus être capable d'apprécier une boisson plus« ordinaire ». Ce souci d'autarcie, d'une vie simple qui nous rende le plus indépendant possible du hasard, des coups du sort, des autres, s'explique en partie par l'époque troublée, instable pendant laquelle Epicure écrit ; une époque où les solidarités traditionnelles de la cité grecque se défont, où la politique est instable, où l'économie ne l'est pasmoins. Mais cela n'invalide en rien le raisonnement d' Epicure , lequel dément l'interprétation déjà présente à son époque de sa doctrine : « Quand nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n'entendons pas par là le plaisir des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notredoctrine, ou qui sont en désaccord avec elle ou qui l'interprètent dans un mauvais sens.

Le plaisir que nous avonsen vue est caractérisé par l'absence de souffrances corporelles et de troubles de l'âme.

Ce ne sont pas lesbeuveries et les orgies continuelles des jeunes garçons et des femmes, les poissons et les autres mets qu'offre unetable luxueuse, qui engendrent la vie heureuse, mais la raison vigilante qui recherche minutieusement les motifs dece qu'il faut rechercher ou éviter, et qui rejette les vaines opinions grâce auxquelles le plus grand trouble s'emparede l'âme.

» Ceux qui vivent en cédant à l'attrait du plaisir immédiat, qui cultivent les désirs vains, qui accordent une importanceextrême aux objets de leurs désirs, ceux-là n'ont rien compris au plaisir, et se condamnent à la souffrance. La vraie philosophie du plaisir est celle, apparemment austère, d' Epicure .

Celle qui prône le plaisir, mais guidé par la raison vigilante.

Si le véritable épicurisme semble austère, proche de l'ascétisme, on conclura par une sentenced'Epicure : « Dans les autres occupations, une fois qu'elles ont été menées à bien avec peine, vient le fruit ; mais, en philosophie, le plaisir va du même pas que la connaissance : car ce n'est pas après avoir appris que l'on jouit dufruit, mais apprendre et jouir vont ensemble. » La quête qui est celle de Lucrèce est du même ordre.

Si son livre De la nature élabore le concept d'atome, c'estavant tout de sagesse encore qu'il s'agit.

Il suffit pour aborder Lucrèce d'y reconnaître d'emblée l'essentiel.

“ ...

Laplus grande douceur est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d'oùs'aperçoit au loin le reste des hommes qui errent çà et là en cherchant au hasard le chemin de la vie, qui luttent degénie ou se disputent la gloire de la naissance, qui s'épuisent en effort de jour et de nuit pour s'élever au faîte desrichesses ou s'emparer du pouvoir.

Ô misérables esprits des hommes, ô coeurs aveugles ! Dans quelles ténèbres,. »

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