Se mentir à soi-même est-il possible ?
Publié le 07/10/2012
Extrait du document

Si cette hypothèse (celle d’une condition humaine caractérisée par le mensonge à
soi) se voyait confirmée, la question serait comme investie d’un effet
d’actualisation tout à fait saisissant puisque ce serait dans l’exercice même de ce
« pouvoir de se mentir à soi-même « que consisterait le développement de nos
techniques, de nos mentalités et de nos civilisations. Toutefois, pour bien aborder
ce problème, il convient d’abord de faire remarquer que l’impossibilité du mensonge
à soi repose moins sur le présupposé d’une unité substantielle de l’individu (être
une personne) que sur l’évidence de sa transparence (être clair vis-vis de soi). Ce
n’est pas parce que je suis moi dans le monde que je ne peux pas me mentir à moimême mais parce que je suis à tout instant présent à moi-même dans le monde.
Autrement dit, si, pour se mentir à soi-même, il faut être deux, pour ne pas se
mentir à soi-même, il faut l’être aussi, tout simplement parce que la question ne
se pose pas pour les organismes qui ne font qu’être. Devant un géranium ou un
pommier, je ne me pose pas la question de savoir s’ils se mentent à eux-mêmes tout
simplement parce que je n’envisage pas la possibilité que ces plantes ou ces arbres
se parlent à elles-mêmes ni même se « sachent vivre « (en quoi nous avons peut-être
tort, après tout, certaines plantes carnivores trompent leurs proies en se
transformant et en changeant leur apparence pour se confondre avec leur milieu ’
cela semble manifester un pouvoir de dissimulation, une intelligence de la ruse,
mais cette faculté de mentir ne nous permet pas pour autant de déduire la
conscience ni la volonté de le faire. Laissons pour le moins ce problème en suspens
; peut-être le recroiserons-nous au fil de notre réflexion). La conscience, le fait
« d’être à soi « constituent le fond implicite de ce sujet, la condition de base à
partir de laquelle il prend sens.

«
conformes » à la réalité.
Ce quil convient de faire, cest la remonter jusquà sa
source afin de parvenir à une zone de pure transparence à lintérieur de laquelle
se mentir à soi-même sera « de fait » impossible parce que lon aura atteint ce
degré de justesse et dauthenticité de soi à partir duquel on se réalise comme
fait, tissé, constitué de leffectivité de cette transparence.
Ce nest même pas
quon ne se ment plus dans cette « zone » mais que lon se sait consister dans
limpossibilité « donnée » de le faire.l
Mais comment remonter le fil de cette suggestion à contre-courant de ses effets de
projection ? Il convient de douter de ce quon croit réel jusquà ce que lon
parvienne à une impossibilité radicale, première de le faire.
Cest ainsi que
Descartes (1596 1650) se plonge volontairement dans un processus de défiance à
légard de tout ce que nous sommes enclins à croire « réel » : « Mais je me suis
persuadé quil ny avait rien du tout dans le monde, quil ny avait aucun ciel,
aucune terre, aucun esprit ni aucun corps ; ne me suis-je pas aussi persuadé que je
nétais point ? Non certes, jétais sans doute, si je me suis persuadé, ou
seulement si jai pensé quelque chose.
Mais il y a un je ne sais quel trompeur très
puissant et très rusé qui emploie toute son industrie à me tromper toujours.
Il ny
a point de doute que je suis sil me trompe ; et quil me trompe tant quil voudra,
il ne saurait faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose.
De
sorte quaprès y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses,
enfin il faut conclure et tenir pour constant que cette proposition : Je suis,
jexiste, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je
la conçois dans mon esprit.
»
Je ne peux pas penser que je suis sans être effectivement, ne serait-ce que cet
effort par lequel en cet instant précis je pense être.
Tout homme peut parfaitement
et à juste raison, douter que le monde soit comme il se le représente.
Dans la
matrice, nous naurions pas tort de juger que ce que nous voyons est une illusion
et que la réalité est une sorte de « vide », mais aussi loin que nous puissions
aller dans cette remise en cause de tout, il est un point qui résiste à ce travail
du doute, cest le fait que « nous sommes », parce que nous sommes nécessairement
ce qui en cet instant pense être ou nêtre pas.
Je peux bien penser que je ne suis
pas, il faut bien être quelque chose pour penser que lon nest pas.
Il y a bien là
une efficience de pensée en acte qui fait quelque chose.
Je sais que je suis même
si précisément je ne consiste que dans cet effet de transparence à moi-même par le
biais duquel, étant, je réalise que je suis.
Cest exactement cela la conscience.
Ce que découvre ici Descartes, cest que la vérité de la proposition : « je suis,
jexiste » est absolument fondée non pas par son exactitude logique mais par un
fond dévidence existentielle donnée : il faut bien quil y ait « quelque chose »
ici pour penser quil est.
Or cest une vérité qui ne peut voir le jour que dans le
cadre dun rapport à soi-même : cest la tentative dauto persuasion de nêtre rien
qui conduit son auteur à se savoir être nécessairement quelque chose.
Autrement
dit, cest justement dans le rapport à soi-même que lon fait lexpérience dune
impossibilité absolue de se mentir.
i
Je ne peux pas me tromper moi-même en pensant que je suis parce quil faut bien
être quelque chose pour en effet penser que lon est (ou que lon est pas mais
alors on ne se mentira pas à soi-même parce quon ne peut pas ne pas savoir quon
se ment).
Nous ne pouvons rien nous cacher parce que nous consistons dans cet effet
de transparence absolue à soi par le biais duquel pensant que je suis, je suis,
cest-à-dire que je suis dabord et fondamentalement pensée avant dêtre corps.
Ce
nest pas parce que jai un corps que je suis mais parce que je pense en avoir un.
Je me trompe peut-être en le croyant, mais je ne trompe pas en pensant que je suis
« ce qui croit avoir un corps » et pour le croire il faut bien être « quelque chose
».
Imaginons un corbeau qui, écoutant la tentative de séduction du renard, se dise
à lui-même quil se trompe peut-être en pensant quil chante bien mais quil ne se
trompe pas en pensant quil croit quil chante bien.
Ce corbeau là ne se laissera
pas abuser et ne laissera pas tomber sa proie.
Le moyen le plus sûr de ne pas être
trompé par les autres réside, dans cette perspective, dans ce travail de.
»
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