Sciences & Techniques: L'Homme n'est pas que conscience
Publié le 22/02/2012
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critiques du modèle cartésien ne manquèrent pas.
Pour rester dans le contexte français, il est essentiel de constater que c'est dans le même moment révolutionnaire du XVIIIe-XIXesiècle que les hommes ont pensé s'affranchir des contraintes de la Monarchie de droit divin tout en se découvrant d'intimes servitudes.Cette tension est, comme le note Marcel Gauchet, le " fait générateur de l'anthropologie démocratique ".
C'est en effet la même société qui impose un droit fondé sur la seule responsabilité et le libre arbitre des individus et qui produit, en même temps, des savoirsremettant en cause, à la fois, l'étendue et l'universalité de la conscience individuelle.
Cette redistribution de la représentation du psychisme a eu au moins un effet théorique positif.
La psychiatrie contemporaine s'est instituée avec Philippe Pinel sur le pari thérapeutique du " traitement moral ", sans agents physiques, qui repose sur la conviction quetous les fous gardent un fond de raison.
Si ce généreux postulat connut bien des vicissitudes, l'inverse, dès lors, devint pensable : si l'homme, apparemment aliéné, possède un peu de raison, l'homme, apparemment raisonnable, pourrait bien, lui aussi, cacher quelquefolie.
Celle-ci fut d'abord, au XIXe siècle, une folie criminelle.
Et la psychiatrie vint ici à la rescousse d'un droit pénal qui ne pouvait imputerune conscience à ces criminels qui commettent des actes " sauvages " (massacres d'enfants, cannibalisme etc.).
Pour " l'honneur del'humanité ", comme dira un psychiatre en 1817, on les déclara fous.
Puis la folie devint aussi un instrument de disqualificationpolitique.
Certains médecins affirmèrent par exemple que la foule des Communards de 1871 n'avait pas agi en pleine conscience deses actes mais sous l'emprise d'un accès de folie éthylique.
Interprétation, si l'on peut dire, à double tranchant, puisqu'en tirant ainsiles individus vers la folie, on diminuait leur responsabilité individuelle...
Entre raison et folie
C'est dans cette redistribution globale du partage de la raison et de la folie que la notion d'inconscient a fait son chemin.
Inconscient "cérébral ", avec la théorie physiologique de l'acte " réflexe ", et inconscient " philosophique ", avec l'idée que la volonté n'est pas tantun acte de la raison que la manifestation d'une force vitale aveugle (Schopenhauer).
Parallèlement, les " penchants " sont devenus des" instincts " et les instincts, des " pulsions " permettant de comprendre, à la fois, pour Freud, le comportement des foules et de rendrecompte des actes criminels.
La théorie psychanalytique ne marque donc qu'une étape - importante certes mais non isolée - dans lemouvement de déstabilisation du cogito cartésien.
Encore sommes-nous restés ici prisonniers du contexte occidental ; or plusieurs anthropologues ont tenté d'appliquer ou de vérifier l'universalité de la théorie freudienne sur d'autres cultures.
Si G.
Roheim a retrouvé le complexe œdipien dans des sociétés africaines,B.
Malinowski n'a rien vu de tel en Océanie.
R.
Benedict et M.
Mead ont rejeté l'universalité de la répression des désirs sexuelscomme fondement de la culture.
G.
Devereux a tenté de concilier les points de vue dans l'ethnopsychiatrie.
Des voix se sont élevéespour dénoncer la non-scientificité de la théorie de Freud ou encore pour minimiser l'importance de la partie inconsciente de notrepsychisme.
Qu'elle soit portée au pinacle ou vouée aux gémonies, la théorie de Freud ne laisse pas d'étonner par sa large diffusion dans notre culture.
Il est vrai qu'à notre époque, où les rituels religieux et les gestes symboliques ne structurent plus fermement la sphère " privée" des individus, la psychanalyse offre une alternative redonnant potentiellement un sens à tous nos gestes et toutes nos paroles, si futiles ou erronés soient-elles.
Vraie ou fausse d'un point de vue scientifique, cette théorie, qui fait la part belle à l'inconscient, est et restera comme l'une de cesmultiples représentations par lesquelles l'homme cherche à cerner l'étendue de son autonomie et à expliquer, surtout, l'éterneldécalage entre ses désirs et ses actes..
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