Sciences & Techniques: Comment la ville modifie l'homme

« Le bruit, ennemi public numéro un Le bruit est considéré par les Français comme la nuisance numéro un, tout particulièrement dans les villes.

L'adaptation à unenvironnement sonore stressant demande de gros efforts à l'organisme, et, à partir d'un certain seuil, le bruit devient dangereux. Les nouveau-nés qui vivent à proximité d'un aéroport ont un taux de malformations élevé et un poids moyenfaible ; mais on enregistre aussi un nombre plus important d'enfants mort-nés, une consommationmédicamenteuse plus élevée et un nombre accru de visites chez le médecin.

Pourtant, les " victimes " dubruit nient souvent leur gêne.

Difficile d'avouer des conditions de vie infernales. La sensibilité auditive du nourrisson et du jeune enfant les rendrait plus vulnérables au bruit que les adultes.

" Très tôt, entre 7 et 11mois, dit Annie Moch, le bruit à la maison peut freiner l'épanouissement psychologique normal de l'enfant.

Une étude a révélé que,parmi les enfants habitant un immeuble de trente-deux étages situé au-dessus d'un échangeur routier, ce sont ceux qui vivaient dansles étages inférieurs, donc les plus exposés au bruit, qui avaient les moins bonnes notes à l'école.

Sans parler de leur agressivité, deleur irritabilité et de leur fatigue.

" Difficultés relationnelles Les répercussions sociales sont nombreuses : " Les personnes les plus sensibles au bruit ont davantagede difficultés relationnelles, affirme Gabriel Moser.

Elles sont généralement plus anxieuses.

En laboratoire,des sujets exposés à des bruits intenses deviennent plus intolérants envers les autres, moins sensibles àleurs problèmes.

" En rendant difficiles les conversations, le bruit peut favoriser l'isolement et gêner lasociabilité.

Les hommes et les femmes n'y réagissent pas de la même manière.

Les premiers évitent lescontacts et ont tendance à s'isoler, alors que les femmes se sentent plus attirées par autrui.

Elles ontcomme une volonté de partager l'inconfort... La pollution atmosphérique suscite le même phénomène.

A-t-elle aussi une influence sur le taux de mortalité ? Sans doute.

Londres,hiver 1952 : à la suite d'une hausse de la température et de l'absence de vent, la ville connaît une concentration exceptionnelle depolluants acides, soufrés et de particules fines en suspension.

Bilan : 2 484 morts au cours de la première semaine, et plus de 4 000au total.

Les hospitalisations pour des pathologies respiratoires triplent, celles pour des pathologies cardio-vasculaires doublent. Une étude américaine portant sur une période de quinze ans a montré un écart de longévité de 30 % entre les habitants des cités les moins polluées et ceux des villes les plus polluées.

En France, une étude du Réseau national de la santé publique (RNSP) a chiffré lamortalité prématurée due à la " pollution acido-particulaire ": 50 décès par an à Lyon, 350 à Paris. Quand l' environnement est surchargé de molécules oxydantes - oxydes d'azote (NO et NO2) et ozone (O3) -, les défenses naturelles ne peuvent plus faire face.

Ce stress oxydant entraîne une détresse respiratoire chez l'adulte, des fibroses, des infections virales, des allergies et une diminution de la capacité respiratoire chez l'enfant. L'augmentation de la réactivité des bronches ainsi agressées peut être à l'origine de l' asthme , dont la fréquence en France s'est multipliée par deux en dix ans.

Les 2,5 millions de Français asthmatiques sont particulièrement sensibles à la pollution et aux autresstress. Selon l'étude ERPURS (évaluation des risques de la pollution urbaine pour la santé), en été, on observe à Paris une augmentation de25 % de l'hospitalisation des enfants pour cause d'asthme.

Et l'exposition répétée à de hauts niveaux de pollution dès le plus jeuneâge favorise une pathologie respiratoire chronique chez l'adulte. Enfin, parmi les multiples stress urbains, la densité est l'un des mieux étudiés, bien qu'il soit l'un des plus subjectifs.

" Dans unenvironnement surpeuplé, ou perçu comme tel, dit Gabriel Moser, les individus sont indifférents les uns aux autres, parce que chacuna tendance à s'isoler et à se désengager pour se protéger.

Un environnement à forte densité entraîne une excitation neurovégétative.Dans un train surpeuplé aux heures de pointe, le stress des voyageurs se vérifie par l'élévation du taux de catécholamines dans lesang et par la présence d'épinéphrine dans les urines.

Au niveau psychologique, nul besoin d'instruments pour mesurer la tension.Seuls les passagers qui prennent le train à la gare de départ sont relativement épargnés, car ils ont le temps de structurer leurterritoire.

Ils ont choisi leur place, ils peuvent dévisager les nouveaux passagers.

Ils sont en position de supériorité.

" Dans un train, impossible d'échapper au stress par la fuite.

En revanche, dit Annie Moch, " dans les tours, les habitants, qui subissentdans les espaces communs (ascenseur, hall...) un grand nombre de rencontres non désirées, manifestent des réactions de fuite etd'évitement.

" " Dans cette civilisation , l'anonymat est vécu non pas comme une restriction mais comme une liberté, renchérit Thierry Paquot.

Ce qui est angoissant, c'est la solitude.

" Encore un stress urbain qui a une influence directe sur la mortalité.

" Récemment, précise AnneBadoux, du laboratoire de psychologie de l'environnement du CNRS, des chercheurs ont mis en évidence un risque de mortalité dedeux à trois fois plus élevé pour les hommes à " réseau social déficitaire " [c'est-à-dire qui ont peu de relations] et d'une fois et demieà deux fois plus élevé pour les femmes placées dans les mêmes conditions.

" C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles oncompte autant d'animaux de compagnie que de Français.. »