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Sciences & Techniques: Carl von Linné : classifier et nommer

Publié le 22/02/2012

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Dieu, il y a 6000 ans, a créé le monde. Désirait-Il éviter l'ennui à sa plus noble créature ? Il n'a en tout cas pas révélé à l'homme les plans de Son Œuvre... Un jeune Suédois se sent prêt à relever le défi : chercher l'ordre divin, nécessairement caché sous une éblouissante diversité. Les sciences naturelles auraient-elles trouvé leur Newton ? Le XVIIIe siècle fut celui de l'inventaire et de la mise en ordre des objets naturels... Immense entreprise dont l'une de ses illustrations les plus frappantes paraît à Leyde en 1735 : le Systema naturae du naturaliste suédois Carl von Linné. L'ouvrage présente en effet un classement de toutes les espèces minérales, végétales et animales connues alors. Il est aussi à la charnière de deux temps, l'ancien et le nouveau. Car Linné a un maître, le fondateur de la zoologie : Aristote. Qu'un naturaliste puisse à cette époque encore se réclamer de la démarche de l'illustre Grec n'est pas, nous allons le voir, pour étonner. Aristote avait classé les quelques centaines d'animaux qu'il connaissait en deux catégories. La première regroupait les animaux sanguins : les Enaima. Y figuraient l'Homme, les Quadrupèdes, les Oiseaux, les Poissons. La seconde regroupait les animaux non sanguins : les Anaima. Aristote y rangeait la plupart des Mollusques, les Crustacés décapodes et plus ou moins ce que nous appelons aujourd'hui les Arthropodes.

« Le XVIIe siècle va, lui, connaître de brillantes percées, mais en physiologie, anatomie, étude des comportements.

En 1668, FrancescoRedi (1626-1697), par exemple, apporte la preuve expérimentale que, contrairement à ce qu'on croyait depuis Aristote, les insectes ne naissent pas par génération spontanée .

N'oublions pas non plus que ce siècle s'est ouvert sur une belle invention : celle du microscope.

Elle a permis à Malpighi (1628-1694) de fonder l'anatomie microscopique animale et végétale.

Autant de progrès, certes,mais pas dans la classification qui, elle, marque toujours le pas. Prenons le cas de l'entomologie.

Il est exemplaire.

A partir de 1734, René Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757) publie sesMémoires pour servir à l'histoire des insectes.

Mais qu'entend-il exactement par insecte? A vrai dire, un bestiaire très large...

Les mouches y côtoient les limaces, les étoiles de mer, les méduses, les escargots, les vers de terre, les lézards, les grenouilles, lescrapauds, et peut-être même les crocodiles...

L'auteur range en définitive dans la classe des insectes tout animal qui n'est niquadrupède, ni oiseau , ni poisson. En botanique, la situation est analogue, quoique moins préoccupante.

Jusqu'au milieu du XVIe siècle, le classement des plantesrepose sur des critères d'utilité.

On sépare les végétaux selon leurs propriétés, médicinales ou alimentaires.

Ils sont le plus souventprésentés par ordre alphabétique. Si l'on excepte le système botanique proposé en 1583 par Andrea Cesalpino (1519-1603), il faut attendre les années 1680 pour queles botanistes disposent de classifications plus ou moins opératoires.

On les doit en Angleterre à Robert Morison (1620-1683) et JohnRay (1628-1705), en Allemagne à Auguste Rivin (1652-1723), en France à Pierre Magnol (1638-1715) et Joseph Pitton de Tournefort(1656-1708). A la fin du XVIIe siècle, un fait nouveau va pourtant briser très rapidement ce désintérêt général pour la classification, zoologique enparticulier : l'essor du commerce maritime et le développement des voyages d'exploration scientifique ne cessent d'apporter en Europeun nombre croissant d'espèces animales et végétales nouvelles.

Tant et si bien que le chaos guette au seuil des cabinets d'histoirenaturelle, et menace les herbiers qui sont à la mode. Le Systema naturae de Linné arrive donc à point nommé.

Ce livre, publié par Linné à l'âge de vingt-huit ans, et les nombreux autres ouvrages de classification qu'il va rédiger, vont faire du Suédois une figure emblématique du naturaliste au XVIIIe siècle.

Il apparaîtracomme le pendant, dans sa discipline, d'un Newton dans les sciences exactes. Né en 1707 à Råshult en Suède, ce fils de pasteur passe trois ans en Hollande, de 1735 à 1738, durant lesquels il obtient son diplômede docteur en médecine et publie plusieurs de ses œuvres essentielles.

Il effectue également deux courts séjours en Angleterre et enFrance, avant de se fixer définitivement en Suède où il prend part en 1739 à la fondation de l'Académie des sciences de Stockholm,dont il devient le premier président.

Deux ans plus tard, il est nommé professeur de médecine à Uppsala, où il enseignera jusqu'à la finde sa vie.

En 1773, il est membre de la Commission royale pour une Bible suédoise chargée de donner une traduction correcte desEcritures.

Il meurt en 1778, la même année que Jean-Jacques Rousseau, qui fut en France un de ses fervents défenseurs. La " science divine " Linné est considéré comme un observateur et un descripteur exceptionnel des choses de la nature.

C'est vrai si l'on ferme les yeuxsur les faits contestables qu'il rapporte parfois, ou sur les croyances populaires auxquelles il lui arrive de donner crédit.

Le serpent àsonnettes, croit-il, a le pouvoir d'hypnotiser ses proies (oiseau, mouche, écureuil par exemple) pour qu'elles tombent dans sa gueule.Quant aux hirondelles, il ne doute pas qu'elles hivernent au fond des lacs pour n'en sortir qu'au printemps. En fait, ce savant suédois est avant tout un incomparable systématicien.

Décrire et classer des corps naturels, voilà, selon lui, lapremière mission du naturaliste.

Rien ne doit être négligé pour la mener à bien.

Ensuite, il faut nommer ces mêmes corps : c'est saseconde et ultime mission. Ces deux approches forment ce qu'il appelle la " science naturelle ", la première de toutes les sciences, celle qu'il désigne aussicomme la " science divine " car elle est recommandée par Dieu lui-même.

Avec Linné, la classification devient le fondement dessciences naturelles. La richesse du vivant ne l'effraie pas.

Il est convaincu d'avoir, tel un nouvel Adam, été élu par Dieu pour retrouver le plan de la Création.Ses propres chiffres auraient pourtant de quoi le faire reculer.

En 1749, il estime qu'il y a sur Terre 20 000 végétaux, 30 000 vers, 12000 insectes , 200 amphibies, 2 600 poissons, 2000 oiseaux, et 200 quadrupèdes.

Répertorier tout cela serait une gageure s'il n'était sûr d'un fait : chaque chose a une placeet, dans sa grande sagesse, le Créateur a veillé au parfait agencement des choses naturelles.C'est à chanter cet ordre divin qu'il travaille. Cet émerveillement physico-théologique n'est pas propre à Linné.

Il s'inscrit dans un courant de pensée initié en grande partie par dessavants anglais comme John Ray et William Derham.

Leurs ouvrages à succès, parus dans les premières années du XVIIIe siècle,montraient combien tout dans la Création témoigne de la puissance divine. A leur suite, les naturalistes du continent, en particulier les entomologistes, Réaumur en tête, verront dans l'anatomie et lecomportement des êtres vivants qu'ils étudient la marque incontestable de la sagesse de leur Auteur.

Chez Linné, cette conceptionreligieuse de la nature est certes une manière de combattre l'athéisme et le matérialisme de certains philosophes de l'époque.

Elleconstitue aussi un puissant stimulant.

Elle le conduira à formuler d'importantes hypothèses biologiques, par exemple sur lesmécanismes de la fécondation chez les plantes.

Ce premier paradoxe linnéen est à prendre en considération dans la querelle toujoursrenaissante entre science et religion.. »

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