Science sans conscience est-elle ruine de l'âme?
Publié le 08/03/2005
Extrait du document
- I) Science et déshumanisation
- II) La science doit recevoir le concours de la conscience morale.
«
présupposés anthropomorphiques grâce auxquels l'homme justifiait le monde et se justifiait.
Elle les détruit mais neles remplace pas.
Plus elle explique le monde, plus elle accroît la solitude de l'homme, lui infligeant, pour chaquenouvelle illusion dissipée, une nouvelle blessure narcissique et l'abandonnant seul dans un univers déserté et muet.Si bien que l'homme, après avoir placé en elle toute son espérance, finit par s'en défier et sombrer dans lescepticisme, voire par retomber dans un irrationalisme dont il s'était laborieusement dégagé.
La science, en effet,refuse, comme le souligne Husserl dans ce texte, de se prononcer sur le sens de ce qui est, prétendant que la véritéscientifique se limite à la seule constatation de ce qui est.« Les questions que la science exclut par principe, observe Husserl, sont les questions qui portent sur le sens oul'absence de sens de toute existence humaine.
» Quel est donc ce principe, ou plutôt quels sont -ces principes parlesquels la science rejette des questions qu'elle considère comme « philosophiques » ? Ce ne sont pas en réalité desprincipes immuables : ils varient selon les diverses sciences et leurs divers états.
Ainsi l'épistémologie positiviste d'A.Comte avait .voulu fixer à deux les principes fondamentaux de la science : le premier était que la science ne porteque sur les phénomènes et non sur la nature ou l'essence des choses ; le second, que la science renonce à saisir lemode de production des choses, c'est-à-dire la causalité, pour ne considérer que les lois.
En d'autres termes, lascience a pour but de lier entre eux les phénomènes, de les déterminer les uns par les autres, non de les « expliquer», l'explication relevant de « l'état théologique » ou de « l'état métaphysique ».
Mais le développement même de-lascience a invalidé ces principes, puisqu'il apparaît qu'elle est nécessairement conduite à expliquer causalement leslois qu'elle a établies, et à rendre compte de la production des phénomènes à partir de modèles théoriques desstructures sous-jacentes aux phénomènes, comme c'est le cas pour la physique nucléaire.Le néo-positivisme contemporain (l'empirisme ou le positivisme logiques des penseurs du Cercle de Vienne) aégalement voulu établir une césure fondamentale et insurmontable entre problèmes philosophiques et problèmesscientifiques en posant que les énoncés de la science se ramènent d'une part à des protocoles vérifiablesd'expériences et d'autre part à des tautologies, c'est-à-dire à des énoncés logico-mathématiques, donc purementformels, qui ne disent rien sur les phénomènes mais définissent les lois des transformations opérables sur eux.
Lesproblèmes « métaphysiques » sont des faux problèmes issus de l'inconsistance des « syntaxes grammaticales » deslangages ordinaires.
Formulés selon la « syntaxe logique » de la science, ils apparaissent dénués de sens etdisparaissent d'eux-mêmes.
Dans cette perspective, la seule philosophie possible est une logique de la science.
Maison a pu objecter au néo-positivisme qu'il donnait à la science un cadre trop étroit.Ces exemples montrent qu'il existe bien des principes qui excluent certaines questions ou problèmes de la science,mais que ces principes sont moins inhérents à la science elle-même qu'à certaines épistémologies scientifiques quireflètent des états ou étapes déterminés de la science.On peut même se demander si la vérité-scientifique se limite bien « à-la constatation de ce que le monde est enfait.
» En effet, les relations d'incertitude de Heisenberg montrent que, au niveau microphysique du moins, la réalitéappréhendée est nécessairement dépendante de l'observateur, et elles contraignent à penser cette réalité entermes de probabilité et de potentialité.
Ainsi la vérité scientifique n'est plus seulement une constatation d'un fait —il existe un animal, un être humain — mais aussi d'une probabilité — il est probable qu'existe ici un électron, unneutrino, il est probable qu'existent des particules sans masse, invisibles.
L'objet de la science — l'atome, l'ondelumineuse — prend alors un aspect de plus en plus fantomatique pour se donner, à la limite, comme un pur systèmed'équations.
Il apparaît d'ailleurs que la vérité scientifique est essentiellement une théorie qui a étéexpérimentalement vérifiée et qui n'est valide que dans la mesure où de nouvelles observations et expériences nel'ont pas encore contredite.Ainsi la théorie de Newton a été vérité scientifique jusqu'à la découverte d'Einstein qui est pour le moment vérité etle restera jusqu'à la l'éventuelle découverte de X qui viendra infirmer sa théorie.
Nous pouvons donc affirmer que lavérité scientifique n'est pas uniquement la constatation de ce que le monde est en fait.Ces quelques réflexions nous permettent de mieux aborder le problème du sens.
La question traditionnelle, dont sepréoccupe ici Husserl, est de savoir comment peuvent se constituer les sciences humaines.
L'homme, en effet, n'estpas un objet comme les autres, il est un sujet, une conscience productrice de sens.
Mais si l'on veut fonder l'étudede l'homme et de ses comportements de manière rigoureusement scientifique, ne devra-t-on pas, en prenant modèlesur les sciences de la nature, le considérer comme un simple objet, et les faits humains comme des choses, selon lacélèbre formule de Durkheim ? Et si l'on accepte de considérer le sens de l'homme et de ses actes, ne faillira-t-onpas à l'objectivité scientifique ? N'introduira-t-on pas une rupture radicale entre science de l'homme et science de la nature ? La science historique, parexemple, devra-t-elle se borner à établir une succession de faits, ou bien s'efforcera-t-elle de dégager le sens del'histoire des hommes ? En réalité, ce que nous avons dit plus haut de la vérité scientifique nous fait entrevoir que ladistinction, établie par Dilthey, entre l'explication, qui recherche le mécanisme des phénomènes, et lacompréhension, qui recherche leur sens, n'est pas susceptible d'opposer radicalement les sciences physiques auxsciences humaines, puisqu'il nous est apparu qu'au sein même des sciences de la matière il n'existait pas de pureobjectivité, mais que toute constatation était une interprétation.
Ceci ne veut pas dire bien sûr qu'il revienne auphysicien ou à l'astronome de se prononcer sur le sens de l'Univers.Cependant, même si les sciences de la nature excluent les questions portant sur le sens des choses, elles enabordent certaines qui sont d'une importance capitale pour notre représentation du monde et de nous-mêmes, etqui comme telles ont toujours préoccupé les philosophes.
Par exemple : « L'Univers est-il éternel ? ».
Mais si laréponse des philosophes a dépendu de considérations ontologiques, voire religieuses, celle des scientifiques dépendde la masse d'une particule élémentaire, le neutrino.
Les problèmes scientifiques se distinguent ainsi des problèmesmétaphysiques par les méthodes utilisées et la délimitation des questions plus que par le fond lui-même.
Il est doncpossible d'envisager que la science aborde des questions « métaphysiques » qui seraient parmi « les plus brûlantes ànotre époque malheureuse » — car incertaine sur ses choix et en conflit avec ses devoirs — « pour une humanitéabandonnée aux bouleversements du destin.
».
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