Sartre fait dire à un de ses personnages : « IL N'Y AVAIT QUE MOI : J'AI DÉCIDÉ SEUL DU MAL. SEUL J'AI INVENTÉ LE BIEN ». Pensez-vous que l'individu puisse créer librement ses valeurs ?
Publié le 14/03/2004
Extrait du document
«
le mal, la beauté et la laideur comme je distingue le rouge et le bleu.
La valeur s'impose à moi et Hartmann remarqueà juste titre qu'on ne peut pas provoquer arbitrairement un seul sentiment de valeur.En outre, je distingue spontanément la valeur esthétique d'une oeuvre ou bien la valeur morale d'une conduite, entant qu'essences objectives de mon aptitude personnelle à les reconnaître, de mon désir propre de les réaliser.
Parexemple, j'affirme la très haute valeur du théâtre de Racine ou de la musique de Bach, mais je ne ressens pas cettevaleur de la même manière à tout moment : je peux après une journée de travail pénible préférer voir un film deHitchcock plutôt qu'une représentation de Britannicus, je continue cependant à affirmer que la tragédie a « plus devaleur ».
Il est vrai qu'on trouverait des hommes incultes pour déclarer qu'un bon roman policier a plus de valeurqu'une oeuvre de Racine, qu'une ritournelle à la mode a plus de valeur qu'une fugue de Bach.
Ils expriment par làque le roman ou la chansonnette leur donnent plus de plaisir.
Seulement l'expérience subjective du plaisir est sanscommune mesure avec la reconnaissance d'une valeur esthétique et morale.
Les sentiments que nous éprouvons nesont pas la mesure des valeurs.
Ce sont au contraire les valeurs qui servent de mesure pour apprécier notresensibilité esthétique ou notre délicatesse morale.
Il ne suffit pas, dit Le Senne, « qu'un homme éprouve le désir detuer pour que le meurtre devienne une valeur » ! Si le subjectivisme est logique avec lui-même, il aboutitinévitablement à la conclusion que toutes les valeurs se valent : « A chacun sa vérité » et « A chacun sa valeur ».De telles formules ruinent la notion même de valeur et le subjectivisme axiologique n'est qu'un nihilisme axiologique.L'expérience que nous faisons de la valeur est tout au contraire l'expérience d'un ordre spécifique qui existe sansnous et qui nous dépasse.
L'honnête homme n'a certes pas le sentiment d'inventer la valeur du bien : il la reconnaîtseulement comme idéal et s'efforce d'y conformer sa conduite.
L'artiste n'a pas l'impression d'inventer le beau, maisbien de chercher à l'atteindre et de ne jamais y parvenir.
Les valeurs sont ces réalités spirituelles qui me résistent,dont parle Malebranche.
Je suis aussi impuissant à décider qu' « il soit juste de faire à autrui ce qu'on ne veut pasqu'on nous fasse à nous-mêmes » qu'à « faire que deux pieds d'étendue intelligible n'en fassent plus qu'un ».
Lesvaleurs ne sont pas ma création.
Elles s'imposent à moi.
Seulement, si les valeurs sont objectives, si je les reconnais comme un donné, on ne comprend plus pourquoi jedistingue la valeur et l'Être.
L'axiologie va s'engloutir dans l'ontologie.
On reviendrait par là à la position desmétaphysiques classiques qui paraissent ignorer ce que nous entendons par valeur.
Chez Spinoza notamment, laréalité est la seule mesure de la perfection.
Il est vrai que l'ontologie spinoziste est en même temps une morale etque Spinoza intitule « Éthique » son ouvrage majeur.
Mais la morale de Spinoza n'a pas d'autre but que de noussoumettre à l'Être : notre volonté est d'autant plus parfaite qu'elle s'identifie plus profondément à cette nécessiténaturelle universelle que Spinoza appelle Dieu.
De même l'idée cartésienne de perfection se ramenait à l'idée d'Erre.L'Etre parfait c'est l'Être sans limitation, indépendant, absolu.
Ce que Descartes nommait imperfection c'est tout cequi est négation, limitation, privation : c'est un moindre être.
Et Leibniz lui-même.
quand il parle du meilleur desmondes créé par Dieu entre tous les mondes possibles, ne définit pas un ordre des « valeurs » qui serait étranger àl'Être, car le monde qui s'impose en définitive à la création divine et qui surgit.
selon les lois d'une « mécaniquesublime » est tout simplement le monde qui comporte la plus grande quantité d'Être, car « parmi les infiniescombinaisons de possibles et séries possibles, il en existe une par laquelle la plus grande quantité d'essence ou depossibilité est amenée à l'existence ».
Parler d'une « objectivité » des valeurs serait donc aboutir à une philosophiede l'Être où la valeur n'aurait plus de place.
Prétendre fonder dans l'absolu le monde des valeurs équivaudrait à niercet ordre spécifique des valeurs en cherchant à le consolider.
Telle est l'aporie fondamentale à laquelle conduit,croyons-nous, toute réflexion philosophique sur les valeurs.La valeur ne demeure valeur, semble-t-il, qu'en se montrant fragile, « précaire », comme dit M.
Dupréel.
La valeurest ce qui doit être et qui n'est pas, qui est au contraire toujours menacée par le cours des choses.
Mais d'autrepart, couper la valeur de l'Être, en faire l'ouvre du moi c'est futiliser la valeur...Il semble possible toutefois de fonder les valeurs sur l'Être tout en maintenant un ordre spécifique des valeurs.
Pourcela, il convient de rappeler que l'Être ne doit pas être confondu avec le donné.
L'homme vit dans le temps.
Incarnédans la matière et dans le devenir, il ne possède pas l'Absolu, il est séparé de l'Éternel.
La « valeur » exprime en luicette quête de l'Être qui est pour lui un objet de visée plutôt qu'une présence donnée.
La valeur, dit très bienLavelle, « est dans l'Être ce qui dépasse toujours le réalisé et qui par conséquent réside dans un acte qu'il dépendde nous d'accomplir »..
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