Sainte-Beuve écrit : « En matière de critique et d'histoire littéraire, je ne connais pas de lecture plus délectable, plus féconde en enseignements de toutes sortes que la biographie bien faite d'un grand homme. » Etes-vous de l'avis de Sainte-Beuve ?
Publié le 17/06/2009
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INTRODUCTION. - Les professeurs qui, à l'époque des examens, reçoivent un paquet de cent ou cent cinquante dissertations à corriger, considèrent ce travail comme une des corvées les plus amères, et on sait, quelle que soit leur conscience professionnelle, le manque d'objectivité de beaucoup de leurs cotations. n'en est pas de même pour les travaux de leurs élèves qu'ils corrigent en cours d'année. C'est que, à la différence des copies d'examen, ils ne sont pas anonymes et que leur auteur est connu. Cette remarque nous prépare à comprendre l'opinion de SAINTE-BEUVE et l'intérêt spécial qu'il prenait aux biographies. Il n'envisageait, évidemment, que les biographies bien faites, c'est-à-dire celles qui, évitant à la fois le panégyrique dithyrambique et la simple énumération des faits, font comprendre l'homme dont elles racontent la vie. Seules aussi l'intéressaient les biographies de grands hommes sans doute, personne n'est méprisable et les existences les plus médiocres posent des problèmes; cependant c'est surtout chez les individualités supérieures qu'il y a beaucoup à comprendre et à apprendre, d'abord, à cause de l'importance de leurs oeuvres; ensuite, à cause de leurs rapports avec leur époque et leur milieu. SAINTE-BEUVE juge les biographies intéressantes à deux chefs : d'abord leur lecture est source de plaisir et il n'en connaît pas de « plus délectable «; ensuite, elles sont fort instructives pour le critique et l'historien à qui elles fournissent des enseignements de toute sorte. Notre examen portera successivement sur ces deux sources d'intérêt.
«
d'autres données plus simples dont elle dépend.
Cherchons donc les données simples pour les qualités morales,comme on les cherche pour les qualités physiques." (TAINE, Histoire de la littérature anglaise.)
On a souvent cité, comme l'expression d'une thèse matérialiste, la phrase qui fait de la vertu et du vice « desproduits comme le vitriol et le sucre ».
Effectivement, TAINE n'est pas spiritualiste, mais il ne professe pas non plusle matérialisme strict qui explique tous les faits psychiques ou moraux par la physique ou par la physiologie.
Ilconsidère la vertu et le vice comme des produits, mais comme des produits d'antécédents du même ordre, c'est-à-dire psychiques.
Il en est de même des oeuvres littéraires.
"De même qu'au fond l'astronomie est un problème de mécanique et la physiologie un problème de chimie, demême l'histoire au fond est un problème de psychologie.
Il y a un système particulier d'impressions et d'opérationsintérieures qui fait l'artiste, le croyant, le musicien, le peintre, le nomade, l'homme en société; pour chacun d'eux,la filiation, l'intensité, les dépendances des idées et des émotions sont différentes; chacun d'eux a son histoiremorale et sa structure propre, avec quelque disposition maîtresse et quelque trait dominateur.
Pour expliquerchacun d'eux, il faudrait écrire un chapitre d'analyse intime, et c'est à peine aujourd'hui si ce travail est ébauché."(Ibid., p.
xiv.)
C'est pourquoi la lecture des oeuvres d'un écrivain doit être précédée par celle de sa vie.
On voit même de nos joursdes revues qui donnent une brève notice sur les.
auteurs des articles qu'elles publient.L'intérêt de la connaissance des auteurs est si évident qu'on n'a pas attendu le XIXe siècle pour en prendreconscience.
Au XVIIe siècle, le savant bénédictin auquel nous devons tant de travaux érudits recommandait de lirela vie des Pères de l'Église avant de s'attaquer à leurs écrits.
"...avant de commencer la lecture d'un Père, il est bon de lire exactement sa vie, pour y connaître son esprit, songénie, son caractère, ses actions et le temps où il a vécu." (MABILLON, Traité des Études monastiques.
2e partie,chap.
Ill, Paris, 1692, t.
II, p.
259.)
2.
Entreprise pour mieux comprendre une oeuvre, la biographie, si elle est bien faite, intéresse bientôt par elle-mêmeparce qu'elle procure une meilleure compréhension de l'auteur.
Dans un article de ses NouveauxLundis à propos d'une.
étude.
sur Chateaubriand, SAINTE-BEUVE expose ce qu'il appelle « la méthode naturelle enlittérature » : elle consiste à expliquer l'écrivain par les conditions.
de son existence, c'est-à-dire à faire sabiographie.Il faudra s'informer d'abord du pays natal de l'auteur étudié, de son ascendance, de ses parents, de ses frères etsoeurs, de ses enfants : Mme DE SÉVIGNÉ, par exemple, « semble s'être dédoublée dans ses deux enfants; lechevalier léger, étourdi, ayant la grâce, et Mine DE GRIGNAN, intelligente, mais un peu froide, ayant pris pour elle laraison.
Leur mère avait tout ».Ensuite, après les études et l'éducation, un point capital à considérer est celui du groupe littéraire dont l'auteurfaisait partie à l'époque où son talent s'est manifesté : « C'est là sa vraie date originelle » (p.
23).
C'est à lecomprendre à ce moment, de son existence que le critique et l'historien trouvent le plus de satisfaction.
"...pour le critique qui étudie un talent, il n'est rien de tel que de le surprendre dans son premier feu, dans sonpremier jet, de le respirer à son heure matinale, dans sa fleur d'âme et de jeunesse; le portrait vu dans sapremière épreuve a pour l'amateur et pour l'homme de goût un prix que rien dans la suite ne peut rendre.
Je nesais pas de jouissance plus douce pour le critique que de comprendre et de décrire un talent jeune, dans safraîcheur, dans ce qu'il y a de franc et de primitif, avant tout ce qui pourra s'y mêler d'acquis et peut-être defabriqué." (Nouveaux Lundis, t.
p.
2,1.)
Il est des talents supérieurs qui se passent de groupe ou plutôt deviennent dès leur jeunesse le centre ou lesinspirateurs de tout un mouvement.
D'autres qui font successivement ou simultanément partie de divers groupes quidéterminent chez, eux de complexes évolutions.
On voit la masse de renseignements que procure une biographiebien faite.Enfin, à travers son histoire, à l'aide d'anecdotes rapportées par ses contemporains, en fouillant dans sacorrespondance la plus intime comme dans ses livres de compte, il faudra atteindre l'homme lui-même, avec sontempérament propre.
"On ne saurait s'y prendre de trop de façons et par trop de bouts pour connaître un homme, c'est-à-dire autrechose qu'un pur esprit.
Tant qu'on ne s'est pas adressé sur un auteur un certain nombre de questions et qu'on n'ya pas répondu, ne fût-ce que pour soi seul et tout bas, on n'est pas sûr de le tenir tout entier, quand même cesquestions sembleraient le plus étrangères à la nature de ses écrits : — Que pensait-il en religion ? — Commentétait-il affecté au spectacle de la nature ? — Gomment se comportait-il sur l'article des femmes ? sur l'article del'argent ? — Était-il riche, était-il pauvre ? — Quel était son régime, quelle était sa manière journalière de vivre ?etc.
— Enfin, quel était son vice ou son faible ? Tout homme en a un..
»
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