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Ruse de la raison, ruse de la passion chez Hegel

Publié le 28/03/2015

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hegel

On sait que Hume, en empiriste cohérent, ne reconnaît pas dans l'esprit humain le lieu de naissance de quoi que ce soit.

 

Il se produit simplement dans l'âme humaine un processus de duplication en vertu duquel certaines impressions au moins se «subliment« en idées.

 

Chez l'homme, une tendance ou une inclination ne peut s'exacerber en passion que dans la mesure où elle vient se heurter à cet obstacle que constitue ta raison.

 

«On n'accordera pas le nom de passion, chez les simples animaux, à l'inclination même la plus violente, car ils sont privés de toute raison qui, seule, fonde le concept de liberté et avec laquelle la passion entre en collision« (Kant, Anthropologie, première partie, III, § 82, éditions Gallimard, collection «Pléiade«, tome III, p. 1085).

 

Pour que ce passage de l «être doué de raison« à l «être rationnel« soit possible, il faut que l'homme puisse agir en l'absence de tout mobile sensible, de toute passion, voire à l'encontre de toutes ses passions, en vertu de la seule représentation de son devoir que la raison en lui représente.

 

L'objection que Hegel va faire à ta morale kantienne peut s'exposer à partir de la distinction entre deux sens du mot «intérêt« : une chose est d'agir par intérêt (c'est-à-dire en attendant un bénéfice tout autre de l'action que l'on entreprend), c'en est une tout autre de s'intéresser à ce que l'on fait, c'est-à-dire de s'investir tout entier, passionnément, dans l'action que l'on entreprend.

 

Autant, dans le premier cas, l'homme reste étranger à l'action qu'il entreprend, elle n'est pour lui qu'un moyen pour réaliser une fin tout autre (il est «aliéné«, dira Marx plus tard, en ce sens que sa propre activité lui demeure étrangère), autant dans le second il s'investit et se reconnaît dans son oeuvre qu'il fait ainsi pleinement sienne.

 

La Raison universelle (non plus ta faculté de l'individu humain) n'a pas d'autre ressource que de se réaliser par le biais des passions humaines.

 

«L'universel [la Raison] doit se réaliser par le particulier [la passion]« (Hegel, La Raison dans l'histoire, 10/18, p. 108).

 

It y a d'une part le concept de justice, de ce qui est conforme au droit, le principe de la reconnaissance réciproque de citoyens se considérant mutuellement comme des personnes libres.

 

Il y a d'autre part la réalisation de ce concept, son effectuation dans la réalité.

 

Et si la raison peut bien concevoir le droit, elle est impuissante à le faire advenir dans la réalité, à faire en sorte que ce que je comprends par ma raison vienne étreindre et façonner le monde.

 

A cet égard la «raison pure« est impuissante, elle culmine dans un tragique «sollen« (devoir) qui reste éternellement à distance de la réalité effective, de l'effectivité (die Wirklichkeit).

 

Sans craindre de se salir les mains, la raison doit donc emprunter à ce qui domine l'histoire humaine les moyens de sa propre réalisation, faute de quoi elle restera à jamais aspiration impuissante et voeu pieux.

 

Quelque exemple que l'on prenne dans l'histoire (César, Napoléon ou encore tes hommes participant à la Révolution française), on aura beau jeu de montrer que chacun d'eux est profondément mû par des passions personnelles : ambition, gloire, désir de conquête, volonté de renverser un ordre injuste, de se trouver mieux loti, etc.

 

Mais les résultats, les conséquences de ces actions vont bien au-delà des passions qui agitent les acteurs, et des buts qu'ils pouvaient se représenter consciemment.

 

C'est donc commettre une profonde erreur que de prétendre disqualifier les passions humaines comme indignes du but visé, qui n'est autre que l'avènement de la liberté humaine en ce monde.

 

La raison seule serait impuissante, il ne peut suffire de convaincre intellectuellement les hommes, encore faut-il leur faire partager notre passion : c'est ce que savent si bien faire les «grands hommes«, ceux en qui s'incarnent l'esprit et les nécessités du temps (cf. «Passion et histoire«, p. 196).

 

Ce n'est donc que de manière partiellement aveugle que les hommes sont amenés à prendre part à l'histoire qu'ils vivent et qu'ils font : la passion est le nom de cet aveuglement.

 

«On peut appeler ruse de la raison le fait qu'elle fasse agir la passion pour son propre compte« (Hegel).

 

hegel

« Philosophie de la passion on va se servir pour mieux le contourner, ou plutôt, pour parvenir à ses fins non pas en dépit, mais à l'aide de cet obstacle.

L'idée de ruse est donc incompatible avec la notion de la toute-puis­ sance divine, et renvoie au contraire à la notion d' « organe-obstacle » : l'un des pôles de la relation apparaît en effet comme un obstacle à la réalisation de l'autre, mais il en est aussi bien le moyen et la condition.

C'est ainsi que, chez Bergson par exemple, la matière est «l'organe­ obstacle » de la poussée de l'élan vital vers l'apparition de la vie et de la conscience (cf.

Bergson, Œuvres, PUF, éditions du Centenaire, p.

575) ; chez Marx en revanche, le développement du capitalisme travaille para­ doxalement et secrètement à la formation du prolétariat et par consé­ quent aux moyens de sa propre destruction (on est donc là plus proche de ce que seront les « contre-finalités » chez Sartre : le capitalisme, loin de travailler à sa propre réalisation, travaille à son insu et de manière inexorable à sa propre perte).

L'idée de ruse comporte ainsi trois moments: opposition, conjonction ou instrumentation, illusion ou aveuglement.

Apparition de l'opposition raison/passion Dans l'œuvre de Platon, la question de la passion est prédéterminée par le fait qu'elle vient s'inscrire dans le cadre d'une problématique plus large : celle de l'opposition entre les parties rationnelle et irration­ nelle de l'âme humaine.

La passion se trouve naturellement reléguée du côté de la part irrationnelle de l'âme, celle qui ne doit pas dominer, mais au contraire être tenue en respect par le pôle rationnel.

Nietzsche verra dans cette défiance envers les passions, perçues comme tyran­ niques parce que sans mesure ni limite, l'acte de naissance de la raison platonicienne.

Voyant dans les passions autant de tyrans potentiels, Socrate est acculé à inventer la raison pour dresser devant les passions le mur d'un « contre-tyran » plus puissant qu'elles toutes: la raison humaine, que la philosophie a pour objet de faire prévaloir (Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, « Le problème de Socrate », § 9).

Toutefois, dans l'œuvre de Platon (La République notamment), la raison ne par­ viendra à imposer dans l'âme humaine son règne sur les passions que par l'entremise d'un tiers, d'un troisième terme (le thumos, c'est-à-dire le « cœur », le courage, la force de caractère).

Toute la morale stoïcienne consistera en un même pari sur la part rationnelle de l'homme, les passions ne consistant qu'en une impuis­ sance à comprendre le monde qui nous entoure pour nous y insérer et y trouver notre place, ce qui est le fait du sage.

La passion n'est qu'impuissance dans l'exacte mesure où elle est incapacité à saisir et à accepter le réel tel qu'il est.

Le sage n'a d'autre objectif que de former, « tremper » son caractère pour dominer toujours mieux ses passions, thématique que l'on retrouvera, dans le Traité des passions de l'âme - 91 -. »

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