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ROUSSEAU: Le vrai philosophe n'est ni Indien, ni Tartare, ni de Geneve, ni de Paris, mais il est homme.

Publié le 27/04/2005

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L'homme, dites-vous, est tel que l'exigeait la place qu'il devait occuper dans l'univers. Mais les hommes diffèrent tellement selon les temps et les lieux qu'avec une pareille logique on serait sujet à tirer du particulier à l'universel des conséquences fort contradictoires et fort peu concluantes. Il ne faut qu'une erreur de géographie pour bouleverser toute cette prétendue doctrine qui déduit ce qui doit être de ce qu'on voit. C'est l'affaire des castors, dira l'Indien, de s'enfouir dans des tanières, l'homme doit dormir à l'air dans un hamac suspendu à des arbres. Non, non, dira le Tartare, l'homme est fait pour coucher dans un chariot. Pauvres gens, s'écrieront nos Philopolis d'un air de pitié, ne voyez-vous pas que l'homme est fait pour bâtir des villes ! Quand il est question de raisonner sur la nature humaine, le vrai philosophe n'est ni Indien, ni Tartare, ni de Genève, ni de Paris, mais il est homme. ROUSSEAUOn ne peut dire ce qu'est la nature humaine (c'est-à-dire ce qu'est l'homme en soi, l'homme en général), donc juger de ce que les hommes doivent être, par extrapolation de ce qu'ils sont dans certaines circonstances géo-historiques données (en un temps et en un lieu déterminés). Il faut au contraire raisonner indépendamment de toutes les considérations géo-historiques particulières.
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« raisonnée son « appartenance ». 3.

L'anthropologie philosophique se propose de dégager les traits essentiels et constitutifs de l'humanité.

L'idéequ'elle s'efforce ainsi de définir la « nature humaine » n'est pas dénuée d'ambiguïtés, surtout si on comprend unetelle démarche théorique à partir d'une conception déterministe, exclusive de toute liberté.

Rousseau solidarisait laliberté de l'homme et sa « perfectibilité » : c'est dire que son souci de caractériser la condition humaine comme tellene le conduisait pas à une problématique « essentialiste » prétendant énoncer de façon définitive et achevée tousles caractères de l'être humain.

Cependant, un tel projet théorique – même réajusté dans ses ambitions par le voeude ne définir que les traits essentiels communs à tous les hommes – rencontre évidemment, non comme obstacle,mais comme réalité dont il faut rendre compte, la diversité de fait des situations des hommes, et des civilisationsdans lesquelles s'organisent leurs existences.

S'il vise l'universel, le philosophe doit certes donner un statut à cettediversité, ne pas la méconnaître : dès lors, il doit s'efforcer de s'affranchir non des particularités de sa situationspatio-temporelle, mais des représentations spontanées qui peuvent s'y attacher.

C'est notamment de cesreprésentations que relèvent les généralisations abusives, et ce que Marx appelait les hypostases idéologiques. Hypostase : fait de placer au-dessus, d'absolutiser. Un travail critique et réflexif est donc nécessaire pour se délivrer soi-même de telles tendances.

La question la plusgénérale de l'éthique philosophique peut montrer le chemin, du moins sur le plan de l'action : qu'est-ce qui vaut pourtout homme ? Cette question est liée à la recherche de la vérité, et met en jeu une autre interrogation, décisive elleaussi : qu'est-ce qui peut être reconnu comme vrai par tout homme ? La raison rapproche les hommes, alors queleurs passions et leurs particularismes tendent à les opposer.La diversité, interrogée à partir de ces deux questions, doit être redéfinie dans la perspective d'une réflexion surl'unité de la condition humaine – soit qu'elle en procède selon un processus positif de diversification, soit qu'elle secomprenne par rapport à elle comme en référence à un horizon, à une fin idéale.

Toute la difficulté réside, commenous l'avons vu, dans la conception d'une démarche propre à affranchir des situations relatives et desaveuglements, ou des étroitesses idéologiques, qu'elles tendent à déterminer.

Est requise en premier lieu l'affirmationde la liberté de jugement, comme possibilité de se mettre à distance des représentations les plus spontanées, afinde cultiver une recherche raisonnée de l'universel.

Le mérite de Rousseau est de définir uneexigence – se placer du point de vue de tout homme – et de situer l'objet d'une anthropologie philosophique à lahauteur de cette exigence.

Dans Discours sur l'origine des langues (chapitre VIII), Rousseau suggère une desmodalités de la distanciation critique nécessaire pour assumer l'exigence évoquée : observer les différences et viserl'universel à partir de leur prise en compte, car les propriétés communes à tous les hommes ne peuvent êtrevéritablement définies que sur cette base : « Pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il fautd'abord observer les différences pour découvrir les propriétés.

»On peut bien sûr objecter qu'un inventaire des différences réelles n'épuise pas le possible, dès lors qu'on admetl'existence de la liberté humaine.

Du moins cet inventaire permet-il de saisir comme telles les particularités, etd'éviter les généralisations abusives évoquées plus haut.

C'est sans doute en ce sens que Rousseau entendait sonrôle critique et démystificateur.

La liberté humaine, liée chez lui à la perfectibilité, constitue le principe même dudépassement de ce qui est, de l'invention de nouvelles façons d'être.

L'idée que l'homme peut se faire de son propreaccomplissement n'est sans doute pas séparable de ce qu'il est ici et maintenant, c'est-à-dire des formes prises parson existence réel-le.

Mais elle ne l'est pas non plus de ce qu'il peut être, c'est-à-dire d'autres formes possibles, àengendrer.

La variété des conditions faites à l'homme n'est donc pas seule en cause : il y a aussi la variation quel'initiative humaine peut provoquer en agissant sur ces conditions.

C'est pourquoi une anthropologie ne peutconduire à une sorte de relativisme sociologique ou ethnographique, qui prétendrait dessiner tout le possible à partirde ce qui est réalisé, et conclure à une diversité radicale des hommes à partir de la diversité effective de leursconditions d'existence.

Aux multiples facettes du différencialisme racial ou social répond la tranquille affirmation duphilosophe qui rappelle l'unité du genre humain selon la « vérité de l'intérieur » qu'est l'universalité de la raison :« Dans l'homme, on pourrait aussi distinguer les espèces logiquement parlant, et si on s'arrêtait à l'extérieur, ontrouverait encore, en parlant physiquement, des différences qui pourraient passer pour spécifiques.

Aussi se trouva-t-il un voyageur qui crut que les Nègres, les Chinois, et enfin les Américains n'étaient pas d'une même race entreeux ni avec les peuples qui nous ressemblent.

Mais comme on connaît l'intérieur essentiel de l'homme, c'est-à-dire laraison, qui demeure dans le même homme, et se trouve dans tous les hommes, et qu'on ne remarque rien de fixe etd'interne parmi nous qui forme une sous-division, nous n'avons aucun sujet de juger qu'il y ait parmi les hommes,selon la vérité de l'intérieur, une différence spécifique essentielle...

» (Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendementhumain, III, chapitre VI, Éd.

Garnier-Flammarion, page 283.)La raison propre à l'homme n'est pas seulement théorique, mais aussi pratique, comme le faisait remarquer Kant.

Entant que telle, elle est l'autre nom de la liberté.

« La connaissance physiologique de l'homme vise à explorer ce quela nature fait de l'homme, la connaissance pragmatique, ce que l'homme, être libre de ses actes, fait ou peut et doitfaire de lui-même.

» (Anthropologie du point de vue pragmatique, préface).. »

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