Rousseau - La Nouvelle Héloïse: «Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède....» ?
Publié le 31/05/2009
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«Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère, et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. En effet, l'homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même ; rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu'on voit ; l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Être existant par lui-même, il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas.«
Rousseau, La Nouvelle Héloïse
« Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! «. La première phrase du texte de Rousseau s'apparente fort à un proverbe, semble posséder une valeur didactique, comme une sorte de mise en garde. Mais cette phrase semble aller contre l'idée reçue que l'on se fait généralement du désir. En effet, le désir est ordinairement perçu comme une période plutôt désagréable, un moment de doute ; n'ayant pas encore obtenu l'objet de son désir, on est au moins dans l'expectative du « promis « bonheur. Or contre toute attente, Rousseau dans cette phrase établit le malheur dans l'absence du désir. Autrement dit, le bonheur se situerait non pas dans l'obtention de l'objet du désir mais dans le désir lui-même. Le paradoxe grandit puisqu'il ajoute qu'avec l'obtention de l'objet du désir, « il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède « : l'obtention est donc synonyme de perte… Pourtant il semblait logique que l'absence de désir qui est impliquée par l'obtention immédiate de l'objet désiré soulage l'homme de tout doute d'obtention et ainsi, le libère du malheur qui en découle. De plus, dans la phrase suivante, Rousseau fait dire à Héloïse que la jouissance est plus intense lorsque « on espère « que lorsqu'on « obtient «. En d'autres termes, c'est le désir, l'espérance qui procure une jouissance et du plaisir. « L'on est heureux avant d'être heureux « vient consolider la thèse défendue par Rousseau : en effet, le sens ici est celui que le réel bonheur est celui qui s'établit avant celui que nous avons l'habitude de percevoir de manière fictive, c'est a dire non pas le bonheur lié a l'obtention mais celui du désir. On peut noter que le parallélisme de construction de la phrase tend à faire entendre la confusion qui existe entre le bonheur que l'on croit être et le réel bonheur défini par Rousseau.
«
possède une propriété compensatrice voire consolatrice.
En effet, l'homme est un être fini, mais pour autantpassionné et illimité dans son désir.
Il paraît alors logique que l'adaptabilité des passions de l'homme au réel soitimpossible.
Cette force offerte par Dieu nous offrirait alors la possibilité de dépasser notre finitude et nouspermettrait d'outrepasser notre condition d'être éternellement insatisfaits en nous rendant palpables et présents cequi fait l'objet de notre désir (et donc nous « manque »).
Le second temps du texte, montre que l'embellissement illusoire de l'objet désiré s'éteint avec l'obtention de celui-ci.Rousseau dans une précédente partie du texte a dépeint l'état du désir humain comme un élément contre touteattente permettant à l'homme d'accéder au bonheur.
Et c'est par la mentalisation, la figuration interne de l'objet dudésir que l'on ne possède pour sûr en rien que cette période est heureuse et rendue agréable.
Pour se justifier,Rousseau montre et analyse dans cette partie les sensations humaines qui accompagnent l'obtention de l'objet dudésir.
« Tout ce prestige disparaît devant l'objet même ».
Pour Rousseau, l'état de désir était un état où seulel'imagination était actrice.
Mais avec l'obtention de l'objet, tout le « prestige » disparaît.
Selon l'auteur, la forcedonnée par Dieu est magique puisqu'elle permet une représentation mentale « sensible » et « présente » de l'objetdésiré : elle leurre l'homme, le dupe.
C'est une sorte de mirage.
Mais Rousseau va plus loin : Héloïse prétend que «rien n'embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ».
Cette phrase sous entend que l'objet du désir est embellipar celui qui désire.
Pour Rousseau, la représentation mentale permise par la force divine dont il est question laissetoute liberté à l'imagination de produire des représentations adaptées au désir de l'homme.
Nos passions et nosdésirs sont changeants.
Cette force s'adapte et l'objet du désir également.
On s'imagine à notre convenance ce quel'on ne voit pas.
Or avec l'obtention de l'objet désiré, cette force s'essouffle et c'est le sensible naturel qui prend lerelais.
En d'autres termes, l'adaptation de l'objet aux passions de l'homme retrouve une réalité qui parel'embellissement.
En effet, ce qui est n'apparaît aux yeux des hommes uniquement comme tel, et ne possèdeexistence « pour soi ».
C'est ce que Rousseau veut dire avec « on ne se figure point ce que l'on voit ».
Un objet,n'est qu'un objet.
Il parait évident que confronté au réel, « l'imagination ne pare plus rien de ce qu'on possède ».Enfin, « l'illusion cesse où commence la jouissance » ; Pour l'auteur l'illusion est la période de désir qui cesse lors del'obtention de l'objet désiré, moment de jouissance.
Le désir, nous l'avons vu précédemment est dépeint parRousseau comme une période de bonheur qui s'oppose dans cette phrase à la jouissance de l'obtention.
On peutnoter que le bonheur s'oppose ici à la jouissance.
« Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d'être habité ».
Dans cette phrase, Rousseau semble valoriserfortement l'imaginaire au détriment du réel.
En effet, le pays des chimères, c'est celui de l'illusion et tout comme leschimères, les objets du désir n'existent que dans l'imagination.
Affirmer que le pays des chimères est le seul digned'être habité c'est considérer que le réel est toujours décevant et que face à cette déception, il vaut mieux setourner vers l'imaginaire.
D'ailleurs, ce pays est digne d'être habité pour l'auteur car c'est l'unique endroit qui soitbeau « il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas.
».
Mais dans cette phrase, Rousseau va plus loin ; il dresse unportrait très sombre de l'humanité ; il l'inclut dans ce qui pour lui n'est « pas beau », et va même jusqu'à sousentendre qu'il existe un « néant des choses humaines » qui est dû à la réalité de l'existence de l'homme, à sonaspect concret et limité.
En outre, il existe en plus de l'imagination, un autre « lieu » de beauté dans le monde : «qu'hors l'Etre existant par lui-même ».
Il s'agit, de Dieu.
Dieu pour l'auteur est « beau » car par définition, il peuttout et il est tout, la beauté, la joie, l'allégresse et aussi le bonheur.
Ainsi, l'unique alternative pour pallier à lafinitude et à la limite humaine est, dans ce texte, le monde imaginaire, l'illusion, le désir dans lesquels peuvents'exprimer des passions et des sensations infinies.
L'imagination est donc le moyen de nous faire supporterl'existence, « le néant des choses humaines ».
Mais il s'agirait alors de se demander si l'on peut valoriser à ce pointl'imaginaire…En effet, si l'imaginaire peut parfois nous soulager, il est aussi essentiel d'affronter le réel.
Eneffet, il y a un face-à-face, entre la raison et le réel : la raison n'a d'existence qu'en tant qu'elle est une faculté depenser, de représenter le réel – et de le distinguer de l'illusion.
Or vivre dans l'illusoire, n'est-ce pas unemanière de perdre sa raison, et dans une certaine mesure, son humanité.
On pourrait se demander si l'attitude queRousseau nous propose d'adopter ne relève pas dans une certaine mesure d'un semblant de lâcheté ? En effet, sil'imaginaire peut parfois nous soulager, il parait aussi essentiel d'affronter le réel.
Cette attitude peut consister ànier le réel et à se détourner du souci de la vie en société.
On a dit que la raison et le réel étaient liés.
Or selonDescartes, la raison c'est la faculté de « discerner le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux ».
On pourrait donc penserque la pensée de Rousseau est en ce sens incompatible dans la vie en société, car elle conduit a des excès de toustypes qui peuvent nuire au fonctionnement des relations entre les gens.
Rousseau s'oppose ici à la conception commune que l'on se fait en général du désir.
En effet, on pourrait penser quedésirer, c'est visé ce qui nous manque, ce que nous ne possédons pas.
En ce sens, l'imagination nous rend alorsprésent à l'esprit ce que nous n'avons pas et nous conduit à désirer.
Mais l'auteur dans ce texte a montré que notremalheur ne vient pas de nos désirs mais de leur absence.
Telle est l'affirmation du début de ce texte.
L'auteur aprétendu que notre bonheur vient de nos désirs et non de la satisfaction de ces derniers.
Plus précisément, c'est letravail d'une force divine et de l'imagination qui nourrit l'illusion et leurre l'homme, rendant palpable et sensible l'objetdu désir.
Or dans sa dernière partie, Rousseau nous montre que ce n'est pas le réel qui rend heureux maisl'imaginaire.
Ainsi, l'on est heureux en désirant et le bonheur « cesse là où commence la jouissance ».
Mais onpourrait alors se demander pour quelles raisons, Rousseau dans certains de ces textes, prétend que le malheur neréside pas dans la privation mais dans le fait de ne rien avoir.
Il établit également que l'on peut être heureux avecpeu de choses, et que le malheur consisterait en fait à toujours prendre conscience de ce que l'on a pas.
Ainsi, sion ne se représente pas ce que l'on pourrait avoir, on pourrait se satisfaire de ce que l'on a.
Or ces propos ne sont-ils pas contradictoires avec la pensée de Rousseau dans ce texte ?.
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