Rousseau, Émile ou De l'éducation, livre IV
Publié le 11/04/2012
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L'histoire en général est défectueuse, en ce qu'elle ne tient registre que de faits sensibles et marqués, qu'on peut fixer par des noms, des lieux, des dates; mais les causes lentes et progressives de ces faits,lesqueUes ne peuvent s'assigner de même, restent toujours inconnues. On trouve souvent dans une bataille gagnée ou perdue la raison d'une révolution qui, même avant cette bataiUe, était déjà devenue inévitable. La guerre ne fait guère que manifester des événements déjà déterminés par des causes morales que les historiens savent rarement voir. L'esprit philosophique a tourné de ce côté les réflexions de plusieurs écrivains de ce siècle; mais je doute que la vérité gagne à leur travail. La fureur des systèmes s'étant emparée d'eux tous, nul ne cherche à voir les choses comme elles sont, mais comme elles s'accordent avec son système. Ajoutez à toutes ces réflexions que l'histoire montre bien plus les actions que les hommes, parce qu'elle ne saisit ceux-ci que dans certains moments choisis, dans leurs vêtements de parade; eUe n'expose que l'homme public qui s'est arrangé pour être vu; elle ne le suit point dans sa maison, dans son cabinet, dans sa famille, au milieu de ses amis; elle ne le peint que quand il représente: c'est bien plus son habit que sa personne qu'elle peint.
«
L'analyse thématiq ue du texte, qui comporte trois parties, permettra de
préciser les différents aspects de la pensée de Rousseau :
a) les inconvénients
d'une approche philosophique de l'histoire.
Si le pro
jet des philosophes est pertinent (rechercher les causes réelles), il n'en est
pas moins hypothéqué
par l'esprit de système (plier la réalité à des idées
préconçues);
b) les défauts
d'une histoire sélective et tributaire des apparences:
o approche des actions (et non des hommes);
o valorisation de l'élément extérieur, de l'apparence propre à la représentation
(l'homme public opposé à l'homme privé, l'habit à la personne);
c) les limites
d'une histoire purement factuelle et événementielle, s'en
tenant à
un point de vue descriptif:
o le double aspect d'une telle histoire : descriptif, et portant sur les seuls
faits visibles;
o les carences d'une telle histoire : pas de repérage des causes profondes
«lentes et progressives »;
o exemple illustrant ces limites : le statut des batailles (cf le thème de
l'« histoire-bataille » ); inversion typique de l'effet et de la cause, la référence
à la bataille elle-même jouant le rôle d'un substitut d'explication.
éclairage comparatif
Hegel, la Raison dans l'Histoire
(Traduction K.
Papaïoannou, 10/18, 1996)
«Ces grands hommes semblent obéir uniquement à leur passion, à leur
caprice.
Mais
ce qu'ils veulent est l'universel.[ ..
.
] C 'est la psychologie des maîtres
d'école qui sépare ces deux aspects .
Ayant réduit la passion à une manie, elle rend
suspecte la morale de
ces hommes; ensuite, elle tient les conséquences de leurs
actes
pour leurs vrais motifs et leurs actes mêmes pour des moyens au service de
ces buts : leurs actions s'expliquent par la manie des grandeurs
ou la manie des
conquêtes.
Ainsi
par exemple l'aspiration d'Alexandre est réduite à la manie de
conquête , donc
à quelque chose de subjectif qui n'est pas le Bien.
Cette réflexion
dite psychologique explique
par le fond du cœur toutes les actions et leur donne
une forme subjective.
De ce point de vue, les protagonistes de l'histoire auraient
tout fait poussés par une passion grande ou petite ou par une manie, et ne
méritent donc pas d'être considérés comme des hommes moraux.
Alexandre de
Macédoine a conquis une partie de
la Grèce, puis J'Asie; il a donc été un obsédé de
conquêtes.
Il a agi par manie de conquêtes, par manie de gloire, et la preuve en est
qu'il s'est couvert de gloire.
Quel
maître d'école n'a pas démontré d'avance
qu'Alexandre
le Grand, Jules César et les hommes de la même espèce ont tous été
poussés
par de telles passions et que, par conséquent, ils ont été des hommes
immoraux? D'où
il suit aussitôt que lui, le maître d'école, vaut mieux que ces gens-là,
car
il n'a pas de ces passions et en donne comme preuve qu'il n'a pas conquis l'Asie,
ni vaincu Darius et Porus, mais qu' il est un homme qui vit bien et a laissé également
l es autres
vivre.
».
»
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