Rousseau, Du contrat social, livre 1, chapitre VIII
Publié le 12/04/2012
Extrait du document
« Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son âme tout entière s'élève à tel point que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme. «
«
Remarques sur l'intérêt philosophique du texte
L'ambiguïté de la référence à l'état de nature doit être envisagée en rela
tion avec
la fonction théorique qu'elle remplit.
S'agit-il de développer une
approche critique de
la réalité sociale présente, et d'en considérer les carac
tères les plus négatifs? L'état de nature sera référence critique, valorisée
positivement non pas comme
ce à quoi il faut revenir (Rousseau lui-même
écartait
un tel point de vue) mais comme ce qui doit faire norme en tant
que domaine originaire dans lequel
se donne à comprendre ce que
l'homme aurait pu être en amont des développements les plus contes
tables .
S'agit-il de souligner
le progrès que représente l'état présent, et de
le valoriser comme tel? L'état de nature sera présenté alors comme ce dont
on devait s'éloigner, soit parce que les potentialités humaines ne pouvaient
s'y réaliser, soit parce que les rapports entre les hommes n'y étaient pas
conformes à
ce qu'exige une humanité pleinement accomplie.
Le mérite
du texte de Rousseau est d'exclure
ce que chacune de ces deux approches
a d'unilatéral, en les combinant.
L'ét at civil rend possible l'avènement de
l'humanité, en suscitant le
développement des potentialités dont l'homme est porteur.
Il rend mani
feste la« perfectibilité » de l'homme, c'est-à-dire son aptitude à l'évolution :
en l'homme est inscrite, naturellement, une disposition
à la culture.
Mais
il faut considérer aussi l' idéal d'une réalisation optimale de
ces potentialités,
qui n'est pas n'importe quelle fin du processus culturel.
La destination
morale de l'homme, correspondant à cet idéal, accomplit
si l'on veut la
nature, mais selon la plus haute idée de réalisation d'elle-même qui puisse
se concevoir .
La nature, comme principe de développement, donne
naissance, grâce à l'état civil, à
la nature comme essence réalisée en sa
plénitude .
À ce titre, elle peut fournir au droit la référence fondatrice et
critique dont il a besoin : invoquer le droit naturel, c'est à la fois rappeler
la sphère de l' humanité originaire comme valeur référentielle
et signifier
l 'ensemble des exigences qui s'attachent à l'idée du plein accomplissement
de cette humanité.
Les différentes déclarations des droits de l'homme
relèveront, peu
ou prou, de cette double démarche.
L'institution de la
norme de nature ne
se réfère plus à l'« amont » (le principe de développement
originaire) que pour
le finaliser par l'« aval» (l'accomplissement de toutes
les potentialités de l'homme, et notamment l'avènement
d'une moralité en
acte dans l'ordre civil).
On comprend dès lors deux conceptions centrales d'une telle problé
matique : référence à l'état de nature ne signifie pas négation de l'état
social, mais rappel simultané d'une origine fondatrice et
d'une exigence.
Dans
le rappel de l'origine fondatrice s'inscrit la reconnaissance de plu
sieurs devenirs possibles,
dont l'un, le devenir réel, perd ainsi son caractère
de fatalité,
ce qui suppose une contingence d'un devenir par rapport à un
autre :
la théorie du libre arbitre de l'homme, affirmé par Rousseau,.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Rousseau, Du contrat social, livre IV, chapitre II, des suffrages
- Du Contrat social, livre I, chapitre VIII
- Rousseau, Du contrat social (1762), Livre I, Chapitre 8 : « De l'état civil »
- Rousseau, extrait du chapitre 4, livre 1, Du contrat social.
- Contrat Social Livre I Chapitre 3 de Rousseau