Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Ire partie.
Publié le 23/03/2015
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« Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il vous faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré... Il faut donc parler pour avoir de idées générales ; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours. «
Rousseau, Discours sur l'origine et
les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Ire partie.
«
Textes commentés 45
---i a) Au XVIIIe siècle, comme au XVIIe, on appelle «idée», suivant la i
définition cartésienne « toute perception de l'esprit » et donc aussi bien i
une sensation qu'un concept.
Une image c'est donc une idée 1
particulière ; une idée générale est ce que nous appelons un concept.
b) La distinction établie par Rousseau est validée par une expérience 1
proposée au lecteur « Essayez de tracer l'image d'un arbre en
général.
..
» C'est l'expérience dont Berkeley concluait à l'impossibilité
d'appréhender une idée générale
(cf.
commentaire du texte 5, note (c).
De l'échec de cette tentative, Rousseau ne tire pas la même
conséquence.
Il ne conclut pas à l'impossibilité de former une idée
générale, mais à l'impossibilité de conserver dans l'image la généralité
du concept
et de conserver dans le concept la ressemblance avec les
choses perçues : si l'on pouvait voir l'objet d'un concept (
« ce qui se
trouve en tout arbre
») il ne ressemblerait à aucun arbre.
C'est
la raison
pour laquelle Rousseau peut affirmer, non pas que l'idée générale est
sans objet, mais qu'elle est
« purement» intellectuelle.
L'adverbe
suggère qu'il convient de se méfier du mélange de l'imagination avec
l'intellection.
On ne parviendra pas à comprendre un concept si l'on
veut le ramener à une image.
Confondre un concept avec les images
qu'on peut évoquer à son sujet, c'est la source d'erreurs :
on tirera des
conséquences fausses de n'avoir envisagé qu'un cas particulier.
C'est
aussi la source de préjugés détestables : tout
homme est un être
humain, bien qu'un Pygmée ne ressemble pas à un Suédois, ni un
homme à une femme.
c) Rousseau distingue les concepts nés de l'expérience des concepts
qu'il appelle
« abstraits ».
Il introduit à cette occasion l'idée sur laquelle
il
conclura : la conception s'appuie sur le discours, non sur
l'imagination.
Le triangle n'est pas une chose qui se voit (qui
s'imagine), mais un objet qui se conçoit
et se dit.
Ce n'est pas tant le
mot
« triangle » qui est ici essentiel que la possibilité de fixer le sens
de ce mot
par une définition.
On ne manquera pas de souligner
l'adjectif« véritable », employé à propos de l'idée que nous formons du 1
triangle d'après sa définition.
Il confirme que, pour Rousseau, nous ne I
pensons - et nous ne connaissons - véritablement que lorsque nous
réussissons à nous déprendre de l'évidence immédiate des images.
Le
discours est la condition de tout savoir rationnel.
J.
»
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