Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes - Deuxième partie
Publié le 24/09/2010
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Il n'est pas possible que les hommes n'aient fait enfin des réflexions sur une situation aussi misérable, et sur les calamités dont ils étaient accablés. Les riches surtout durent bientôt sentir combien leur était désavantageuse une guerre perpétuelle dont ils faisaient seuls tous les frais et dans laquelle le risque de la vie était commun et celui des biens, particulier. D'ailleurs, quelque couleur qu'ils pussent donner à leurs usurpations, ils sentaient assez qu'elles n'étaient établies que sur un droit précaire et abusif et que n'ayant été acquises que par la force, la force pouvait les leur ôter sans qu'ils eussent raison de s'en plaindre. Ceux mêmes que la seule industrie avait enrichis ne pouvaient guère fonder leur propriété sur de meilleurs titres. Ils avaient beau dire : C'est moi qui ai bâti ce mur ; j'ai gagné ce terrain par mon travail. Qui vous a donné les alignements, leur pouvait-on répondre, et en vertu de quoi prétendez-vous être payé à nos dépens d'un travail que nous ne vous avons point imposé ? Ignorez-vous qu'une multitude de vos frères périt, ou souffre du besoin de ce que vous avez de trop, et qu'il vous fallait un consentement exprès et unanime du genre humain pour vous approprier sur la subsistance commune tout ce qui allait au-delà de la vôtre ? Destitué de raisons valables pour se justifier, et de forces suffisantes pour se défendre ; écrasant facilement un particulier, mais écrasé lui-même par des troupes de bandits, seul contre tous, et ne pouvant à cause des jalousies mutuelles s'unir avec ses égaux contre des ennemis unis par l'espoir commun du pillage, le riche, pressé par la nécessité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain ; ce fut d'employer en sa faveur les forces mêmes de ceux qui l'attaquaient, de faire ses défenseurs de ses adversaires, de leur inspirer d'autres maximes, et de leur donner d'autres institutions qui lui fussent aussi favorables que le droit naturel lui était contraire. Dans cette vue, après avoir exposé à ses voisins l'horreur d'une situation qui les armait tous les uns contre les autres, qui leur rendait leurs possessions aussi onéreuses que leurs besoins, et où nul ne trouvait sa sûreté ni dans la pauvreté ni dans la richesse, il inventa aisément des raisons spécieuses pour les amener à son but. « Unissons-nous, leur dit-il, pour garantir de l'oppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient. Instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés de se conformer, qui ne fassent acception de personne, et qui réparent en quelque sorte les caprices de la fortune en soumettant également le puissant et le faible à des devoirs mutuels. En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous-mêmes, rassemblons-les en un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l'association, repousse les ennemis communs et nous maintienne dans une concorde éternelle. «
• Ici, il s'agit, pour Rousseau, de se situer au moment des origines : il veut saisir l'instant où tout semble basculer, où l'homme légitime le règne de l'usurpation. Donc, la mise en forme dramatique répond à l'exigence théorique et au désir de frapper aussi l'imagination dans un discours. La rhétorique du discours persuasif passe par la mise en scène. Dans le premier paragraphe, on peut qualifier le discours du riche comme relevant du discours des passions. Son inquiétude naît de la possession de biens dont il faut s'assurer la permanence. Or, l'usurpation ne peut se justifier de manière rationnelle. Elle résulte d'une passion et se perpétue de même, grâce à l'appui de passions relevant de l'imaginaire et donc remettant en question tout l'acquis naturel. Donc, le riche n'est pas capable de conceptualiser, il « sent « et il « parle « : «Les riches surtout durent bientôt sentir combien... « (l. 3) ; « ils sentaient assez... « (l. 8); «Ils avaient beau dire... « (l. 14) « il inventa aisément des raisons spécieuses... « (l. 41).
«
exercée par le riche sur le pauvre.Le progrès est donc détourné puisque, instrument logique devant amener le perfectionnement de l'homme, la raisonse met au service non pas du bien de l'espèce, mais perpétue les privilèges de certains individus qui sacrifient à unereprésentation d'eux-mêmes.
Donc la raison se met au service de l'imaginaire, du riche, inconscient de sa proprealiénation à l'argent, et du pauvre, sciemment dupé.
Question 3: Comment définir le « droit du plus fort » à partir de ce texte ?
• Dans ce texte, le droit du plus fort doit s'entendre au double sens de fort physiquement et de fort moralement.
Laforce physique permet à certains de prendre possession des terres, qui devaient appartenir à tous.
Mais elle estlimitée dans le temps dans la mesure où elle doit assurer la permanence de la propriété.
Ainsi, les usurpations despossédants « n'étaient établies que sur un droit précaire et abusif» et « n'ayant été acquises que par la force, laforce pouvait les leur ôter sans qu'ils eussent raison de s'en plaindre » (l.
9 à 12).Nous ai-rivons à un blocage de la situation, souligné par la surenchère verbale : «Destitué de raisons valables pourse justifier, et de forces suffisantes pour le défendre » (I.
23) et par la polyptote (voir p.
42) : « écrasantfacilement un particulier, mais écrasé lui-même par des troupes de bandits » (l.
25).
Le riche va donc forger consciemment un discours qui vise à imposer sa domination : « le riche, pressé par lanécessité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain » (l.
29).
Pour conserverses biens, le riche va manipuler les esprits.
Rousseau insiste bien sur le caractère spécieux du discours.
Il analyseavec précision le mécanisme de l'aliénation des hommes : le riche usurpe la force psychologique dans la mesure où ilprend conscience que la force physique est limitée.
Mais l'auteur précise bien que le riche ignore le modèle naturel :la simple force physique ne saurait constituer un modèle de comportement pour l'homme.
En ce sens, le coup deforce du riche consiste, selon Rousseau, à faire entrer les hommes dans une société artificielle, où tout n'est quemise en scène.
Ainsi, la force physique et la manipulation morale ne se distinguent pas par leur nature : ellesrenvoient seulement à deux étapes historiques différentes de l'évolution humaine.Le riche devient capable de persuader autrui de l'artifice et maintient les hommes dans le règne de l'illusion.
Labarbarie exploite les passions des hommes pour leur ôter leur liberté de pensée, leur liberté d'examen critique : ils selaissent séduire parce qu'ils sont ignorants, ce qui explique l'aberration où des êtres physiquement plus fortsacceptent de subir la loi du plus faible.
Le faux contrat se fonde sur les passions : le riche manipule d'autant mieuxles autres qu'ils sacrifient leur liberté à la jouissance immédiate d'un bien et qu'ils se révèlent incapables de seprojeter dans l'avenir — c'est l'enfance de l'humanité, incapable d'apprécier la situation de manière rationnelle.Pour Rousseau, la loi ne doit rien avoir de commun avec la convention.
Elle doit se fonder sur le modèle naturelmême si certains prétendent avaliser le fait par la loi.
Question 4: Qu'est-ce qui, selon Rousseau, incite les hommes à se regrouper?
• Dans ce passage, extrait du livre II du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes,Rousseau tente de penser le passage de la nature à la culture et d'étudier le dévoiement du modèle naturel.
Leprincipal moteur de l'association, c'est la recherche du bien-être : la nature ne dispense pas ses dons à l'infini etl'homme va essayer de s'organiser.
Dans l'état de nature, il existe des degrés d'évolution : il se trouve lui aussisoumis au progrès historique.Rousseau ne dit rien de la sociabilité naturelle de l'homme que décrivent certaines théories de son époque.
Pour lui,les hommes vivent d'abord en solitaires et ne se rejoignent que pressés par le besoin, lorsque la terre ne leur fournitplus les moyens matériels de survivre.La nature influe sur la constitution de l'état social.
Mais elle ne l'exige pas et le passage à la société s'effectue demanière historique : il n'y a pas de génie humain ou d'instance morale innée qui inciterait inéluctablement l'homme àse regrouper avec ses semblables.
Ici, Rousseau semble dire qu'il y a coexistence entre l'état naturel dégradé et lerègne de la force illégitime.
Travaux d'écriture
1.
Dans Du contrat social, Rousseau va définir les termes du «vrai» contrat social, fondé sur lapréservation des droits naturels de l'homme.
Qu'est-ce qui fait du contrat proposé ici un faux contrat?Pouvez-vous définir dans quelles conditions peut se nouer un vrai contrat ? Vous produirez uneargumentation organisée en une cinquantaine de lignes.
• Dans son deuxième discours, Rousseau remonte le cours de l'histoire et se donne comme projet d'analyser lesconditions théoriques de l'évolution humaine.
« De quoi s'agit-il donc précisément dans ce Discours? De marquerdans le progrès des choses le moment où le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ,.
d'expliquerpar quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée,aux prix d'une félicité réelle.
» Rousseau identifie le passage de la nature à la société comme le résultat d'un fauxcontrat.Qu'est-ce qu'un contrat, sinon un acte juridique visant à ne léser aucun des contractants et passé entre despersonnes conscientes de ce qu'elles font ? Selon Rousseau, un discours spécieux fonde toute l'organisation.
»
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