Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, Pléiade, p. 180-181. Commentaire
Publié le 23/03/2015
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Il ne serait pas [...] raisonnable de croire que les Peuples se sont d'abord jetés entre les bras d'un Maître absolu, sans conditions et sans retour, et que le premier moyen de pourvoir à la sûreté commune qu'aient imaginé des hommes fiers et indomptés, a été de se précipiter dans l'esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs si ce n'est pour les défendre contre l'oppression, et protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies qui sont pour ainsi dire, les éléments constitutifs de leur être ? Or dans les relations d'homme à homme, le pis qui puisse arriver à l'un étant de se voir à la discrétion de l'autre, n'eût-il pas été contre le bon sens de commencer par se dépouiller entre les mains d'un Chef des seules choses pour la conservation desquelles ils avaient besoin de son secours ? Quel équivalent eût-il pu leur offrir pour la concession d'un si beau Droit ; et s'il eût osé l'exiger sous le prétexte de les défendre, n'eût-il pas aussi tôt reçu la réponse [...] ; Que nous fera de plus l'ennemi ? Il est donc incontestable, et c'est la maxime fondamentale de tout le Droit Politique, que les peuples se sont donné des Chefs pour défendre leur liberté et non pour les asservir
[...]
Les Politiques font sur l'amour de la liberté les mêmes sophismes que les philosophes ont fait sur l'état de nature ; par les choses qu'ils voient ils jugent des choses très différentes qu'ils n'ont pas vues, et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la servitude par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les yeux supportent la leur, sans songer qu'il en est de la liberté comme de l'innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu'autant qu'on en jouit soi-même, et dont le goût se perd sitôt qu'on les a perdues. «
Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, Pléiade, p. 180-181.
«
Textes commentés 39
Thèse - Pour Rousseau un pouvoir n'est légitime qu'à la condition i
d'assurer l'ordre dans la liberté.
C'est pourquoi il réfute l'idée d'une
servitude volontaire qui n'assurerait la sécurité des hommes qu'au prix
de la perte de leur liberté par quoi se définit leur humanité.
Le respect
que les hommes se doivent à eux-mêmes suppose en effet que dans
celui à qui ils obéissent, ils
ne voient pas un maître qui les opprime, ,
mais l'organe d'une loi garante de leurs libertés.
a) Exposé et réfutation de la thèse de la servitude volontaire.
Prenant
l'apparence pour la réalité, les hommes politiques et les philosophes (et
ici sans doute Rousseau pense-t-il à Hobbes) pensent que la soumission
des peuples à leurs gouvernants serait le résultat d'un contrat aux
1 termes duquel les hommes auraient procédé à l'échange d'une liberté
dans l'insécurité au profit d'une paix dans la servitude.
Ayant fait
l'expérience que leur liberté pouvait être destructrice du corps social,
ils auraient
conclu à la nécessité de s'en priver au profit d'un pouvoir
absolu qui serait seul juge de l'usage qu'ils seraient amenés à en faire.
1
b) Or pour Rousseau cette thèse est absurde pour trois raisons.
En
premier lieu parce qu'elle prend l'habitude de la soumission pour une
donnée naturelle alors qu'elle est une donnée historique contingente et
par conséquent révisable ; ensuite parce qu'on ne voit pas pourquoi les
hommes se seraient soumis à un pouvoir qui s'avérerait aussi
dangereux que l'état d'insécurité dont ils voulaient sortir; enfin parce
que la liberté étant naturelle à l'homme et par suite inaliénable, tout
contrat qui s'aviserait de la supprimer serait dépourvu de valeur.
L'homme en effet
ne peut vouloir que ce qui accomplit sa nature, et
non pas ce qui porte atteinte à son humanité.
Il en résulte que pour Rousseau le pouvoir n'est pas l'arbitraire comme
l'obéissance n'est pas la servitude.
Si les gouvernants ont bien l'exercice
du pouvoir, ils n'en sont pas les propriétaires ; le pouvoir n'appartient
qu'au peuple qui de son côté n'obéit pas à
un homme mais à une loi
pour autant qu'elle préserve ses libertés.
Ce qui signifie qu'un contrat
n'a de valeur que s'il concilie l'ordre et la liberté et non pas s'il pose
comme condition que la conservation de l'un passe par le sacrifice de
l'autre.
Tel est pour Rousseau le fondement de l'autorité et de
l'obéissance dont doit s'inspirer tout droit politique..
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