Rousseau, Discours sur l'économie politique
Publié le 11/04/2012
Extrait du document
Ce qu'il a de plus nécessaire, et peut-être de plus difficile, dans le gouvernement, c'est une intégrité sévère à rendre justice à tous, et surtout à protéger le pauvre contre la tyrannie du riche. Le plus grand mal est déjà fait, quand on a des pauvres à défendre et des riches à contenir. C'est sur la médiocrité seule que s'exerce toute la force des lois; elles sont également impuissantes contre les trésors du riche et contre la misère du pauvre; le premier les élude, le second leur échappe; l'un brise la toile, et l'autre passe au travers. C'est donc une des plus importantes affaires du gouvernement de prévenir l'extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d'en accumuler, ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les citoyens de le devenir. Les hommes inégalement distribués sur le territoire, et entassés dans un lieu tandis que les autres se dépeuplent; les arts d'agrément et de pure industrie favorisés aux dépens des métiers utiles et pénibles: l'agriculture sacrifiée au commerce; le publicain1 rendu nécessaire par la mauvaise administration des deniers de l'État; enfin la vénalité poussée à tel excès que la considération se compte avec les pistoles2, et que les vertus mêmes se vendent à prix d'argent: telles sont les causes les plus sensibles de l'opulence et de la misère, de l'intérêt particulier substitué à l'intérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple, et de l'affaiblissement de tous les ressorts du gouvernement.
«
un pari sur la liberté: la libre adhésion des citoyens à la cause commune,
leur résolution réfléchie à la défendre , sont les seuls ressorts dont puisse se
prévaloir
une Constitution politique excluant l'arbitraire et la violence.
A
quelle condition de tels ressorts peuvent-ils exister durablement? L'étude
du texte de Jean-Jacques Rousseau va nous permettre d'approfondir cette
question,
en attirant l'attention sur l'exigence de justice sociale.
Développement
A partir des principes du gouvernement républicain et de la souveraineté
populaire qui en est indissociable, la question se pose de la tournure prise
par les rapports sociaux.
Comment les citoyens, même s'ils sont également
dépositaires,
en droit, de la souveraineté, peuvent-ils concourir au bien
commun si la disproportion des fortunes leur fait saisir ce bien commun
comme une référence illusoire? Question directement abordée par Rousseau
dans cet extrait du Discours sur l'économie politique.
La thèse soutenue va au-delà d'une simple énonciation des principes
du droit politique : il est du devoir du gouvernement de «prévenir l' ex
trême inégalité des fortunes », c'est-à-dire d'agir au niveau des causes qui
produisent cette inégalité, et de ne pas se contenter d'en amortir les effets.
Thèse
manifestement solidaire du souci de rendre crédibles le droit et les
lois.
Loin de
tout formalisme juridique, de toute abstraction creuse, Rous
seau s'attache
donc à «remplir » l'idéal républicain par la référence à ses
conditions sociales d'accomplissement.
On peut distinguer dans l'argumentation adoptée trois moments
essentiels :
·Tout d'abord , Rousseau énonce sa thèse concernant ce qui est présenté
comme une responsabilité essentielle du gouvernement : celui-ci doit
«rendre justice à tous ».
•
En écho à cet objectif réputé difficile, mais considéré comme primordial
(«ce qu'il y a de plus nécessaire » dit Rousseau), l 'auteur précise, au début
du deuxième alinéa, qu 'il s'agit de «prévenir l'extrême inégalité des
fortunes ».
Action préventive, agissant au niveau des causes, afin que ne se
produisent pas des effets dommageables aux« ressorts du gouvernement» .
• Le troisième moment du texte explicite de tels effets - et vaut en fin de
compte comme une sorte d'ave rtissement.
Le souci de concevoir une justice qui ne soit pas seulement abstraite
mais
qui s'adresse à des citoyens en mesure de comprendre et de respecter
les lois
conduit donc Rousseau à envisager la question de l'égalité sociale,
concernant un rapport d'équilibre entre les conditions d'existence des uns
et des autres.
Cette égalité est comprise ici comme garante de la force des
lois et, à travers elle,
de l'égali té des droits.
Par égalité sociale, Rousseau
n '
entend pas nivellement absolu des niveaux de richesse, mais harmonie
minimale des situations.
C'est la disproportion des fortunes, faisant
coexister les
extrêmes- le plus riche et le plus pauvre-, qui nuit à terme à.
»
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