ROUSSEAU: Ce passage de l'état de nature à l'état civil
Publié le 28/04/2005
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l'ensemble de la vie mentale, y compris les « sentiments » qu'il faut ici comprendre au sens noble comme actes de laconsciences.Rousseau considère donc l'ensemble de la vie mentale, jusqu'au plus haut degré de son évolution.
Malgré tout, lepremier paragraphe ne conclut pas définitivement à l'avantage de l'état civil, et met en balance différentsavantages.
Certes, la nature humaine enveloppant une dimension évolutive, la balance penche dès la fin du premierparagraphe vers l'état civil.
Mais seul le deuxième paragraphe sera décisif, en ne regardant plus que les termes «faciles à comparer ».
La réduction dont nous parle ici Rousseau est à comprendre au sens mathématique de lasimplification d'une équation éliminant des termes de part et d'autre.
Il s'agit donc de prendre seulement enconsidération ce qui doit se retrouver tant dans le premier état de nature que dans le corps politique légitime.
Ils'agit évidemment de l'essentiel de la nature humaine, présent dès l'état de nature et préservé dans l'état civil : laliberté.
Ce paragraphe, plus proprement politique, envisage la liberté comme droit originaire et la considère donc àce titre sur le même plan que la propriété dont la liberté est censée assurer la défense et la conservation.
Et là toutdevient clair pour peu qu'on reconstitue, comme dans le premier paragraphe, les deux séries comparées.
La liberténaturelle, parfaite indépendance de l'individu, est en fait restreinte aux forces de celui-ci, et ne peut garantir qu'uneprécaire possession.
La liberté civile, qui demeure liberté en tant qu'indépendance envers la volonté d'autrui, estnéanmoins étroite dépendance envers la cité ou la volonté générale, guidant la force publique.
Mais cette dernièreétant constituée par les engagements individuels a toujours pour mission de protéger les personnes et les biens desindividus maintenant associés, et elle est en cela beaucoup plus efficace que les simples forces dont faisait usagel'individu pour son propre compte.
La limitation de la liberté civile par la volonté générale a donc l'effet inverse desbornes que les forces de l'individu imposent à la liberté naturelle : on est « plus libre dans le pacte social que dansl'état de naturel ».
Il n'y a donc plus à balancer et l'individu propriétaire a tout à gagner en rentrant dans le corpspolitique rousseauiste : l'aliénation totale du pacte social est en fait un «échange avantageux ».
Et s'il y avait encore à convaincre au-delà des individus propriétaires, Rousseau ajoute une dimension morale dans ledernier paragraphe.
Il s'agit maintenant de moralité au sens strict, moralité-vertu dont les rapports avec le politiqueconstituent l'objet propre de la fin du texte et qu'il ne fallait donc pas lire dès le premier paragraphe.
Ces rapportssont plus complexes qu'il n'y paraît et que ne nous y engage l'enthousiasme républicain identifiant la vie citoyenneavec l'accomplissement moral de la nature humaine, ou encore les lectures récurrentes qui veulent retrouverl'autonomie de la raison pratique kantienne derrière la célèbre formule : « l'obéissance à la loi qu'on s'est prescriteest liberté ».
Il n'est pas dit, contrairement à ce que Rousseau pouvait encore penser, avec Diderot, dans l'article «Économie politique », que la loi soit raison, et il est certain que la raison rousseauiste ne vient pas, comme la raisonpratique kantienne, se substituer aux passions pour déterminer notre volonté.
La raison chez Rousseau ne nous faitpas agir.
Mettant à jour des rapports, elle peut tout au plus proposer de nouveaux objets à la volonté, mais nondevenir elle-même volonté ; « la seule raison n'est point active ».Notons donc à propos de cette introduction de la moralité-vertu en politique qu'il s'agit d'un ajout, et d'un ajoutconditionnel.
Certes, la condition de possibilité n'est autre que le fonctionnement institutionnel du politique légitime.Parce que le même individu obéit, en tant que sujet, à la loi qu'il a élaborée en tant que citoyen, la vie civileconstruit un tribunal intérieur où chacun peut découvrir le sens vertueux de l'effort.
C'est le « sens philosophique dumot liberté » que Montesquieu faisait consister dans l'exercice — pensons à l'étymologie, ascèse — de la volonté.
Ily a bien là liberté morale au sens où la volonté se décide à ne pas suivre les passions mais les nouveaux objets — icila généralité abstraite du bien commun prescrit par la loi — que lui présente sa raison.
Mais la volonté elle-mêmereste mise en jeu, sinon par les passions, du moins par la passion, la passion première et fondamentale queRousseau appelleamour de soi et qui nous pousse à rechercher notre bonheur.
Cet amour de soi, s'il peut et doit être ranimé par lesinstitutions mêmes qui éradiquent l'amour-propre en supprimant les rapports d'autorité interindividuels, ne seréalisera pas dans le corps politique.
La vie passionnelle du citoyen redevient en effet, dans le patriotisme opposantles États entre eux, amour-propre.
Rousseau n'a fait qu'annoncer l'étude des confédérations et nous ne pouvons, enl'état, y trouver de solution.
C'est ailleurs et au-delà du politique, dans une vie morale-religieuse situant chacun, entant qu'homme, dans l'ordre du monde et le rapportant ainsi à son auteur, que l'individu rousseauiste atteindra saperfection et son bonheur.
ROUSSEAU (Jean-Jacques). Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Il n'est pas dans notre propos de résumer la vie de Rousseau, sou séjour aux Charmettes chez Mme de Warens, àMontmorency chez Mme d'Épinay, ses travaux de musique, sa persécution par les catholiques comme par lesprotestants, son voyage en Angleterre après sa fuite de Suisse ou l'hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville.Non plus que la mise à l'Assistance Publique des cinq enfants qu'il eut de Thérèse Levasseur, ou sa brouille avec.
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