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Robert Misrahi, Le Bonheur

Publié le 03/10/2013

Extrait du document

« Une activité singulière nous paraît particulièrement
apte à symboliser ou illustrer toutes ces dimensions
de la joie, toutes ces formes des actes de la joie :
c'est le voyage.
Le voyage est comme une image privilégiée de la
recherche du bonheur et de l'accès à l 'Nre. Nous parlons
du voyage «profond«, comme disent Lévi-Strauss ou
Victor Segalen, et non pas du tourisme.
Un tel voyage est en effet la recherche d'un «lieu«
qui soit singulièrement significatif et qui ait aux yeux du
voyageur une sorte de densité et de cohérence « métaphysique
« ou « ontologique «. Le « lieu « doit pouvoir
devenir une demeure de l'être.
Considérons le voyage dans sa totalité. Le voyageur
se réjouit déjà de la préparation même de son voyage,
cette préparation étant à la fois rupture et anticipation.
Ensuite, il se réjouit du voyage lui-même qui est cheminement
et parcours et non pas simple transport empirique
ou déplacement. Le chemin est déjà le but. Mais
le but lui-même reste privilégié : il est accessible, il peut
être atteint. C'est lui qui rend possible le vécu de la
grande joie tout autre, il veut et peut devenir le symbole
d'une «demeure de l'être«. ( ... )
Le voyage livre en effet le pressentiment du tout
autre. Le temps du voyage devient un présent dynamique
et temporel, et ce présent est à la fois un temps
de jouissance (découvertes et rencontres) et un temps
radicalement différent ayant rompu avec le cycle de la
vie antérieure.
Mais le présent éternel du voyage n'est jouissance
du monde et joie de la relation que s'il est déployé par
le sujet dans une distance intérieure, dans et par une
conversion de son esprit ancien. Seule une telle transformation
peut faire du voyage un mouvement orienté, un
mouvement appelé par un « but « qui soit un « orient «
et qui se constitue alors comme le symbole même de
la quête du bonheur. L'être qui est ainsi atteint est la
conscience de sa propre densité et de sa propre « perfection
« (comme dirait Spinoza).
C'est ce que de nombreux écrivains voyageurs ressentent
mais ne savent pas toujours expliciter. Le voyage
et le « voyage de la vie « ne sont pas les mouvements
de l'éphémère mais la recherche et la patiente instauration
d'une modalité de l'existence qui soit le bonheur.
Le bonheur, c'est-à-dire la conscience d'une complétude
de l'être, en soi et hors de soi, et la jouissance d'exister
comme complétude et comme signification. «

Ce dernier mot est difficile à définir, mais le texte permet de comprendre le sens que l'auteur lui donne : il s'agit d'un état supérieur d'existence dans lequel le sujet, pleinement autonome et maître de lui, peut établir une relation authentique au monde et à autrui. La joie est le signe le plus évident du bonheur durable et profond qui en résulte. Une telle définition du voyage, l'auteur le précise bien, accorde à celui-ci la dimension d'une quête métaphysique : il s'agit d'un « cheminement «, d'un « parcours « vers un lieu chargé de sens, pas du voyage au sens touristique du terme.

« 1 Analyse du sujet 1 Analyse des termes du sujet Le sujet repose sur une assimilation, une équivalence ( « est comme une image») entre le voyage, c'est-à-dire un déplacement dans l'espace pour aller d'un lieu à un autre, et la recherche du bonheur, présenté comme «un accès à l'être».

Ce dernier mot est difficile à définir, mais le texte permet de com­ prendre le sens que l'auteur lui donne : il s'agit d'un état supérieur d'existence dans lequel le sujet, pleinement autonome et maître de lui, peut établir une relation authentique au monde et à autrui.

La joie est le signe le plus évident du bonheur durable et profond qui en résulte.

Une telle définition du voyage, l'auteur le précise bien, accorde à celui-ci la dimension d'une quête métaphysique : il s'agit d'un « chemi­ nement », d'un « parcours » vers un lieu chargé de sens, pas du voyage au sens touristique du terme.

Sa valeur se révèle dans un présent vécu comme rupture avec ce que l'on quitte et dans l'objectif qui lui donne sa signification profonde, le texte explicitant nettement l'importance de chacune des étapes.

En ce sens, il se présente comme une véritable métaphore de l'exis­ tence.

2 Confrontation aux œuvres Sénèque utilise souvent les images maritimes, et emploie l'expression de «voyage de la vie» dans La Brièveté de la vie (p.

114) pour noter que le plus souvent l'homme, parce qu'il est resté distrait sur le parcours, n'a conscience de ce voyage que lorsqu'il touche à sa fin.

La métaphore fonctionne donc bien ici, ainsi que les éléments mis en évidence dans l'analyse du sujet : l'importance de l'objectif (la mort) et de l'itinéraire choisi (le style de vie) décide de la qualité du voyage.

L'image de la vie qui passe est à rapprocher d'un paysage qui défile sans discontinuer sous les yeux du voyageur: il doit être présent à chaque instant du parcours pour ne rien en perdre.

La notion de temps est ici fondamentale.

Cependant, Sénèque ne valorise pas le voyage en tant que tel puisqu'il fait l'apologie d'une sage retraite en compagnie des grands noms de la philosophie, seule voie d'accès à l' « être ».. »

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