Rien ne semble plus faux que la maxime socratique : « Connais-toi toi-même. » C'est absurde, on ne se connaît pas soi-même, parce que le fond de soi-même n'est rien, c'est le néant. Le vrai moyen de se connaître serait plutôt : « Oublie-toi. Oublie-toi pour être absorbé dans le spectacle qui s'offre à toi. » (P. CLAUDEL, N.R.F., juin 1953.). Appréciez la valeur littéraire de ces deux attitudes en face de l'homme et du monde. ?
Publié le 17/06/2009
Extrait du document
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Aussi bien SOCRATE ne commande-t-il pas : « Observe-toi toi-même », mais : « Connais-toi.
» En réalité, lesdangers que nous venons de signaler concernent un mode particulier de connaissance, ce que les psychologuesappellent l'introspection.
On ne saurait, en se fondant sir les observations que nous venons de présenter, prétendreque la connaissance de soi elle-même est dangereuse et qu'il ne faut pas la chercher.C'est bien cependant contre cette recherche que CLAUDEL porte sa condamnation sans réserve, estimant impossiblede se connaître soi-même.
II.
— POSSIBILITE OU LA FAUSSETE DES AFFIRMATIONS DE CLAUDEL.
A.
Le seul argument apporté par notre auteur comme preuve de l'impossibilité de la connaissance de soi est que « lefond de soi-même n'est rien, c'est le néant ».Que veut-il dire par là P Sans doute qu'on ne saurait atteindre une réalité qui serait seulement « moi » et pas autrechose : un moi sans pensée, sans impression aucune, sans le moindre souvenir...
Il est bien évident que laprétention d'atteindre une telle réalité serait absurde : le moi est inséparable de ses expériences présentes etpassées; il est même contradictoire de chercher, par une activité mentale qui est celle du moi, un moi situé au-delàde tout état contingent et accidentel.
L'introspection nous donne le spectacle de notre activité psychique et noncelui d'une sorte de moi brut, de la table rase des empiristes sur laquelle rien n'est écrit et rien ne s'écrit.
Ce qui estécrit et ce qui s'écrit, mes états et mes actes, ne s'identifient sans doute pas avec « moi »; je n'en dois pas moinsy reconnaître quelque chose de moi ou à moi.De plus, ces états, ces actes, le spectacle de ma vie intérieure connu par introspection, me permettent de me faireune idée de ce que je suis, de mon moi.
J'ai d'abord conscience d'être moi, c'est-à-dire un sujet restant identique àlui-même d'activités fort diverses : pensées, sentiments, désirs..., en effet, se donnent toujours comme miens,comme des modifications de mon moi.
Ensuite, à partir de ces multiples données.
je puis par abstraction me faireune idée de nies capacités ou dispositions personnelles, des traits de caractère entrant dans la composition d'unportrait; parvenu à ce point, je puis dire que je me connais moi-même.
B.
Il est vrai, nous l'avons dit, que la simple observation de nous-même ne saurait suffire à nous donner cetteconnaissance : elle suppose aussi l'observation des autres.
C'est pourquoi à celui qui est porté à trop de repliementsur soi-même, il est opportun de recommander : « Oublie-toi ».
Mais le psychologue ne peut pas admettre le vraimoyen de se connaître indiqué et, continuant la citation de CLAUDEL, ajouter : « Oublie-toi pour être dans lespectacle qui s'offre à toi.
»Tout d'abord, il ne faut pas que le spectacle externe nous absorbe au point de suspendre l'exercice de la pensée.
Ilest bon, sans doute, de se laisser aller pendant quelques instants à vivre sans plus la situation observée.
Maisl'esprit doit rester en éveil et la réflexion intervenir bien vite pour comprendre et juger.
Ensuite, nous ne pouvons pas davantage admettre la fin du texte de CLAUDEL : laisse-toi absorber « dans lespectacle qui s'offre à toi ».
En effet, à prendre les mots dans le sens qui se présente le premier à l'esprit, « lespectacle qui s'offre » est celui du monde extérieur, de la nature.
Or, c'est trop évident, ce n'est pas en se perdanten romantique dans la contemplation de la campagne au crépuscule ou des mystérieux sous-bois que l'on trouvera «le vrai moyen de se connaître ».
Inutile de le dire, pour cela ce sont les hommes qu'il faut observer.Enfin, « cet oublie-toi » ne saurait être absolu comme il l'est chez CLAUDEL.
En effet, pour comprendre ce qu'onobserve chez les autres, il faut, bien qu'on n'y songe pas explicitement, se rappeler ce qu'on a remarqué en soi-même.
D'ailleurs, on ne comprend bien les états psychologiques que par expérience vécue; c'est pourquoi, toutnaturellement, nous nous mettons à la place des autres, dans leur état de conscience, et alors c'est en nous autantsinon plus qu'en eux que nous découvrons ce que nous croyons observer.En définitive, non seulement la connaissance de soi-même est possible, mais encore elle n'est possible que par leretour sur soi, quels que puissent être ses dangers.
CONCLUSION. — Des affirmations massives de CLAUDEL, telles qu'elles sont formulées assez hâtivement, il semble donc bien qu'il n'y ait rien à retenir.
On pourrait même y relever une contradiction interne : si on ne se connaît passoi-même parce que ce « soi » n'est rien, comment peut-on indiquer ensuite « le vrai moyen de se connaître »Parvenu à la gloire et entouré du respect que l'on manifeste aux vieillards illustres, l'auteur du Soulier de Satin enétait venu à vouloir faire la leçon aux spécialistes eux-mêmes.
Les psychologues ne sauraient faire leur sacondamnation du « Connais-toi toi-même » socratique..
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- « Rien ne me paraît plus faux que la maxime socratique : Connais-toi toi-même. Le vrai moyen de connaissance serait plutôt : Oublie-toi toi-même. » Claudel, Mémoires improvisés. Commentez cette citation.
- Rien ne me paraît plus faux que la maxime socratique : Connais-toi toi-même. Le vrai moyen de connaissance serait plutôt : Oublie-toi toi-même. Claudel, Mémoires improvisés. Commentez cette citation.
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