Respecter autrui est-ce s'interdire de le juger ?
Publié le 02/07/2005
Extrait du document
Lorsque je refuse de juger autrui, je refuse de juger ses actions comme les miennes, je nie leur valeur. « Il est [...] au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises, et c'est à ce principe que je donne le nom de conscience. « Rousseau, Émile ou De l'éducation. · Selon Rousseau, nous portons un jugement en conscience. Ce jugement nous permet donc d'évaluer, de dire ce qui est bon ou mal, selon nous. Si nous refusons de porter ce jugement, nous refusons, du même coup de prendre conscience des choses, d'être conscient de ce qui se produit. · Et, si le refus de juger tout actes, les siens comme ceux des autres et présent, comment admettre que l'on puisse encore respecter quoi que ce soit ? 2. Qu'est ce que le respect, si ce n'est un jugement ?
L’homme n’aime pas porter le regard sur ses semblables. Peut-être parce qu’il s’y voit, il juge très souvent sévèrement autrui, s’empêchant de lui porter, finalement, le respect qui lui est dû. Mais alors, respecter autrui, est-ce s’interdire de le juger ? Autrui n’est-il pas condamné à être jugé par moi ? Et qu’est-ce que le respect, sinon un jugement ? Pourtant, lorsqu’autrui est face à moi, n’y a-t-il pas que le refus de le juger qui puisse me permettre de le respecter ?
Juger autrui semble supposer une supériorité sur autrui: le juge et l'accusé ne sont pas sur un pied d'égalité, puisque l'un attend le verdict d'un autre. Le respect d'autrui implique en revanche la notion d'égalité: respecter quelqu'un, c'est le tenir pour un alter ego. Ainsi l'idée selon laquelle le respect de quelqu'un s'accommode difficilement de jugements portés sur lui et ses actions est-elle devenue de nos jours un lieu commun. Vous devez critiquer ce lieu commun. Dans ce dessein, analyser la notion de jugement plus précisément: on ne juge ni une chose, ni un animal, mais seulement un individu que l'on reconnaît responsable. Juger quelqu'un, c'est donc lui reconnaître la responsabilité de ses actions, donc le tenir pour une personne à l'instar du juge.
«
"Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ;guide assuré d'un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; jugeinfaillible du bien et du mal, qui rends l'homme semblable à Dieu, c'esttoi qui fais l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sanstoi je ne sens rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que letriste privilège de m'égarer d'erreurs en erreurs à l'aide d'unentendement sans règle et d'une raison sans principe.Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil dephilosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensésde consumer notre vie à l'étude de la morale, nous avons à moindresfrais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinionshumaines.
Mais ce n'est pas assez que ce guide existe, il faut savoir lereconnaître et le suivre.
S'il parle à tous les coeurs, pourquoi donc y ena-t-il si peu qui l'entendent ? Eh ! c'est qu'il parle la langue de la natureque tout nous a fait oublier.
La conscience est timide, elle aime laretraite et la paix ; le monde et le bruit l'épouvantent ; les préjugésdont on l'a fait naître sont ses plus cruels ennemis [...], le fanatismeose la contrefaire et dicter le crime en son nom." ROUSSEAU
• Le problème posé par le texte
Il est facile de constater la diversité historique et géographique des moeurs ("dédale immense des opinionshumaines").
Peut-elle constituer un argument contre l'idée qu'il existe des principes moraux universels, susceptiblesde guider tous les hommes de la même façon ? Autrement dit, la diversité des moeurs peut-elle justifier unrelativisme qui rendrait incertaine l'idée même de moralité ?Par le terme de « conscience », le texte désigne donc exclusivement la conscience morale.
• Le raisonnementIl est un fait que chacun entend en lui-même la voix de sa conscience qui lui dicte son devoir.Quelle est la nature de cette voix ? Rousseau emploie l'expression a instinct divin ».
Le mot « instinct » est engénéral utilisé pour caractériser les conduites animales ou ce qui, en l'homme, relève de son aspect « animal » ets'oppose à la raison.
Or, ici, Rousseau l'emploie au contraire pour nommer ce qui va diriger l'homme vers uneconduite non animale (« sans toi je ne sens rien qui m'élève au dessus des bêtes »).Parler d'instinct à propos de la conscience permet de ne pas l'identifier à la raison.
Comme l'instinct animal, laconscience n'est pas le résultat d'un apprentissage ou d'une réflexion, le fruit de connaissances : elle estspontanée, « innée ».
Mais, en même temps, l'adjectif « divin » différencie la conscience de l'instinct animal ensoulignant son caractère éminemment spirituel.Pourquoi sommes-nous « sourds » ? Si la conscience était à nos actions ce que l'instinct est à la conduite animale,nous ne pourrions lui résister.
Mais, précisément, « tout » nous fait oublier cette voix de la nature.
a Tout », c'est-à-dire l'éducation que nous recevons dans la société et qui, dès l'enfance, inculque des préjugés.
La voix de laconscience n'est ni celle de la raison instruite, ni celle du fanatisme nourri dès l'enfance.
D'où le projet de Rousseaudans l'Émile d'expliquer ce que pourrait être une éducation --qui préserve, pour l'enfant, la possibilité d'entendrecette voix à la fois naturelle et divine.
• Rapprochements possibles et intérêt philosophique du texteOn retrouvera chez Kant la même idée selon laquelle le sens moral est à la portée de tout homme, même non instruit: chacun sait immédiatement où est son devoir.
Mais cette universalité même de la moralité est pour Kant le signeque la conscience morale est l'oeuvre de la raison : non pas une raison « théorique » ou « savante », mais uneraison pratique.
Contrairement à Rousseau, Kant ne fait pas de la morale un sentiment qui s'éprouve mais une loi quis'impose à tout être raisonnable.
La différence entre Kant et Rousseau n'est pourtant pas si grande : lorsqueRousseau dissocie conscience et raison, c'est à la « raison savante » qu'il pense, et le sentiment moral, dans saspiritualité, est pour lui hautement raisonnable.
· Et, si le refus de juger tout actes, les siens comme ceux des autres et présent, comment admettre que l'on puisse encore respecter quoi que ce soit ?
2.
Qu'est ce que le respect, si ce n'est un jugement ?
· Il est tout de même assez difficile d'admettre que le refus de juger, l'interdiction que l'on se donne à soi-même de porter un jugement, puisse donner lieu au respect.
· Le respect, dans ce qui le définit, n'et-il pas la marque même du jugement ? On respecte quelqu'un parce que l'on constate en lui une valeur qui, selon nous, correspond à ce qui est bon.
· Respecter quelqu'un, c'est reconnaître en lui une valeur.
Cette reconnaissance est un jugement, spécifiquement.
On ne peut séparer le respect du jugement.
Si l'on respect, ou non d'ailleurs, une.
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