Réalisme et fantaisie dans les comédies de Corneille ?
Publié le 02/04/2009
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« Les premières comédies de Corneille sont sèches, languissantes, et ne laissaient pas espérer qu'il dût ensuite aller si loin « : ce jugement de La Bruyère (I. 54.) a donné le ton aux siècles qui suivirent, au cours desquels on ignora plus ou moins volontairement ces premières pièces de Corneille. Revenu à une juste appréciation, notre XX8 siècle s'est appliqué, au contraire, à discerner tout le charme de ces jeux romanesques, dont l'essentiel est la double présence de la fantaisie et du réalisme, ainsi que le dosage habile de ces deux éléments.
I. - LA FANTAISIE II. - LE RÉALISME
III. - RAPPORT DU RÉALISME ET DE LA FANTAISIE
«
Pourquoi du réalisme ? Il s'en explique ainsi à propos de La Galerie du Palais :
« J'ai pris ce titre parce que la promesse de ce spectacle extraordinaire et agréable pour sa naïveté devait excitervraisemblablement la curiosité...
»
C'est là que se reconnaît le génie, dans cette volonté d'offrir aux spectateurs ce qu'ils attendent et de leur imposeren même temps, en le leur faisant aimer, ce qu'ils n'attendaient pas.
C'est d'abord le réalisme des lieux.
Après la Galerie du Palais, il offrait la Suivante, dont la scène, sans être aussiprécise, est encore à Paris, et où les rivaux se donnent rendez-vous, pour vider leur querelle, près du château deBicêtre, devenu sous Louis XIII un asile de vieux soldats, en attendant la construction d'un Hôtel des Invalides.Après la Suivante, c'est la Place Royale, qui transporte les spectateurs dans ce quartier du beau monde, faubourgSaint-Germain du temps, qui avait été récemment achevé.
« Il a fait voir, disait-on, (Lettre a *** sous le nomd'Ariste), une Mélite, la Galerie du Palais, et la Place Royale, ce qui nous faisait espérer que Mondory annonceraitbientôt le Cimetière de Saint-Jean, la Samaritaine et la Place aux Veaux.
»
L'Illusion comique elle-même, dont la scène est en principe dans une province toute fantaisiste, fourmille de détailsparisiens.
Le fils de Pridamant a quitté la Bretagne pour Paris, où il a vécu d'une vie aventureuse, d'abord écrivainpublic au cloître de Saint-Innocent, puis montreur de singes à la foire de Saint-Germain, poète attitré des chanteursde la Samaritaine, et enfin comédien ravissant le peuple entier de Paris.
Les moeurs contemporaines à leur tour pénètrent sur la scène en même temps que les lieux.
Il n'y a pas une seulecomédie antérieure à 1636 qui n'aborde les questions relatives au point d'honneur.
Les provocations en duelsemblent le dénouement inévitable de toute rivalité.
Souvent même il y a « double appel » : dans Clitandre, parexemple, deux combattants entrent dans le duel sans motif sérieux, par seul amour de l'art : l'écuyer Lysarque défiel'écuyer de Clitandre parce que Rosidor a reçu de Clitandre un cartel.
D'autre part, un autre trait de moeurs fait encore l'originalité de ces comédies, comme l'indique Corneille dans sonexamen de Mélite : « La peinture de la conversation des honnêtes gens.
» Ces Eraste et ces Doraste, ces Lysandre, ces Cléandre, ces Alidor et ces Alcidon, ne vivent pas à vrai dire d'une vie fort distincte, ce sont des ombresgracieuses, de charmantes abstractions ; à proprement parler il n'y a pas là de caractères.
Mais que la conversations'engage et nous voilà sous le charme : nous nous laissons aller au courant facile de ce langage des honnêtes gens.L'honnête homme défini par La Rochefoucauld est « celui qui ne se pique de rien » : si alambiques que paraissent ces personnages, il en est plus d'un parmi eux qui justifieraient cette définition, car ils ne se piquent ni d'un esprittrop sceptique et cruel, qui témoignerait contre leur coeur, ni d'une chaleur de cœur trop ingénue, qui nuirait à laréputation de leur esprit.
En rien ils ne sont extrêmes et s'ils s'emportent parfois jusqu'à une émotion plus vive, ils sehâtent de' la corriger par un sourire.
Un dernier aspect réaliste, enfin, n'est pas le moindre charme de ces comédies, aspect qui échappait certainementaux contemporains mais que Corneille, dans le secret de son cœur, connaissait bien, et que nous rencontrons avecun plaisir mêlé d'émotion : les confidences personnelles de l'auteur.
Mélite est offerte secrètement à Catherine Hue,et les déclarations d'amour, la crainte des obstacles, des rivaux, des parents, sortent tout droit de l'adolescencefiévreuse de Corneille.
Comme un cadeau plus précieux encore, la pièce renferme le sonnet qu'il composa pour elle,sa Mélite à lui.
De même, dans la Veuve, les allusions constantes aux amants séparés, à la fois pour des questionsd'argent et par des parents sévères, l'amertume triste qui flotte souvent sur cette œuvre légère, sont sans doutebeaucoup plus qu'un simple thème littéraire et nous rappellent qu'à l'époque même où il écrivit sa pièce la mère deCatherine lui préféra, pour sa fille, un époux plus assis.
III.
- RAPPORT DU RÉALISME ET DE LA FANTAISIE
Le charme et la nouveauté des comédies de Corneille est justement dans ce mélange de la réalité et de la fiction, etsi nous les comparons aux comédies antérieures ou contemporaines, souvent grossières, et artificielles toujours,nous comprenons pourquoi elles furent de délicieuses réussites.
Le réalisme apporte d'abord un fond solide à la comédie.
Certes, à première vue, les personnages paraissent semouvoir dans un milieu tout idéal, dans les terres vagues de la fantaisie, mais si l'on y regarde de plus près, si l'onsonge aux personnages insaisissables du théâtre comique de l'époque, on sait gré à Corneille d'avoir essayé depréciser le temps et le lieu de la scène.
Ce réalisme soutient la fantaisie et lui permet de prendre son essor : unefantaisie purement gratuite risque de paraître incroyable, de laisser le spectateur indifférent, car rien ne l'invite defaçon pressante à rentrer dans le cercle magique de l'illusion théâtrale.
Le réalisme parisien introduit par Corneille estau contraire un appel.
Le roman romanesque est lu par un lecteur installé dans le cadre authentique de sa vie detous les jours ; mettre au théâtre ces romans romanesques exigeait, ce qu'a bien compris Corneille, que l'onreconstituât autour de l'histoire ce cadre, et la comédie, par là, se fait comédie de mœurs, puisqu'elle inscrit lesrêves de toute une société dans un cadre authentique.
Les spectateurs participent à l'illusion théâtrale parce qu'ilsse retrouvent dans des lieux, dans une société, dans un langage, qui sont bien les leurs, et que cela leur sert detremplin pour s'évader dans les fictions qu'appellent leurs goûts.
D'autre part, le réalisme limite aussi la fantaisie en lui interdisant certains excès.
Il la contraint à abandonner lespersonnages purement ridicules et les bouffonneries grossières, qui ne sauraient convenir au décor parisien dressépar l'auteur.
C'est pour cela que les nourrices de la tradition cèdent tôt le pas, dans ce théâtre cornélien, dès la.
»
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