Rawls: L'égalité est-elle possible en société ?
Publié le 10/03/2005
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la reposer d'une autre manière.
Rawls opère ici une «révolution copernicienne»: l'analyse ne porte pas sur l'objet mais sur les sujets de la justice.
Que se passerait-il en effet si les individus étaient amenés à choisir lesprincipes de justice ordonnant la communauté en ignorant tout de leur position respective à l'intérieur de cettecommunauté?
« La position originelle »
Imaginons une situation dans laquelle les membres d'une société débattent sur les principes de justice quirégulent la structure sociale.
Si chacun se présente avec ses conditionnements sociaux et historiques, prêt àuser de force ou de ruse pour mieux profiter de la négociation, l'accord unanime est impossible.
Les individussont soumis à l'hétéronomie* de leur détermination sociale et n'agissent pas comme des êtres libres: ils sontenclins à défendre leurs intérêts privés.
Il faut donc imaginer une autre procédure qui les empêche de tournerle débat à leur profit.
Rawls imagine donc une «position originelle» hypothétique, dans laquelle chacun ignore tout de sa place dans la société
«Je pose que les partenaires sont situés derrière un voile d'ignorance.
Ils ne savent pas comment les différentes possibilités affecteront leur propre cas particulier et ils sont obligés de juger les principes sur laseule base de considérations générales » (Théorie de la justice, p.
168).
L'individu qui délibère ne sait rien de son statut social, de ses capacités physiques ou intellectuelles, de sesinclinations, de sa psychologie; riennon plus de son idée du bien, de son projet rationnel de vie.
Il juge donc placé sous ce « voile » en situation de stricte égalité avec les autres partenaires.
Cette fiction permet de représenter l'égalité des êtres humainsen tant que personne morale et les implications de cette égalité.
Dans la mesure où l'individu ne sait pas laplace qu'il va occuper dans la société, il sera enclin à considérer certaines choses comme étant nécessairespour mener une vie satisfaisante.
Celle-ci ne peut en effet être menée que grâce à un certain nombre de «biens premiers ».
Parmi ces biens, Rawls inclut entre autres le revenu, les droits et les libertés de base, et celui qu'il classe en premier, les «bases sociales du respect de soi-même ».Cette «position originelle» joue le même rôle que l'hypothèse de l'état de nature dans les théories du contrat(Locke, Rousseau, Kant...).
Il s'agit évidemment d'une expérience de pensée et non pas d'une situation réelleet historique, qui permet de considérer le problème de la justice en neutralisant les intérêts privés sans pourautant retomber dans des conceptions métaphysiques abstraites.
Dès lors, la justice sociale est d'une natureprocédurale.
Elle n'est pas définie par son contenu mais par une forme : le simple fait de résulter d'uneprocédure équitable.
La situation est comparable à celle d'un jeu: les concurrents acceptent des règlesidentiques pour tous et sans rien connaître de la manière dont la partie va se jouer et se conclure.
La stratégie du «maximin »
Mais quel sera, pour l'individu situé dans cette « position originelle », le choix le plus rationnel? Le « voile d'ignorance » exclut que nous connaissions les tendances individuelles.
Nul ne sait quelle sera sa naturepsychologique et s'il préférera, lorsqu'il sera inscrit au sein de la société, la sécurité ou le risque.
Selon Rawls , ce qui est rationnel est d'adopter la stratégie du «maximin ».
Il faudrait donc, pour chaque associé, partir del'hypothèse que c'est son pire ennemi qui aura la possibilité de choisir la place qu'il occupera dans la société.Cela revient à choisir un ordre social qui maximise le minimum à obtenir.
Par conséquent, si l'on peut êtreamené à tolérer les inégalités, l'ignorance de notre propre position au moment du choix des principes de justicenous amène à limiter ces inégalités.
Les deux principes de justice
En fait, Rawls montre que l'accord des individus, dans les conditions définies, se ferait sur deux principes de justice hiérarchisés entre eux.
Ils peuvent s'énoncer de la façon suivante
« En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de baseégales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres.
[...]En second lieu: les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois : a)elles apportent aux plus désavantagés les meilleures perspectives [principe de différence], b) elles soientattachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à la juste égalité des chances »(Théorie de la justice, p.
91 et 115).
Ces deux principes sont énoncés selon une règle de priorité.
Le premier est prioritaire par rapport au second, età l'intérieur de ce dernier principe la clause sur l'égalité des chances est elle-même prioritaire par rapport auprincipe de différence.
Cela revient à affirmer, dans un premier temps, l'existence de droit égaux pour tous.
Cen'est donc que dans un second temps que se pose la question de la distribution.
Ainsi l'organisation de lasociété doit à la fois tenir compte des libertés de base égales pour tous et, par ailleurs, dans un secondmoment, prendre en considération l'efficacité économique et les exigences d'une organisation productive.
Lesinégalités peuvent donc être tolérées dans la mesure où elles améliorent la situation de tous, y compris lasituation des plus désavantagés.
Mais ces inégalités doivent cependant être compatibles avec la liberté égalepour tous d'un côté, et avec une juste égalité des chances de l'autre.
On ne peut donc ici céder à la tendancesacrificielle de l'utilitarisme : la priorité du premier principe signifie en effet que l'on ne peut échanger une.
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