Rapports de la justice et de la charité
Publié le 08/05/2012
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Réquisitoire contre la charité. - La charité, prise sous sa forme la plus courante, qui est celle de l'aumône, a fait l'objet de critiques nombreuses, que l'on peut ramener à deux principales. On lui reproche d'une part d'entraver les progrès de la justice sociale, soit en permettant à l'État de se décharger sur les particuliers des devoirs qui lui incombent vis-à-vis des pauvres, des malades et des infirmes, soit en favorisant, aux dépens des vrais nécessiteux, qui dissimulent souvent leur misère et leurs détresses, l'imprévoyance et la paresse des mendiants professionnels.- On estime d'autre part que la charité contribue à ac,ilir celui qui reçoit l'aumône, en le rendant dépendant d'autrui et en lui conseillant des attitudes humiliées incompatibles avec le souci de la dignité personnelle.

«
.JUSTICE ET CIIAIIITÉ
dit-on, s'est com;tamment muée en devoirs de justice, suivant
le progrès des idées morales : jadis, libérer un esclave était un
acte de charité ; aujourd'hui, l'esclavage est exclu
par la jus
tice.
De même, récemment encore, les allocations spéciales
pour charges de famille étaient laissées aux initiatives chari
tables des patrons ; elles sont désormais devenues des devoirs
de stricte justice, inscrits
duns les lois.
La charité d'aujour
d'hui n'est donc, en fait, qu'une justice partiellement méconnue,
qui tend peu à peu à se réaliser d'une manière de plus en plus
complète,
à mesure que la société comprend mieux ses devoirs
et s'efforce de substituer sa providence, plus juste et plus clair·
voyante, mieux réglée et moins humiliante, aux procédés
empiriques, aveugles
et capricieux de la charité privée 1
•
b) Discussion.
Cependant, ces idées sont très contestables.
Elles
ont d'abord le tort de ne reconnaître que l'aumône maté·
rielle comme forme de la charité, alors qu'il y a aussi les dons
du cœur,
souvent plus précieux : ces dons du cœur, quelle
future justice les commandera
et les réglemen~era? - D'autre
part, s'il est vrai que des devoirs de charité se sont trans
formés en devoirs de justice, cela implique
un redressement
de certaines erreurs d'appréciation morale, mais nullement
l'élimination de la charité.
Au contraire, c'est la charité qui a
contribué
à réaliser plus de justice, par exemple par l'adou
cissement
et la suppression de l'esclavage, puis par l'élimination
du servage et par l'amélioration des conditions du travail.
La charité est donc bien distincte de la justice.
-Enfin, on
doit
admettre qu'il y a souvent intérêt et devoir pour l'État à
substituer son intervention régulière à certaines initiatives
incontrôlées
et hasardeuses de la charité privée, afin de réaliser
une justice sociale que
la charité ne réussit pas à assurer.
Mais
ce serait sans doute s'illusionner grandement d'imaginer que la
charité publique
(derenue justice sociale) n'ait aucun des défauts
que l'on reproche
à la libre charité.
Son automatisme manque
de discernement et favorise souvent les habiles au détriment
des vrais besogneux ; son caractère administratif la prive de
cette chaleur
et de cette amitié qui font le charme et la noblesse
de
la vraie charité.
Aussi peut-on estimer que plutôt que de mono
poliser
la charité, sous prétexte de justice sociale, l'État
devrait, sans négliger ses devoirs propres, accorder aide et
protection aux œuvres d'assistance et de crédit, aux maisons
(1) cr.
P.
GAULTIER, L'idéal moderne, Paris, 1\108..
»
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