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« Qui vit sans folie n'est pas aussi sage qu'il croit », a dit La Rochefoucauld. Expliquez et commentez cette maxime. ?

Publié le 16/06/2009

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folie

INTRODUCTION. — Il est classique d'opposer la folie et la sagesse. Aussi est-on d'abord surpris par cette maxime de La ROCHEFOUCAULD : « Qui vit sans folie n'est pas aussi sage qu'il croit. « (Maxime, 209.) Faut-il donc, pour être vraiment sage, avoir un grain de folie, ou bien cette réflexion n'est-elle dictée que par le pessimisme de son auteur pour qui la sagesse ne serait qu'une chimère ? Sans prétendre entrer dans ses intentions, nous examinerons sa maxime en elle-même. L'analyse des termes nous conduira à une meilleure intelligence de la maxime. I — EXPLICATION DES TERMES. La maxime de LA ROCHEFOUCAULD commence d'une façon qu'il convient de remarquer : « Qui vit... « Dans ce contexte, « vivre « est synonyme de « se comporter «, « se conduire «. Nous sommes donc avertis que l'auteur n'a pas en vue les spéculations théoriques mais la conduite pratique. Par là, le sens des mots « folie « et « sage « est considérablement précisé. Il se précise plus encore du fait de leur opposition, opposition qui est courante, principalement chez les moralistes. La folie. Ce mot peut prendre deux acceptions qu'il sera plus facile de distinguer en les juxtaposant dans une même phrase comme celle-ci . il eut une crise de folie durant laquelle il fit les pires folies.

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« Aucun de ses mouvements ne lui échappe et son contrôle s'étend jusqu'à la pensée et à l'imagination : il estpossible qu'il rêve, mais sa rêverie est orientée et maintenue dans de justes limites.Ainsi son imagination elle-même, qui passe pour « la folle du logis », reste raisonnable.

Nous avons là le caractèreessentiel de la sagesse : la subordination à la raison.

Si le sage est modéré, c'est par suite d'une conceptionrationnelle de la vie; grâce à elle il voit que les choses pour lesquelles les hommes se passionnent ne méritent pasqu'on se tracasse ainsi pour elles.

L'essentiel, c'est de rester vraiment homme, c'est-à-dire raisonnable, et c'estpour cela qu'il se fait un principe de ne se déterminer que pour des raisons. II.

— LA SIGNIFICATION DE LA MAXIME. Si la sagesse pratique consiste à se conduire raisonnablement, comment LA ROCHEFOUCAULD a-t-il pu dire de celuiqui vit sans folie qu'il n'est pas aussi sage qu'il croit ? 1.

Une première interprétation consiste à entendre par folie celle qui résulte de la passion.

Il faudrait comprendrealors : qui vit sans passion n'est pas aussi sage qu'il croit, il serait plus sage s'il avait quelque passion.Non pas évidemment n'importe quelle passion.

Il est des passions qui ne sont que folie : personne ne songe, parexemple, à valoriser l'ivrognerie; dans ce domaine la tempérance, la modération, est toujours sagesse.

Mais danscertains cas la modération serait déraisonnable : il convient de laisser libre cours à toutes les énergies dont ondispose, de se laisser emporter par la vague, comme le passionné.On ne comprendrait pas, par exemple, que devant l'iniquité, le sage conserve son calme imperturbable : l'indignation,dans ce cas, est sagesse supérieure.

Ce serait aussi d'une sagesse bien étroite que de s'interdire tout enthousiasme: ce qui importe au sage c'est de s'enthousiasmer à bon escient.

La vie morale et la vie religieuse comportent deces décisions généreuses ou héroïques qui dépassent les exigences de la seule raison et par suite font figure de folie: la « folie de la croix », nous dit saint Paul, est sagesse aux yeux de Dieu; ce qui fait écrire à PASCAL : « Notrereligion est sage et folle.

» (p.

588.) 2.

On peut également faire de « qui vit sans folie » le synonyme de "qui ne se conforme qu'à la stricte raison" sansrien laisser à la fantaisie, c'est-à-dire, au sens premier de ce mot, à l'imagination qu'il est classique de considérercomme la « folle du logis ».

A vouloir être trop sage, on manque des découvertes que la sagesse ne fera pas à elleseule.Nous le savons par l'expérience de la recherche scientifique aussi bien que du travail littéraire : à bannir toutirrationnel des processus mentaux — à supposer que cela soit possible, — on ne ferait aucune trouvaille.

Comme ledit André GIDE, « Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu'écrit la raison.

Il faut demeurerentre les deux, tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit ».

(Journal, fin sept.

1894.) 3.

Il faut aller plus loin et comprendre : qui ne fait jamais le fou, au sens vulgaire de l'expression, est moins sagequ'il ne croit.

C'est ainsi que Mme DE SÉVIGNÉ interprète la maxime de LA ROCHEFOUCAULD : « Hélas le moyen devivre sans folie, c'est-à-dire sans fantaisie P et un homme n'est-il pas fou, qui se croit sage en ne s'amusant et nese divertissant de rien ? ».Les choses elles-mêmes ne sont pas d'un égal sérieux.

Aussi sourions-nous de celui qui délibère avec gravité àpropos du moindre de ses gestes.

De la sagesse, il ne nous fournit que la caricature et nous estimons bien plus sagecelui qui, dans les choix sans conséquence, s'abandonne à sa fantaisie.De plus, l'homme lui-même, pour maintenir cet équilibre mental essentiel à la sagesse, a besoin de détente, dedivertissement.

Or, du point de vue de la pure raison, ce divertissement est absurde : quelle sottise, par exemple,d'appliquer toute son attention à ne pas manquer une balle ! Mais PASCAL, qui se fait à lui-même l'objection, yrépond dans le même sens que LA ROCHEFOUCAULD « Cet homme, né pour connaître l'univers, pour juger de touteschoses, pour régir tout un État, le voilà occupé et tout rempli du soin de prendre un lièvre.

Et s'il ne s'abaisse à celaet veille toujours être tendu, il n'en sera que plus sot, parce qu'il voudra s'élever au-dessus de l'humanité, et il n'estqu'un homme, au bout du compte, c'est-à-dire capable de peu et de beaucoup, de tout et de rien .

il n'est ni angeni bête, mais homme.

» (Pensées, p.

397.) Ailleurs, il va plus loin : « Les hommes sont si nécessairement fous, quece serait être fou par un autre tour de folie, que de n'être pas fou.

» (P.

513.) CONCLUSION. - En définitive, la leçon que nous donne LA ROCHEFOUCAULD rejoint celle de PASCAL dans une pensée passée en proverbe : « Qui veut faire l'ange fait la bête.

» (p.

493.) Saint François DE SALES écrivait.

dansle même sens à une de ses pénitentes dont l'imagination se complaisait à rêver d'un idéal impossible qu'il faut serésigner à être de l'humaine nature et non de l'angélique.

Cela ne veut pas dire qu'il faille chercher la folie et non lasagesse.

On nous recommande seulement de ne pas nous prendre pour des sages.

Il y a sans doute quelqueexagération dans cette maxime de la marquise DE SABLE : « La plus grande sagesse de l'homme consiste à connaîtresa folie.

» Il est du moins indiscutable qu'il est sage d'avoir conscience de n'être pas sage.. »

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