Qu'est-ce qui changerait dans une société sans argent ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
« Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamaisde simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d'un marché passé entre les individus.D'abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités, qui s'obligent mutuellement, échangent etcontractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, quis'affrontent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l'intermédiaire de leurs chefs, soitde ces deux façons à la fois.
De plus, ce qu'ils échangent, ce n'est pas exclusivement des biens et desrichesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement.
Ce sont avant tout despolitesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes,des foires dont le marché n'est qu'un des moments et où la circulation des richesses n'est qu'un destermes d'un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent.
Enfin, ces prestations et contre-prestations s'engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, des cadeaux, bien qu'ellessoient au fond rigoureusement obligatoires, à peine de guerre privée ou publique.
Nous avons proposéd'appeler toute ceci le système des prestations totales.
Le type le plus pur de ces institutions nous paraîtêtre représenté par l'alliance des deux phratries dans les tribus australiennes ou nord-américaines engénéral, où les rites, les mariages, la succession aux biens, les liens de droit et d'intérêt, rangs militaireset sacerdotaux, tout est complémentaire et suppose la collaboration des deux moitiés de la tribu.
Parexemple, les jeux sont tout particulièrement régis par elles.
Les Tlinkit et les Haïda, deux tribus de Nord-Ouest américain expriment fortement la nature de ces pratiques en disant que « les deux phratries semontrent respect ».
Dans ce texte extrait de l'Essai sur le don, Mauss aborde la question du don et de l'échange.
Si nous parlonscommunément d'échange pour qualifier la circulation de biens, Mauss va montrer ici que cette forme d'échange n'estqu'un cas particulier d'une logique de don beaucoup plus générale.
Lorsque nous parlons d'échange, nous désignonsdonc généralement la circulation de bien entre deux individus.
Or, l'échange, dans des sociétés plus anciennes quela notre était avant tout entre des collectivités.
Pourquoi souligner ce fait ? Parce que l'échange est ce qui crée unlien social entre des groupes.
Il signalera d'ailleurs que la rupture de l'échange est alors synonyme de déclaration deguerre.
Mauss parle ainsi de politesse, de rites, de festins.
Or, l'échange implique ici un retour.
On dit ainsi qu'on doitune invitation à quelqu'un, par exemple.
Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que parce qu'on a été invité onest en dette par rapport à l'autre.
Rendre l'équivalent de ce qui a été donné relève alors d'un devoir.
Ne pas rendrece qui a été donné, son équivalent, c'est rompre la logique de l'échange qui nourrit le lien social.
Il ne faut donc pasaborder l'échange que sur le terrain économique tel que nous l'entendons actuellement.
Cette approche est sansdoute trop restrictive.
C'est donc la question du don et du contre-don que Mauss aborde ici comme étant non pasun phénomène particulier mais comme structurant tous les rapports sociaux.
C'est en ce sens qu'il parle alors de faitsocial total.
III. L'argent, vecteur de modernité et garant d'une forme de liberté
Certaines des "qualités" traditionnelles attendues de l'argent, sa facilité de transport et sa divisibilité, ont des effetsindéniables sur l'action humaine.
L'argent permet aux individus de s'affranchir de la puissance des choses.
L'argent,qui ne sert à rien en lui-même, peut être converti à tout moment en un objet ou un autre.
Il est donc un desfondements de la liberté des hommes vis-à-vis de leur environnement matériel.
Sa facilité de transport permetégalement à certaines catégories de personnes de vivre ou subsister : les commerçants, bien sûr, mais aussi lesmigrants, étrangers, les exclus et minoritaires...
les catégories les plus susceptibles d'être opprimées oupourchassées auront donc un rapport particulièrement étroit à l'argent, facile à emporter dans sa fuite.
On penseévidemment à la situation historique des juifs.
Cette capacité de l'argent à être transportée représente égalementune victoire sur l'espace .
George Simmel dit également que par ses qualités de "divisibilité", l'argent permet de n'engager qu'une partie de soi même.
L'argent est donc un élément qui a permis l'essor de liberté des individus faceaux choses et face aux autres individus.
Il a favorisé également le caractère anonyme des échanges et"l'objectivation" des phénomènes sociaux.
Il ne s'agit donc pas de souhaiter une société sans argent, ni même, à l'opposé, de souhaiter une société ou lamonétarisation serait reine.
Il s'agit de comprendre les dangers de la monétarisation outrancière et de réfléchir enpermanence sur les valeurs que nous voulons mettre dans l'argent et nos échanges.
Il s'agit aussi de déterminer dequelle façon l'homme peut conserver son autonomie face à un phénomène inévitable pour qui veut vivre en société..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Allons-Nous Vers Une Société Sans Argent Liquide ?
- allons-nous vers une société sans argent liquide?
- Droit public des biens - Commentaire d’arrêt Conseil d'Etat, 18 septembre 2015, société Prest’Air req. N° 387315
- C. E. 18 déc. 1959, SOCIÉTÉ « LES FILMS LUTETIA » et SYNDICAT FRANÇAIS DES PRODUCTEURS et EXPORTATEURS DE FILMS, Rec. 693
- T. C. 8 juill. 1963, SOCIÉTÉ ENTREPRISE PEYROT, Rec. 787