Qu'est-ce que nous aimons dans l'art ?
Publié le 27/02/2005
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Si nous nous demandons ce que nous aimons dans l’art, nous cherchons à déterminer ce qui dans l’art emporte chez nous une adhésion esthétique, notre approbation sensible, pourquoi nous prenons plaisir à contempler des oeuvres spatialisées (tableaux, sculptures…) à entendre de la musique ou à lire des fictions. Il ne s’agira pas de nous demander quel intérêt nous trouvons dans l’art (car il peut y avoir un intérêt purement marchand, économique dans l’art, Jean Echenoz le montre bien dans son roman intitulé « Je m’en vais « qui raconte les tribulations d’un marchand d’art moderne) mais pourquoi nous l’aimons, c'est-à-dire pourquoi nous sommes attachés sentimentalement, sensiblement, aux productions artistiques. La question au centre de ce travail sera donc de déterminer si les causes et la nature de l’amour de l’art varient en fonction du sujet envisagé, à savoir entre le consommateur et le producteur d’art.
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Lorsque nous parlons d'art, nous désignons en vérité deux réalités distinctes.
Jusqu'au dix-huitième siècle, le terme « art » désignait l'ensemble des techniques de production d'artefacts : tel était encore le cas dans leDiscours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau.
Ainsi, l'activité de l'artiste et celle de l'artisan étaient recouvertes par le même terme.
Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrementréductibles l'une à l'autre, qu'elles possèdent chacune une spécificité à élucider.
Par conséquent, il nous faudra aucours de ce travail préciser d'une part ce qui distingue l'art de l'horloger de celui du poète, l'activité du coutelier decelle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nousemployons le signifiant « art ».
Le « nous » dont il est ici question ne laisse pas d'être problématique.
En effet, quel est l'identité qui se cache derrière ce pronom dont Benveniste disait qu'il représentait un collectif absolu, fréquemment opposé à ungroupe conçu comme son opposé (« Nous et les autres » écrivait Todorov) et non la simple addition d'un sujet etd'un groupe (je + eux) ? Nous postulerons que par « nous », il est possible d'entendre deux choses distinctes dansle cas qui nous occupe, à savoir les consommateurs d'art, les spectateurs, lecteurs, d'une part ; et les créateurs.En effet, ce que les uns et les autres attendent d'une œuvre d'art est sans doute rendu différent en raison desrapports subjectifs entretenus par chacun avec l'art.
Si nous nous demandons ce que nous aimons dans l'art, nous cherchons à déterminer ce qui dans l'art emporte chez nous une adhésion esthétique, notre approbation sensible, pourquoi nous prenons plaisir à contemplerdes œuvres spatialisées (tableaux, sculptures…) à entendre de la musique ou à lire des fictions.
Il ne s'agira pas denous demander quel intérêt nous trouvons dans l'art (car il peut y avoir un intérêt purement marchand, économiquedans l'art, Jean Echenoz le montre bien dans son roman intitulé « Je m'en vais » qui raconte les tribulations d'unmarchand d'art moderne) mais pourquoi nous l'aimons, c'est-à-dire pourquoi nous sommes attachéssentimentalement, sensiblement, aux productions artistiques.
La question au centre de ce travail sera donc de déterminer si les causes et la nature de l'amour de l'art varient en fonction du sujet envisagé, à savoir entre le consommateur et le producteur d'art. I.
L'œuvre d'art, expression de l'amour d'autrui pour le spectateur ? a.
Le spectateur aime l'art parce qu'elle est le moyen privilégié de sortir du solipsisme
Nous commencerons par avancer que l'amour de l'art, pour le spectateur, est peut-être une forme de l'amourd'autrui.
Ainsi, ce que nous aimons dans l'art, c'est peut-être la découverte privilégiée, et impossible à accomplir parquelque autre moyen que ce soit, d'un être qui n'est pas nous-mêmes.
Prenons l'exemple d'une philosophecontemporaine, proposant une expérience de pensée du solipsisme.
Hilary Putnam est un philosophe américain,auteur de « Raison, vérité, histoire » (1984).
Dans ce livre, elle fait l'expérience de pensée suivante : imaginons que notre cerveau se trouve dans une solution nutritive qui l'alimente.
Tout ce qui est perçu, pensé, imaginé, souvenu,n'est plus l'effet du monde, mais le résultat des impulsions électriques venues de ce savant fou.
Alors le problèmeest le suivant : peut-on avoir la certitude que nous ne sommes pas ce cerveau dans une cuve ? Cette expériencede pensée est une réactualisation de la fiction du rêve, dans le cadre du doute hyperbolique mis en scène parDescartes dans les Méditations Métaphysiques .
Dans une certaine mesure, nous pouvons dire que l'art nous permet de sortir du solipsisme, expérience décrite par Hilary Putman après Descartes, afin de mettre un terme au doutehyperbolique.
Nous ne pouvons croire que rien d'autre en dehors de nous-mêmes est existant, dans la mesure oùl'œuvre d'art est la trace objective de l'existence d'un autre être, qui a informé et dominé la matière (celle descouleurs, des mots…) pour lui donner son empreinte subjective.
Ainsi, ce que nous aimons dans l'art, c'est peut-êtrel'expérience d'une autre subjectivité que la notre, médiatisée par l'œuvre artistique.
b.
L'amour de l'art pour le spectateur, une forme de l'amour de soi ?
Cependant, il n'est peut-être pas si certain que l'amour de l'art soit entièrement désintéressé, que ce que nous aimons dans l'art, ce soit uniquement la découverte d'une subjectivité étrangère qui nous serait demeurée inconnuen'eut été la fréquentation de l'œuvre produite par autrui.
En effet, ce que nous aimons dans l'art, nous lesconsommateurs d'art, c'est peut-être le reflet de nous-mêmes et de notre condition qu'il nous donne.
Proust écritdans Le Temps retrouvé que « tout lecteur, quand il lit, est propre lecteur de soi même ».
Cela signifie que l'expérience transmise par l'œuvre d'art est peut-être une expérience qui dépasse largement la sphère du créateur,qu'elle touche à l'humanité commune.
Ainsi, quand Proust nous décrit la jalousie de Swann dans « Un amour de.
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