QU’EST-CE QUE L’ART ?
Publié le 18/01/2020
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QU’EST-CE QUE L’ART ?
Devant un « Picasso », chacun s’autorise à porter un jugement, même s’il s’abstient de le formuler.
Ce jugement est immédiat et sans appel. « Immédiat », c’est-à-dire sans intermédiaire. Et «sans appel», c’est-à-dire sans possibilité de recours. Car à qui faut-il s’adresser pour savoir ce que cette chose signifie et, d’abord, pour savoir si c’est bien une « œuvre d’art » ?
Certes, en une autre rencontre, en un autre temps, la même œuvre pourra susciter un nouveau jugement, différent du premier. Mais ce sera encore et toujours un jugement immédiat et sans appel.
Par exemple, si dans une « galerie d’art », devant la toile admirable qui vient brusquement de frapper mon attention, quelqu’un dit : « Quelle horreur ! », ou- si, inversement, devant une «œuvre d’art» que je juge, moi, dérisoire, quelqu’un s’exclame : «Admirable ! », il faudrait être bien naïf pour croire que des appréciations aussi aberrantes vont modifier mon jugement, ou vice versa.
C’est que, dans le «domaine de l’art», l’œuvre paraît s’offrir sans intermédiaire à l’appréciation de chacun et de tous. Mieux encore, elle semble parfois nous provoquer, nous défier, ou, comme on dit aujourd’hui, nous interpeller. À quel titre ? Et pour nous dire quoi ?
Telle est, en peu de mots, la problématique à laquelle nous renvoie, en fin d’analyse, toute réflexion sur l’art : cette problématique, comme l’a bien vu Kant, n’est autre que celle du jugement, c’est-à-dire de la faculté dé juger.
Commençons donc par analyser : «galerie d’art», «œuvre d’art», «domaine de l’art». Nous avons déjà trois occurrences du mot art, qui fournissent matière à réflexion. Quel secours nous offrent les dictionnaires ?
Comme chacun sait, une «galerie d’art» est un « magasin où sont exposées, pour être vendues, des œuvres d’art» {Trésor de la langue française) ; une « œuvre d’art» est une «œuvre qui manifeste la volonté esthétique d’un artiste» (Robert), et l’« artiste», au sens moderne, depuis le xvnfsiècle, c’est le «créateur d’une œuvre d’art» (Robert).
Qu’est-ce donc que l’«art»? Au singulier, c’est un terme, dit le Lalande, qui s’applique aux caractères communs des œuvres d’art.
Quant au «domaine de l’art», c’est tout ce qu’embrasse l’art en général. (Or, comme l’écrit Baudelaire à propos de la poésie, le domaine de l’art, «pour limité qu’il soit, n’en est pas moins, par le droit du génie, presque illimité»).
Nous voici donc maintenant en pleine indétermination et dans une sorte de cercle : le magasin est-il une «galerie d’art » parce qu’il expose et vend des « œuvres d’art » et ces œuvres sont-elles des «œuvres d’art», parce qu’elles sont exposées et vendues dans une «galerie d’art» ou parce qu’elles ont été produites par un «artiste»? Et l’artiste est-il «artiste» parce qu’il produit des «œuvres d’art» ou bien les œuvres qu’il produit sont-elles des «œuvres d’art» du fait qu’il est un « artiste » ?
Quand Picasso, par exemple, au restaurant, pétrit du bout des doigts de la mie de pain, produit-il nécessairement, du fait qu’il est un artiste (génial), une œuvre d’art (géniale) ? ou faut-il que cette sculpture en mie de pain soit exposée, sinon vendue, dans une galerie d’art pour devenir une œuvre d’art ?
QUELLE EST L’ORIGINE DE L’« ŒUVRE D’ART » ?
Qu’appelle-t-on «beaux-arts»?
L’artiste et l’artisan
LES ARTS «LIBÉRAUX»
QUELLE EST L’ORIGINE DE L’« ŒUVRE D’ART » ?
Entre l’artiste et l’œuvre d’art, comme entre la poule et l’œuf, il y a conflit de générations. Car : si c’est l’artiste qui fait l’œuvre d’art, en revanche, c’est l’œuvre d’art qui fait l’artiste.
Si l’on tente d’échapper au cercle en appelant tout simplement « artiste » : « celui qui cultive un art, qui pratique un des beaux-arts» (Trésor de la langue française), on demandera alors, non plus : qu’est-ce que «l’art»?, mais bien : qu’est-ce qu’un art? combien y a-t-il d’arts susceptibles d’être cultivés ?
Ne pas confondre : l'Art (tout court) et l’art de... Artistes en tous genres
art de + infinitif = Talent, habileté.
Il y a, en ce sens, autant d’arts que d’activités possibles, depuis l’art de dire ou de parler (la rhétorique) jusqu’à l’art d’aimer, de voyager, de négocier, d’être grand-père, d’escamoter ou de faire illusion (prestidigitation), de duper les gens, etc.
Et quels sont ceux qu’on appelle «beaux-arts» et pourquoi?
Qu’appelle-t-on «beaux-arts»?
Les dictionnaires appellent beaux-arts, « principalement les arts plastiques, visant à l’expression sensible du beau » (Trésor de la langue française). Plastiques « se dit de tous les arts dont le but principal est l’élaboration de formes, et dans ces arts, de ce qui concerne les formes (Robert). Les arts plastiques sont, selon le Robert : «la sculpture, l’architecture, le dessin, la peinture, auxquels on peut joindre les divers arts décoratifs, la chorégraphie, etc.» (Notez bien cet etc.) - et, selon le Trésor de la langue française : « la peinture, la statuaire ». Refermant les dictionnaires, vous ouvrez votre Valéry et vous lisez (Pléiade,
«
38 La problématique du jugement
« œuvre d'art», «domaine de l'art».
Nous avons déjà trois
occurrences du mot art, qui fournissent matière à réflexion.
Quel secours nous offrent les dictionnaires ?
Comme chacun sait, une «galerie d'art» est un
« magasin où sont exposées, pour être vendues, des œuvres
d'art» (Trésor de la langue française) ; une « œuvre d'art»
est une ~< œuvre qui manifeste la volonté esthétique d'un
artiste» (Robert), et l' «artiste», au sens moderne, depuis le
xvn!°siècle, c'est le «créateur d'une œuvre d'art» (Robert).
Qu'est-ce donc que l'«art»? Au singulier, c'est un
terme, dit le Lalande, qui s'applique aux caractères
communs des œuvres d'art.
Quant au « domaine de 1' art », c'est tout ce qu'embrasse
l'art en général.
(Or, comme l'écrit Baudelaire à propos de
la poésie, le domaine de l'art, «pour limité qu'il soit, n'en
est pas moins, par le droit du génie, presque illimité»).
Nous voici donc maintenant en pleine indétermination et dans une sorte de cercle : le magasin est-il une «galerie d'art» parce qu'il expose et vend des «œuvres d'art» et ces œuvres sont-elles des «œuvres d'art», parce qu'elles sont exposées et vendues dans une «galerie d'art» ou parce qu'elles ont été produites par un « artiste » ? Et 1' artiste est-il «artiste» parce qu'il produit des « œuvres d'art» ou bien les œuvres qu'il produit sont-elles des «œuvres d'art» du fait qu'il est un «artiste» ? Quand Picasso, par exemple, au restaurant, pétrit du bout des doigts de la mie de pain, produit-il nécessaire ment, du fait qu'il est un artiste (génial), une œuVre d'art (géniale)? ou faut-il que cette sculpture en mie de pain soit exposée, sinon vendue, dans une galerie d'art pour devenir une œuvre d'art?. »
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