Quelle influence l'imagination exerce-t-elle sur la vie affective ?

« *** Plus large, mais moins heureuse aussi, l'influence de l'imagination sur l'émotivité.

Sans être la cause spécifique del'émotion, que l'on doit chercher du côté de la tendance et du système végétatif, l'image intervient dans sonmécanisme.L'imagination est partiellement responsable du caractère des régulateurs du choc émotif.

Par son intensité, l'imagetransforme pour ainsi dire le possible en réel : l'enfant pleure alors qu'on lui arrache une dent sans douleur.

Souventmême, il pleure avant.

Il ressent, il « appréhende » déjà la douleur future.

Le « trac » met en jeu un mécanisme deréaction prématurée, qui, ne trouvant pas encore à se déployer pour l'action, fermente sur lui-même.

Sans qu'il y aitproprement hallucination, cette altération de lu notion du temps est due à une sorte d'éblouissement imaginatif, quibrouille un peu les plans de la durée.

Par son dynamisme, l'image déclenche à contre-temps l'automatisme des forcestendancielles.Cet éblouissement a lui-même sa cause dans une « surévaluation affective des intérêts en jeu » (phénomène quisemble jouer dans d'autres émotions que la peur : on se consumera de chagrin à la pensée d'une bévue...

qui apassé inaperçue).

Là encore l'imagination explique la « surélévation du ton sentimental », Pris en soi, le sentimentn'a pas le pouvoir de représenter vivement l'avenir, et, par ailleurs, nous avons montré que le sentiment ne s'appuiepas facilement à une idée.

En fait, on constate bien que les tempéraments peu imaginatifs ont du sang-froid devantla mort : l'avenir reste sagement à sa place, parce qu'ils l'imaginent peu.Si le dynamisme spontané de l'image rend compte de l'émotion, c'est la fonction associatrice surtout qui expliquel'influence de l'imagination sur la passion.

Les analyses que FLAUBERT a tracées de la passion d'Emma et de CharlesBovary constitueront la base de cette partie de notre étude.L'imagination prépare de loin la passion de Mme Bovary.

Toute la suite des malheurs de cette infortunée paraîtcommandée par ce pouvoir qu'a l'homme de concevoir sa vie autre qu'elle n'est- Haine congénitale du réel, le «bovarysme » d'Emma n'a pu s'implanter irrémissiblement en elle que par le dévergondage imaginatif.

L'éducation de lajeune femme, nourrie de romans, de cantates et de rêveries, la prédispose à tous les abandons.. Pourquoi réfléchirait-elle aux conséquences de ses actes : dans les romans tout s'arrange toujours si bien !L'imagination intervient aussi dans la préparation prochaine de la passion amoureuse, sous le couvert de ce queSTENDHAL appelle le processus de la «cristallisation» : «C'est l'opération de l'esprit qui tire de tout ce qui seprésente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles' perfections.

» L'amour de Charles Bovary pour Mlle Rouaultoffre un exemple typique de cette tendance à interpréter la réalité.

« Charles fut surpris de la blancheur de sesongles.

Ils étaient brillants, fins du bout, plus nettoyés que les ivoires de Dieppe et taillés en amande.

Sa mainpourtant n'était pas belle ».

Ainsi, le détail masque l'ensemble, l'ongle fait aimer la main tout entière Cette passionnouvelle engendrera dans le coeur du jeune médecin un dégoût profond de sa première femme : « Et puis la veuveétait maigre, elle avait les dents longues.

» Désormais, en cette duègne qu'il n'a jamais aimée, le moindre détaill'agace : ses souliers larges, ses bas gris, sa juge en fourreau et jusqu'à la pointe de son châle noir entre sesomoplates.

Amour et haine, quand ils ne s'enracinent pas dans une communion profonde ou dans une aversionlégitime, s'échafaudent sur l'illusion.

Emma avait vu Charles à travers le brillant mari de ses rêves : quelques moisplus tard, elle ne songera plus qu'à trouver ou même à inventer en sa personne des disgrâces parfois imméritées : «II porte un couteau, comme un paysan ! » On montrerait de même que l'avare confère à l'argent une valeur qu'iln'aura jamais, du moins pour lui.

Une fois obtenu, le pouvoir peut perdre tous ses charmes pour l'ambitieux qui leconvoitait si ardemment. CONCLUSION.

— Imagination et affectivité sont si profondément intriquées, qu'il paraît difficile de tracer entre elles une ligne de démarcation.

L'imagination presque toujours est porteuse de sentiment.

Son dynamisme spontanéparaît profondément lié au mécanisme émotif.

Enfin, les éléments associatifs qui collaborent à la genèse de lapassion se révèlent d'ordre imaginatif.

Cette présence de l'imagination au sein de l'affectivité paraît responsable desdéviations du sentiment.

Ce n'est pas qu'une sensibilité normale puisse se soutenir sans l'excitation, pour ainsi direcordiale, de l'image: mais celle-ci, pour être bienfaisante, doit se fondre dans la tonalité esthétique, garante del'équilibre de l'intelligence et du sens.

Dès que le phantasme et l'émotion isolent la sensibilité des autres fonctionspsychiques, ils réveillent les forces dissolvantes de l'automatisme animal.. »