Quelle attitude adopter devant une affirmation ?
Publié le 03/02/2004
Extrait du document
«
de nous en notre présence comme il en parle en notre absence." Pascal, Pensées, 1669.
" Le fait d'autrui est incontestable et m'atteint en plein coeur, je le réalise par le malaise; par lui je suisperpétuellement en danger.”SARTRE, L'Être et le Néant.
b.
Autrui se présente ainsi à nous de façon paradoxale, puisqu'il est à la fois cet autre et ce semblable, "cemoi qui n'est pas moi” (Sartre).
Cette communauté, qui rend la présence d'autrui si problématique, serévèle dans le langage et, plus profondément, dans le corps et surtout dans le visage d'autrui, visage quile pose comme sujet doué d'une subjectivité propre.
"Il y a un objet culturel qui va jouer un rôle essentiel dans la perception d'autrui : c'est le langage.
Dans l'expériencedu dialogue, il se constitue entre autrui et moi un terrain commun, ma pensée et la sienne ne font qu'un seul tissu,mes propos et ceux de l'interlocuteur sont appelés par l'état de la discussion, ils s'insèrent dans une opérationcommune dont aucun de nous n'est le créateur.
[...] Nous sommes l'un pour l'autre collaborateurs dans uneréciprocité parfaite, nos perspectives glissent l'une dans l'autre, nous coexistons à travers un même monde.
Dans ledialogue présent, je suis libéré de moi-même, les pensées d'autrui sont bien des pensées siennes, ce n'est pas moiqui les forme, bien que je les saisisse aussitôt nées ou que je les devance, et même, l'objection que nie faitl'interlocuteur m'arrache des pensées que je ne savais pas posséder, de sorte que si je lui prête des pensées, il mefait penser en retour.” Merleau-Ponty
"Un bébé de quinze mois ouvre la bouche si je prends par jeu l'un de ses doigts entre mes dents et que je fassemine de le mordre.
Et pourtant, il n'a guère regardé son visage dans une glace, ses dents ne ressemblent pas auxmiennes.
C'est que sa propre bouche et ses dents, telles qu'il les sent de l'intérieur, sont d'emblée pour lui desappareils à mordre, et que ma mâchoire, telle qu'il la voit du dehors, est d'emblée pour lui capable des mêmesintentions.
La «morsure» a immédiatement pour lui une signification intersubjective.
Il perçoit ses intentions dansson corps, mon corps avec le sien, et par là mes intentions dans son corps.
(...) En tant que j'ai des fonctionssensorielles, un champ visuel, auditif, tactile, je communique déjà avec les autres, pris aussi comme sujetspsychophysiques.
Mon regard tombe sur un corps vivant en train d'agir, aussitôt les objets qui l'entourent reçoiventune nouvelle couche de signification: ils ne sont plus seulement ce que je pourrais en faire moi-même, ils sont ceque ce comportement va en faire.
Autour du corps perçu se creuse un tourbillon où mon monde est attiré et commeaspiré: dans cette mesure, il n'est plus seulement mien, il ne m'est plus seulement présent, il est présent à x, àcette autre conduite qui commence à se dessiner en lui.
Déjà l'autre corps n'est plus un simple fragment du monde,mais le lieu d'une certaine élaboration et comme d'une certaine «vue» du monde.
Il se fait là-bas un certaintraitement des choses jusque-là miennes.
Quelqu'un se sert de mes objets familiers.
Mais qui? Je dis que c'est unautre, un second moi-même et je le sais d'abord parce que ce corps vivant a même structure que le mien.
J'éprouvemon corps comme puissance de certaines conduites et d'un certain monde, je ne suis donné à moi-même quecomme une certaine prise sur le monde; or c'est justement mon corps qui perçoit le corps d'autrui et il y trouvecomme un prolongement miraculeux de ses propres intentions, une manière familière de traiter le monde ; désormais,comme les parties familières de mon corps forment un système, le corps d'autrui et le mien sont un seul tout,l'envers et l'endroit d'un seul phénomène et l'existence anonyme dont mon corps est à chaque moment la tracehabite désormais ces deux corps à la fois.”Merleau-Ponty
c.
En même temps, je ne peux considérer autrui qu'à partir de ma propre conscience.
C'est à partir de masubjectivité que je peux prendre en compte la subjectivité d'autrui.
d.
On comprend dès lors que l'attitude à l'égard de cette réalité paradoxale qu'est autrui ne soit nullementévidente.
Cette attitude n'est pas innée, il nous faut en partie l'”adopter”.
Pour cerner cette relation, ilnous faut analyser en premier lieu le fait qu'autrui n'est pas seulement cette réalité complexe.
Il est ce parquoi moi-même je puis être, au sens d'”être pour autrui”.
2) AUTRUI COMME MOYEN
a.
Autrui a beau être cet autre qui pose des limites à mon action tout en me renvoyant à la solitude de masubjectivité, il est d'abord ce par quoi je deviens un individu conscient et éduqué.
C'est par autrui que jepeux apprendre à vivre dans notre société, que je peux former ma rationalité.
Sans autrui pour m'éduqueret entrer en dialogue avec moi-même, je ne peux pas me construire en tant qu'être humain doué deconscience.
"Nous n'existons jamais au singulier” dit Levinas.
Cf.
l'exemple limite de l'enfant sauvage.
Dèslors, une subjectivité n'apprend à se connaitre qu'à partir d'autrui.
"L'Autre n'est pas pour la raison un scandale qui la met en mouvement dialectique, mais le premier enseignementraisonnable, la condition de tout enseignement.” Lévinas
"Nous ne pouvons pas nous contempler nous-mêmes à partir de nous-mêmes: ce qui le prouve, ce sont lesreproches que nous adressons à d'autres, sans nous rendre compte que nous commettons les mêmes erreurs,aveuglés que nous sommes, pour beaucoup d'entre nous, par l'indulgence et la passion qui nous empêchent de jugercorrectement.
Par conséquent, à la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage,quand nous voulons apprendre à nous connaître, c'est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrionsnous découvrir, puisqu'un ami est un autre soi-même.
Concluons: la connaissance de soi est un plaisir qui n'est pas.
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