Que veut-on dire quand on parle du sens de l'histoire ?
Publié le 15/04/2009
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B. Le sens global.
1. Définition. Toutefois, l'expression « sens de l'histoire « est généralement prise dans une autre acception. On ne considère plus chaque événement isolé, on ne se contente pas d'analyser le passé. Le sens de l'histoire, c'est alors la direction prise par l'humanité en marche dans le temps. Il s'agit d'un sens objectif. Si dans cette perspective d'ensemble orientée vers l'avenir la prédiction des événements singuliers reste impossible, le but à atteindre est clairement défini et il éclaire les cheminements de demain et d'après-demain.
• « Sens de l'histoire « peut-il signifier ce qu'on entend plus communément par l'expression sens historique? Cf. le juriste Von Savigny. « Le sens historique est la seule protection contre cette espèce de duperie de soi-même qui se répète chez les individus, chez les peuples et dans tous les âges, et qui consiste à considérer comme universellement humain ce qui nous est particulier. En faisant abstraction, dans les institutions de quelques particularités saillantes, on avait établi, jadis, un droit naturel qu'on considérait comme l'expression immédiate de la raison. Maintenant il n'est personne qui ne considère comme pitoyable un tel procédé. Mais tous les jours nous voyons encore des gens qui considèrent leurs concepts et leurs opinions juridiques comme purement rationnels, pour la seule raison qu'ils n'en connaissent pas les origines. Dès que nous ne nous rendons plus compte de notre relation individuelle avec la totalité du monde et de son histoire, nous devons nécessairement voir nos idées sous la fausse lumière de la généralité et l'originalité. Contre cela nous ne sommes protégés que par le sens historique dont l'application la plus difficile est, certes, celle qui se dirige sur nous-mêmes. « La Vocation de notre temps pour la législation et la jurisprudence, 1814 Heidelberg, page 5. • Ce « sens historique « tel qu'il est défini par Von Savigny est de caractère purement théorique (il le définit comme la faculté « de saisir de façon rigoureuse le caractère spécifique de chaque époque et de chaque forme juridique « Cf. op. cit. page 48. Mais ne pourrait-on penser que « sens de l'histoire « peut aussi signifier une conscience, à la fois théorique et pratique, de la temporalité de l'homme, de son historicité non pas en tant qu'individu mais en tant que membre d'une collectivité? Cf. Sartre. « Ces premières années de la Paix Mondiale, il fallait les envisager soudain comme les dernières de l'entre-deux-guerres; notre vie d'individu qui avait paru dépendre de nos efforts, de nos vertus et de nos fautes ... il nous semblait qu'elle était gouvernée jusque dans les plus petits détails par des forces obscures collectives ... Du coup nous nous sentîmes brusquement situés ... il y avait une aventure collective qui se dessinait dans l'avenir et qui serait notre aventure. L'historicité reflua sur nous; dans tout ce que nous touchions, dans l'air que nous respirions ... nous découvrions comme un goût de l'histoire. « Situations II « Qu'est-ce que la littérature « Paris 1948, page 241-243 • « Sens de l'histoire « : cette expression indiquerait-elle que l'histoire se meut dans une certaine direction, selon un certain sens? — On dit que pour les Grecs de l'Antiquité le temps était privé de direction, de sens privilégié, d'évolution vers une fin et que tout cela changea par et dans la pensée judéo-chrétienne : pour les penseurs chrétiens le temps est linéaire. Il a un commencement (la création du monde et du premier homme) et il se meut vers une fin (le jugement dernier). Avec eux le temps est fini, il est irréversible, il a un sens unique et par la même le temps et l'histoire ont une valeur. • « Sens de l'histoire « cela signifie-t-il que l'histoire est susceptible d'être interprétée et comprise par une idée unitaire ? — Cela signifie-t-il que l'on déclare connaître de façon assurée cette idée unitaire?
«
Si aucun sens objectif de l'histoire ne s'impose, il reste encore au critique à expliquer pourquoi on s'efforce toujoursd'en définir un.
C'est que nous prenons nos désirs profonds pour des faits accomplis : par une transpositioninconsciente de l'idéal religieux et moral, nous donnons un sens à l'histoire.
a) Le christianisme.
— C'est le christianisme qui a ouvert les hommes; au sens de l'histoire.
Mais pour le chrétien,Dieu transcende l'histoire, et ce qui compte, ce n'est pas le sens de l'histoire humaine qui n'est faite que debalbutiements, c'est la grande présence de Dieu qui la domine, et qu'on retrouvera au rendez-vous de la fin destemps.
Alors, peu importe que l'histoire paraisse — et soit — chaotique.
Elle a un sens mystique dans son chaosmême où la créature appelle son Dieu avec d'autant plus d'insistance qu'elle ressent davantage sa faiblesse.L'histoire peut bien être écrite en lignes brisées, elle a toutefois un sens irréversible dont la foi donne l'intelligence :elle est orientée vers le salut, vers le Retour du Sauveur, vers la vie éternelle.
b) La transposition.
— Pour le non-chrétien, le sens de l'histoire résulte d'une transposition, d'une laïcisation del'idée religieuse.
Le salut que l'on attend, c'est alors un salut temporel et tout humain.
Et il faut bien dire quecertains chrétiens font déteindre la vision d'éternité sur les réalités temporelles, se contentant d'un paradisterrestre.
Comme on porte en soi des exigences de justice, on se persuade qu'enfin l'âge d'or arrivera, où leshommes vivront dans une parfaite entente.
Ainsi, quand on parle du sens de l'histoire, c'est-à-dire du sens del'avenir, on confond toujours le futur et le conditionnel.
On ne dit jamais ce que l'histoire sera, on ne dit que cequ'elle devrait être.Le vocabulaire employé par les philosophes de l'histoire montre d'ailleurs parfois à quelles sources ils ont puisé, sansdoute inconsciemment.
MARX lui-même compare le prolétariat au Christ en croix : le prolétariat a une vocationmessianique, et c'est de lui que doit venir la régénération.Nous voyons bien ce que ces vues diverses sur le prétendu sens de l'histoire peuvent avoir de généreux, et qu'ellesempruntent à une mystique qui renie parfois ses origines.
Mais la générosité de l'intention: ne suffit pas à légitimerune thèse.
CONCLUSION : Prospective et mystique.
— II faut donc, en définitive, dissiper l'équivoque : on ne peut parler d'un sens global de l'histoire humaine en restant sur le plan, de l'histoire, c'est-à-dire sur le plan proprement scientifique.Mais il reste qu'il est bon de conserver devant l'histoire deux attitudes qui se complètent sans se confondre, et quise situent respectivement en dessous et au-dessus de l'historique.
1.
D'une part, on peut préparer l'histoire de demain en adoptant une attitude prospective.
Cela consiste à étudier sibien le déterminisme social qu'on ne laisse pas les sociétés se développer au hasard, particulièrement dans lesdomaines économique et technique.
De ce fait, on ne sera pas capable de prédire, sans doute, mais qu'importe sil'on prépare ?
2.
D'autre part, il n'est pas interdit de conserver une foi, une mystique, sans laquelle les meilleures préparationsmatérielles ne sauraient valoir.
On ne se croira pas pourtant autorisé à interpréter dogmatiquement chaque détail del'histoire, mais la vision du but à atteindre reste le meilleur stimulant de l'action historique.
Ainsi, en liquidant lemythe du «sens de l'histoire», nous ne restons pas, bien au contraire, étrangers à l'histoire..
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