Parfois, sans doute, le lien qui relie deux événements
est indiscutable : on peut dire que telle mesure financière a stoppé
l'inflation ou stimulé l'économie. Mais le plus souvent jouent des
incidences dont il est difficile d'apprécier l'action réelle : l'économie
nationale, par exemple, ne dépend qu'en partie des mesures prises par les
ministres compétents ; elle dépend aussi de la conjoncture internationale,
des conditions atmosphériques, des mouvements d'opinion, etc. On peut,
certes, voir si le but visé a été atteint ou non, mais il est toujours
impossible de savoir avec certitude si les mesures prises étaient
nécessaires et suffisantes pour atteindre ce résultat.La difficulté s'aggrave si la question porte sur la sagesse de la décision.
L'historien qui juge les hommes politiques du passé a la partie belle : il
sait comment tournèrent les événements, il connaît les imprévus qui
surgirent ; il lui est assez facile alors, de juger que telle décision fut
malencontreuse et que la décision contraire aurait permis d'éviter une
catastrophe. Mais celui qu'il juge ne disposait pas de toutes ces données :
il prit ses responsabilités d'après ce qu'il pouvait prévoir d'un avenir
plein d'incertitudes. Pour porter sur ces décisions un jugement équitable,
l'historien devrait se mettre par la pensée dans la situation exacte qui
était celle du chef au moment de prendre parti. Or, il lui est pratiquement
impossible d'oublier ce qu'il sait et de ne pas faire comme si le futur de
ce chef n'était pas ce passé qui, maintenant, s'étale dans sa mémoire.Il est vrai que, quoi que fassent les historiens pour justifier ou
innocenter une décision que l'événement révéla néfaste, c'est sur les
résultats effectifs que portent les jugements de la masse des hommes. Cette
masse, sans doute, n'écrit pas l'histoire, mais elle la fait et, par là
même, elle agit sur l'opinion de ceux qui l'écrivent.
Les grandes décisions engageant l'avenir d'un pays, par exemple une déclaration de guerre, doivent rallier l'unanimité morale de la nation. Or, il se présente parfois des problèmes d'une extrême gravité pour la solution desquels cet accord unanime est bien loin d'être atteint. Il faut cependant agir, à moins qu'on se laisse mener par les autres. Parfois, alors, pour sortir d'un attentisme dangereux, un chef auquel sa situation et son prestige personnel permettent des initiatives hardies prend la responsabilité des décisions qu'il juge les plus sages. Alors, on dit à leur sujet et il dit parfois lui-même : l'histoire jugera «. Que veut-on signifier par là et que vaut ce recours au jugement de l'histoire ?