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Que signifie l'expression: l'histoire jugera et que vaut-elle

Publié le 19/03/2004

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histoire
Sa face positive. - « L'histoire jugera » : cela seul est dit explicitement. Que faut-il entendre par là ? a) Et d'abord, quelle est cette histoire au jugement de laquelle il est fait appel ? Il y a, en effet, l'histoire que font les hommes, surtout les chefs de file, gouvernants et autres et il y a celle qu'écrivent les historiens. Au premier sens du mot - l'histoire qui se fait - « l'histoire jugera » signifie que, grâce aux événements à venir, on pourra juger de la sagesse des décisions prises : une réussite prouvera qu'elles étaient sages ; au contraire, d'un échec on pourra conclure qu'elles étaient inopportunes ou même folles. Un tel jugement semble possible à assez court terme. Il n'en est pas de même si l'on prend histoire au second sens du mot : l'histoire que racontent les historiens selon toutes les exigences de ia critique historique. Nous ne sommes pas suffisamment détachés du passé immédiat pour l'étudier avec l'objectivité qu'exige la science : ce n'est pas sous la Restauration qu'on pouvait porter un jugement objectif sur l'épopée napoléonienne et nous ne pouvons pas encore juger sereinement la politique de Pétain. Mais peu à peu, grâce au recul, les faits prennent aux yeux de l'historien leur importance réelle, les divergences d'opinion s'atténuent, le nombre des jugements communément reçus augmentent.
histoire

« B.

Valeur du jugement de l'histoire.

— C'est évidemment la principale question à laquelle nous avons à répondre.

Or, cette réponse est moins facile qu'il paraît à première vue.C'est peut-être sur les hommes que l'histoire porte les jugements les moins sujets à caution.

Sans doute, nousne pouvons pas entrer dans la conscience d'autrui et atteindre les ressorts profonds de son activité.

Mais dansla majorité des cas, au moins pour l'époque moderne, l'historien dispose d'informations suffisantes pour luipermettre de juger équitablement de la valeur humaine des auteurs de décisions qui ont marqué un tournantdans l'histoire d'un pays.

Il ne s'ensuit pas cependant que l'on puisse, dans un cas particulier, apprécierexactement l'action des mobiles et des influences.Plus difficiles les jugements sur les rapports de cause à effet dans le domaine historique.

Parfois, sans doute, lelien qui relie deux événements est indiscutable : on peut dire que telle mesure financière a stoppé l'inflation oustimulé l'économie.

Mais le plus souvent jouent des incidences dont il est difficile d'apprécier l'action réelle :l'économie nationale, par exemple, ne dépend qu'en partie des mesures prises par les ministres compétents ;elle dépend aussi de la conjoncture internationale, des conditions atmosphériques, des mouvements d'opinion,etc.

On peut, certes, voir si le but visé a été atteint ou non, mais il est toujours impossible de savoir aveccertitude si les mesures prises étaient nécessaires et suffisantes pour atteindre ce résultat.La difficulté s'aggrave si la question porte sur la sagesse de la décision.

L'historien qui juge les hommespolitiques du passé a la partie belle : il sait comment tournèrent les événements, il connaît les imprévus quisurgirent ; il lui est assez facile alors, de juger que telle décision fut malencontreuse et que la décisioncontraire aurait permis d'éviter une catastrophe.

Mais celui qu'il juge ne disposait pas de toutes ces données :il prit ses responsabilités d'après ce qu'il pouvait prévoir d'un avenir plein d'incertitudes.

Pour porter sur cesdécisions un jugement équitable, l'historien devrait se mettre par la pensée dans la situation exacte qui étaitcelle du chef au moment de prendre parti.

Or, il lui est pratiquement impossible d'oublier ce qu'il sait et de nepas faire comme si le futur de ce chef n'était pas ce passé qui, maintenant, s'étale dans sa mémoire.Il est vrai que, quoi que fassent les historiens pour justifier ou innocenter une décision que l'événement révélanéfaste, c'est sur les résultats effectifs que portent les jugements de la masse des hommes.

Cette masse,sans doute, n'écrit pas l'histoire, mais elle la fait et, par là même, elle agit sur l'opinion de ceux qui l'écrivent.Aussi les grands hommes dont l'humanité conserve le souvenir sont ceux qui obtinrent des résultatsspectaculaires.

Il importe assez peu que leurs succès résultent d'une suite de hasards heureux qui permirentque de folles audaces évitent le désastre.

Pour les jugements de l'histoire, le résultat compte beaucoup plusque la sagesse des décisions prises en disant « l'histoire jugera ». Conclusion. — Il s'en faut donc que nous puissions voir dans l'histoire le juge qui porte sur les hommes du passé des sentences vraiment objectives.

L'historien le mieux informé et le plus critique n'atteint pas lui-mêmel'objectivité parfaite, car il ne voit pas les événements comme les voyait celui qu'il juge : pour ce dernier, ilsétaient futurs et, par suite, contingents ; pour lui, au contraire, ils sont passés et, de ce fait, paraissentnécessaires.

A plus forte raison le commun des hommes, sans en excepter ceux qui sont parvenus à un assezhaut degré de culture, sont-ils incapables de se faire une opinion juste en ces matières complexes,manoeuvrés qu'ils sont par les campagnes partisanes.

Sans doute, il reste bien vrai que « l'histoire jugera »,mais elle jugera assez mal.. »

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