Que permet l'art au point que l'humanité ne puisse s'en passer ?
Publié le 27/02/2005
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Ce sujet interroge sur la particularité de l’art, sur son pouvoir, ses manifestations et ses résultats par rapport à la vie des hommes. A travers cette question, il s’agit donc de déterminer les relations qui régissent les rapports entre l’humanité et l’art. Cette question part du constat implicite mais qui paraît dans la formulation que l’homme ne peut vivre sans l’art. On peut se demander pourquoi l’art se présente comme une nécessité pour l’ensemble des hommes, pourquoi la vie humaine ne peut être envisagée sans, pourquoi la pratique artistique entre obligatoirement et spécifiquement dans la définition et la qualification de l’humanité. Qu’est ce que l’art apporte aux hommes que les autres activités humaines ne lui offrent pas, quelle est cette particularité qui explique que l’on soit incapable d’envisager l’absence de l’art?
«
effrayants ou affligeants, suscitent des émotions correspondantes, par exemple, de la compassion pour les victimes.Mais ce phénomène est plus surprenant lorsqu'il s'agit d'un spectacle créé et imaginé de toutes pièces.
Il supposeune identification avec un personnage et non plus avec une personne.
Certes, cette identification a ses limites, caril ne s'agit pas d'imiter, de copier ni de transposer dans la vie réelle les actions qui se déroulent sur la scène.
Et l'onimagine mal un jeune homme, influencé par l' " Œdipe " de Sophocle , décidant de tuer son père, de commettre un inceste avec sa mère et de se crever les yeux.Ce transfert de la fiction à la réalité est-il toutefois tellement inconcevable? Pour nous, malheureusement non.
Mais,pour Aristote , certainement.
En éprouvant des sentiments analogues à ceux que la tragédie provoque en moi, je me libère du poids de ces états affectifs pendant et après le spectacle.
J'en ressors comme purgé et apaisé.
Cesémotions préexistaient-elles en moi à l'état latent et le spectacle s'est-il contenté de les éveiller? Ou bien les a-t-ild'un bout à l'autre provoquées? Le spectateur est-il prédisposé, par sa nature même, à réagir en fonction d'unereprésentation spécialement conçue pour le troubler en des points sensibles de sa personnalité ? Aristote ne le dit pas.La " Poétique " ne répond pas vraiment à l'attente de la " Politique ".
Aristote , là aussi, avait évoqué la catharsis, mais uniquement à propos de la musique « Nous disons qu'on doit étudier la musique, non pas vue de l'éducation et de la purgation - ce que nous en vue d'un avantage unique, mais de plusieurs (en nous en reparlerons plusclairement dans un entendons par purgation, terme employé en général, traité sur la poétique - et, en troisième lieu,en vue du divertissement, de la détente et du délassement après la tension de l'effort). » Certes, il en reparle, mais si peu !En revanche, la " Politique " donne quelques précisions qu'on ne retrouve pas dans la " Poétique ": à la crainte et à la pitié s'ajoute l'« enthousiasme ».
A propos de cet état d'exaltation, Aristote fait référence explicitement au sens thérapeutique du terme: « certains individus ont une réceptivité particulière pour cette sorte d'émotions [l'enthousiasme], et nous voyons ces gens-là, sous l'effet des chants sacrés, recouvrer leur calme comme sousl'action d'une cure médicale ou d'une purgation. » Est-ce pour lui, une manière de retrouver le lieu commun selon lequel « la musique adoucit les mœurs » ? Il y a sans doute un peu de cela, mais il faut aller plus loin dans l'interprétation.Dans la " Politique ", Aristote suggère lui-même que la catharsis concerne également la tragédie, c'est-à-dire la vue, et non pas seulement l'écoute de ce qu'il appelle des chants éthiques, dynamiques ou exaltants.
Il n'y a pas às'en étonner puisque la tragédie, à l'époque, réalise une certaine forme d' « art total » harmonisant le texte, les chœurs et la danse.
Mais, en outre, elle consiste à mettre en scène une action, une intrigue où des personnagesréels imitent des héros soumis à un destin angoissant ou pathétique.
Pensons à Œdipe .
Or la musique seule ne figure pas; elle ne représente rien; elle laisse tout loisir à l'auditeur d'imaginer librement selon ses états d'âme, toutcomme la lecture d'un récit.
En revanche, la tragédie impose un personnage, un masque comportant des traitsdéfinis.
Elle force en quelque sorte l'identification du spectateur appelé à devenir momentanément un « acteur secret » dans la pièce.
Mimésis d'action et de sentiments réels, la tragédie concentre la réalité dans le temps et dans l'espace, elle l'exagère et pousse les passions à leur paroxysme afin d'éclairer le public sur les conséquenceséventuelles de ses actes: voyez ce qu'il adviendrait, si d'aventure l'envie vous prenait d'imiter réellement cesmalheureuses victimes de la fatalité !Le remède n'est-il pas pire que le mal ? Un spectacle apaisant ne serait-il pas plus propice à la sérénité, au retour àl'équilibre? Aristote ne se pose pas la question.
Sa « cure médicale » (Bossuet ) est homéopathique: on soigne le mal par le mal, les passions excessives par l'excès d'émotions.Cette interprétation n'est pas vraiment abusive.
Le texte d' Aristote la suggère; elle fut notamment celle de tout le classicisme français, soucieux d'assigner au théâtre une fonction morale, voire moralisatrice.Mais de l'éthique au politique, il n'y a parfois qu'un pas.
La " Politique " d' Aristote se fonde sur sa philosophie de la tempérance, de la modération, du juste milieu.
Sa volonté de restaurer la tragédie en déclin, de renouer avec latradition des grands spectacles qui contribuèrent à la gloire d'Athènes au Ve siècle, n'est sans doute pas exempted'intentions politiques et sociales: permettre à la cité de vivre en paix et assurer au citoyen le bonheur d'une vievertueuse, conforme à la raison.
Un tel programme d'éducation civique et culturelle ne pourrait-il convenir au futurroi de Macédoine ?Multiplier les spectacles tragiques, attirer la foule au théâtre, c'est permettre à la catharsis d'opérer non seulementsur l'individu, mais collectivement.
C'est aussi distraire les citoyens, détourner leur attention des problèmes dumoment - les guerres incessantes - et permettre l'expulsion d'une mauvaise conscience qui commence à hanter unpeuple en décadence.Il s'agit là d'une explication presque psychanalytique au sens actuel du terme: le spectacle apaise les passionsparce qu'il permet de vivre fictivement, de façon innocente et inoffensive, pour la personne et pour la société, despassions qui les mettraient en danger dans la réalité.
La catharsis autoriserait alors une sorte de défoulement etjouerait un rôle d'exutoire.On parle de défoulement.
Ce n'est pas un hasard si Freud a choisi le terme de catharsis pour désigner la finalité de la cure psychanalytique: le retour à la conscience des pulsions refoulées, notamment dans le cas des névroses.
Riende plus préjudiciable à l'équilibre de l'individu et de la société que de se complaire dans le malaise ou le mal-être depassions et de pulsions condamnées au mutisme, rejetée, dans le tréfonds de l'inconscient.Cette interprétation établit un lien entre la " Poétique " et la " Politique ".
Sur un plan plus général, elle révèle les implications politiques - au sens large du terme - et le discours sur l'art.
Or ce n'est pas non plus un hasard si cetype d'interprétation a systématiquement été omis par la tradition qui se réclame d' Aristote .
On pourrait d'ailleurs en dire autant de Platon .
Au IV siècle, nous l'avons dit, on se soucie surtout de la portée morale du théâtre.
On ne prête attention qu'aux règles de l'art, aux procédés techniques qui permettent d'aboutir à l'effet recherché.
A la findu XVIIIe siècle, Lessing dénonce l'assimilation aristotélicienne entre la poésie et la peinture dans le cadre de sa critique de l' « ut pictura poesis ».
La fonction cathartique par la mise en scène de la terreur ne lui plaît guère.
Il préfère la pitié et considère que la tragédie doit surtout susciter la compassion.
Quant à Goethe , peu sensible à.
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