Que penser de ce jugement de Claude Bernard: "on expérimente avec sa raison" ?
Publié le 05/02/2004
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L'expérimentation est, pourrait-on dire, la voie royale de la connaissance et de la recherche scientifique. En effet, qu'est-ce qu'un chercheur, dans les sciences de la nature et de la vie, sinon quelqu'un qui expérimente? Pensons au biologiste testant par l'expérimentation l'effet d'un vaccin ou d'un médicament sur un animal de laboratoire; et l'expérimentation est aussi importante en physique ou en chimie. La question que l'on peut se poser est de savoir ce qu'attend de l'expérience le scientifique. Est-ce qu'il tire toutes ses connaissances de l'expérience et des observations qu'il y a faites, l'activité intellectuelle proprement dite intervenant après? Pour être un bon expérimentateur, suffit-il d'avoir de bons yeux ou de bons instruments de mesure ? Au contraire, en quel sens peut-on dire qu'on expérimente avec sa raison?
«
soit pas un accord de surprise mais bien l'expression solide d'une communion réelle.
La dimension sociologique de la science change ici radicalement d'aspect.
Ce n'est pas parce que la science traduit les exigencesde la collectivité qu'elle est vraie.
C'est au contraire parce qu'elle est vraie qu'elle a le pouvoir d'assurer la « convergence » des esprits. · « ...
Le monde scientifique est notre vérification...
La science se fonde sur le projet... ». Au niveau de l'hypothèse la science donne raison à l'idéalisme puisque l'esprit, proposant une idée explicatrice se porte au devant du réel.
Au niveau de la vérification la science rejoint le réalisme puisque là, la théorieest soumise au contrôle du réel.
L'hypothèse elle-même n'est qu'un projet de vérification.
La théorie proposée est inséparable des instruments de laboratoires qui la soumettront à vérification.
La vraie philosophiescientifique n'est ni exclusivement idéaliste ni exclusivement réaliste.
Elle est dialectique.
L'hypothèse est proposée pour résoudre une contradiction entre telle ancienne théorie et les faits qui la démentent.
A sontour l'hypothèse vérifiée pourra être mise en cause par la découverte de faits inédits qui entrent à titre de problème dans la dialectique expérimentale qui se poursuit sans fin.
Comme le dit Husserl : « C'est l'essence propre de la science, c'est a priori son mode d'être, d'être hypothèse à l'infini et vérification à l'infini.
» · « ...
L'observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure..
» Il n'est pas tout à fait vrai de dire que la science part des faits.
Si loin qu'on recule dans l'histoire de l'humanité on retrouve autour des faits des mythes qui prétendent les expliquer.
Il n'y a pas dit Bachelard « des vérités premières », il n'y a que des « erreurs premières ».
La science se constitue non pas en accumulant paisiblement des connaissances par des observations répétées mais en réfutant les premières interprétations mythiques : « En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel.
En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissance malfaites ».
Le point de départ de la recherche n'est jamais le fait empirique considéré à part, mais le problème posé par le fait, la contradiction entre le fait découvert et les conceptions théoriques antérieures.
Lorsqu'en1643 les fontainiers de Florence , tirant l'eau d'une citerne avec une pompe aspirante, constatent qu'au-delà de 10,33 mètres l'eau ne monte plus dans la pompe vide, nous avons là une observation typiquement polémique puisqu'elle contredit la théorie admise : la nature a horreur du vide.
Ce n'est pas le fait lui-même, mais la contradiction, le problème posé par le fait qui va susciter les recherches de Galilée , de Torricelli et de Pascal .
De même lorsque Lavoisier constate en octobre 1772 qu'un morceau de plomb brûlé pèse plus lourd que le plomb initial, c'est encore un fait polémique puisque d'après la théorie de l'époque un métal qui se consume libère son « phlogistique » et que la chaux résiduelle devrait alors peser moins lourd ! Il appartiendra à Lavoisier de rétablir un système intelligible en montrant que la combustion n'est pas une décomposition chimique mais tout en contraire une combinaison.
La combustion d'un corps implique non le départ d'un « phlogistique » mais la fixation de l'oxygène de l'air.
Dans tous les cas, le fait ne tire son sens que d'un contexte d'idées.
Le fait polémique a le sens d'une contradiction.
C'est ce qu'on peut appeler le fait-question ; le fait expérimental qui confirme une hypothèse nouvelle c'est le fait-solution, le fait-réponse.
Lefait tire toujours son sens d'un système d'idées.
Il est toujours question ou réponse, il n'est jamais expérience nue et passive, indépendamment de l'activité de l'esprit.· « ...
Les instruments ne sont que des théories matérialisées...
»Au niveau de l'expérimentation, l' « activité rationaliste » est encore plus nette qu'au moment de la seule observation.
Car les outils de l'expérimentation sont eux-mêmes des produits de la raison et de la théorie.
Et cela apparaît de façon éclatante même au niveau des appareils les plus simples et les plus modestes.
L'usage d'un instrument aussi élémentaire qu'un banal thermomètre nous introduit déjà dans un monde« scientifique ».
La relation complexe entre mon organisme et le milieu d'où résulte l'impression vécue de température est remplacée par une mesure fondée sur des relations beaucoup plus simples entre un objet et un milieu.
Apprécier une température, c'est mesurer la dilatation d'une colonne de mercure sur une échelle graduée.
Mais la fabrication d'un tel instrument requiert une théorie scientifique préalable.
Un thermomètre,c'est la théorie de la dilatation matérialisée.
Et cela est encore plus vrai des instruments de la science contemporaine.
« En suivant la physique contemporaine nous avons quitté la nature pour entrer dans une fabrique de phénomènes. » Ce texte permet de caractériser, à égale distance de l'idéalisme pur et du réalisme brut, ce qu'est l'épistémologie rationaliste de Bachelard : un rationalisme dialectique : l'histoire du progrès scientifique c'est l'histoire des contradictions résolues, et à nouveau toujours suscitées entre les théories et les faits ; non pas le rationalisme clos des systèmes métaphysiques, mais le rationalisme ouvert de la science vivante.L'histoire de la science est celle d'une révolution permanente.
Non pas un progrès linéaire par accumulation d'observations, mais une histoire tourmentée et dramatique – semée de « coupures épistémologiques ». Le savoir rationnel est un savoir polémique, une incessante rectification.
Sans cesse la science « se forme en se réformant ».
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