Que Ne Savons-Nous Pas ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
immédiatement : que puis-je connaître ?, demandait Kant, en
invitant à considérer qu'aux limites de notre savoir commence
le règne de la croyance.
Si nous explicitons l'interrogation :
avons-nous de bonnes raisons de considérer qu'il se trouve,
soit dans le réel lui-même, soit dans nos facultés de
connaître, des crans d'arrêt à la mise en œuvre du projet d'un
savoir absolu ? Sous cette forme, la question engage en fait
d'emblée la teneur même de notre finitude : cette finitude,
qui s'exprimerait à travers le fait que nous ne pouvons pas
tout connaître, est-elle seulement de fait, comme telle
provisoire ou contingente, est-elle de droit, comme telle
définitive ou nécessaire ?
000200000EBC00000F1A : notre connaissance entend en effet se
composer aussi bien d'énoncés descriptifs (la Terre tourne
autour du Soleil) que d'énoncés prescriptifs, notamment dans
le registre juridique (il est interdit de voler) et moral (il
ne faut pas mentir).
S'il devait y avoir des limites à notre
savoir, il faudrait donc envisager que de telles limites
puissent intervenir aussi bien dans le registre de ce qu'on
appelle la raison théorique (qui décrit ce qui est) que dans
celui de la raison pratique (qui prescrit ce qui doit être) :
la finitude de nos facultés de connaître pourrait alors être
aussi bien une finitude pratique qu'une finitude théorique,
avec dans les deux cas des conséquences bien différentes.
La finitude théorique me laisse simplement ignorer une part de
ce qui fait la texture du réel, mais elle ne m'oblige pas à
prendre position sur ce que je ne peux pas savoir en la
matière : je peux après tout suspendre ici mon jugement.
La finitude pratique pourrait m'interdire d'avoir jamais la
certitude que ce que je fais correspond bien à ce que je dois
faire : il se pourrait en effet que les choix que je fais au
nom de certaines valeurs n'aient de validité que par référence
à de telles valeurs, relatives à une époque ou à une culture,
mais non point de validité absolue.
Comment alors arbitrer
entre les divers jugements de valeur qui peuvent intervenir à
propos de la même action, dès lors qu'elle se trouverait
moralement ou juridiquement appréciée à partir de points de
vue relativisés par des appartenances à des contextes
historiques ou culturels déterminés, voire par certains
paramètres psychologiques conditionnant l'activité de mon
esprit ? Faut-il alors suspendre, là encore, son jugement ?
Chacun voit pourtant d'emblée à quelles difficultés
extrêmement concrètes nous nous trouverions ainsi exposés,
dans les multiples cas qui mettent en conflit, de société à
société ou, au sein d'une même société, d'un groupe culturel à
l'autre, plusieurs systèmes de valeurs.
Ce pourquoi la
question de ce que nous ne savons pas et ne pourrions savoir
n'est pas une question d'école : notamment pour ce qui touche
à la raison pratique, cette question des limites
éventuellement indépassables de notre connaissance ne peut
être laissée en suspens, abandonnée au devenir de nos savoirs
et à l'espoir qu'ils parviennent à nous faire connaître demain
ce qui nous paraît inconnaissable aujourd'hui.
Quant il s'agit
de déterminer ce que nous devons faire, la réponse à la
question : que puis-je en savoir ? n'attend pas.
Force est donc de prendre au sérieux, malgré la dynamique
2.
»
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